Thomas Bourguignon : "La série Baron noir dresse un tableau de la politique française contemporaine"
Thomas Bourguignon n’a pas attendu d’être diplômé de Sciences Po (en 1991) pour faire ses premiers pas dans le milieu du cinéma. Celui qui écrivait ses premiers scénarios à l’âge de 15 ans est aujourd’hui le producteur de la série politique Baron noir. À l’occasion de la diffusion des premiers épisodes de la saison 2 sur Canal + cette semaine, il a accepté de répondre aux questions d’Émile sur son parcours et sur les coulisses de la série.
Propos recueillis par Maïna Marjany et Alexandra Slon
L’ensemble de votre parcours s’articule autour du cinéma et de la fiction pour la télévision. Aviez-vous déjà envie de travailler dans ce milieu avant de rentrer à Sciences Po ?
Je voulais faire du cinéma depuis l’âge de 15 ans. Habituellement, les parents disent « passe ton bac d’abord », les miens me disaient « passe Sciences Po d’abord ». Pour ma famille, il était important que je sois sûr de ma vocation avant de me lancer. Au final, Sciences Po n’a fait que confirmer ce que je voulais faire, tout en me donnant une ouverture vers le monde, qui n’aurait pas été la même si j’avais tout de suite entamé des études de cinéma. J’ai suivi le cursus PES (politique économique et sociale), ce qui m’a permis d’approfondir ma culture générale, mes connaissances en économie, politique, sociologie… À Sciences Po, j’ai également fait des rencontres déterminantes pour la suite. J’ai suivi les cours de Michel Estève, qui dirigeait la collection « Études cinématographiques » aux éditions Lettres Modernes Minard. À la fin d’un de mes exposés, il m’a dit : « vous devriez être critique de cinéma » et j’ai répondu : « mais je ne connais personne ». Il m’a alors proposé d’envoyer, de sa part, un article sur un film que j’aimais à Michel Ciment, rédacteur en chef de Positif. C’est ainsi que Positif a publié mon article et que j’ai démarré ma carrière dans le cinéma. À partir de ce moment, j’ai beaucoup plus fréquenté les salles obscures que les amphithéâtres, et j’ai tellement écrit d’articles que j’ai redoublé ma troisième année !
Comment êtes-vous passé de critique de cinéma à producteur de séries ?
J’ai ensuite fait mon service militaire et un DEA de cinéma à la Sorbonne. Puis, j’ai reçu un message sur mon répondeur d’un monsieur qui s’appelait Gilles Jacob. Il m’a dit : « j’ai lu vos articles. J’ai trouvé ça intéressant, passez me voir ». Je ne savais pas qui c’était et à l’époque, Google n’existait pas ! C’était en fait le directeur du festival de Cannes. Il cherchait un troisième journaliste, quelqu’un de jeune, pour son comité de sélection des films étrangers. J’ai passé cinq ans à ses côtés. En parallèle, je lisais des scénarios pour les différentes chaines de télévision, notamment France Télévisions, M6 et TF1. Quand M6 a créé un département de fiction, ils m’ont proposé de devenir conseiller de programme. Dans la journée, je travaillais pour M6, le soir pour le Festival de Cannes et le week-end j’écrivais des articles pour Positif. Au bout de trois ans de ce rythme intense, je me suis rendu compte que je voulais être plus proche du terrain, être dans la fabrication, la production de films. J’ai eu une proposition pour devenir producteur chez Alizés Films. Puis, en 2007, j’ai fondé ma propre société, Kwaï.
Baron Noir est la première série que vous avez décidée de produire avec votre propre société. Pourquoi avez-vous fait le choix d’une série politique ?
C’est plus une question d’opportunités. Cela faisait un moment que j’avais décidé de produire une série, je cherchais le bon programme. Un jour, Jean-Baptiste Delafon – avec qui j’avais déjà travaillé – m’a annoncé qu’il avait écrit trois pages d’une série politique, qui avait l’air d’intéresser Canal+. Il souhaitait que je la produise. Une série politique en France, ça n’avait jamais existé et c’était une période où un certain nombre de séries politiques émergeaient : "À la Maison Blanche", "Borgen"… On sentait, avec les scénaristes et avec Canal+, qu’il y avait un possible regain d’intérêt pour la politique.
La première saison de Baron noir montre un aspect assez sombre de la politique, à quel point est-ce proche de la réalité ?
Je ne pense pas que ce soit si sombre. Bien évidemment, on dramatise, dans le sens où on utilise les ressorts de la dramaturgie : il y a un problème qui doit être réglé. Le problème initial de la saison 1 est la corruption et le suicide de quelqu’un. Mais, ensuite, toute l’histoire racontée dans Baron noir est plutôt une histoire de rédemption, puisqu’à la fin le héros se sacrifie et sacrifie son mentor pour permettre l’émergence d’une force nouvelle, d’une personne nouvelle, qui, elle, a un idéal et n’est pas corrompue. La finalité de la série n’est donc pas du tout négative par rapport au monde politique. D’ailleurs, quand on a écrit la série, quand on l’a produite, on a toujours eu à cœur d’avoir cette responsabilité envers les citoyens, de ne pas tomber dans le « tous pourris ». C’était important, pour nous, que les hommes politiques ne se sentent pas stigmatisés par cette série. Et ce n’est pas le cas. Nous avons, par exemple, eu des retours positifs de Manuel Valls, de François Hollande ou encore de Xavier Bertrand.
Les équipes de Xavier Bertrand ou d’Alain Juppé nous ont même dit : « vous êtes en-dessous de la réalité, de la violence du combat politique ». Mais la passion qui anime les hommes politiques, l’idéal qu’ils ont, sont également extrêmement forts. C’est d’ailleurs ce qu’on souhaite montrer dans la série : une grande violence, mais aussi un sens du bien public, de la volonté de changer le pays et le fait d’y croire.
Comment faites-vous pour que la série colle au plus près de la réalité du monde politique ? Et quelles personnalités politiques vous ont particulièrement inspirées pour les personnages de la série ?
Eric Benzekri – l’un des deux scénaristes de la série – a été longtemps adhérent au Parti socialiste. Il a été militant, plume de plusieurs hommes politiques, dont Jean-Luc Mélenchon et Julien Dray. Puis il est devenu scénariste, quelques années avant Baron noir. C’est vraiment notre insider. Mais au-delà des connaissances d’Eric Benzekri, il y a tout un travail quotidien à faire : vérifier les sources, pousser chaque détail pour être vraiment au plus juste, au plus près de la réalité, de la façon dont pensent et parlent les gens. Ainsi, les scénaristes passent environ un quart de leur temps à échanger avec d’autres personnes, à s’imprégner, à poser des questions, à remettre en question leur scénario s’il n’est pas au plus juste de la réalité des thèmes abordés… Pour chaque thématique abordée dans la série, on va voir des spécialistes. Par exemple, si on propose une loi sur l’école, on se renseigne pour connaître les courants de pensée au gouvernement, dans des associations, des syndicats, etc. afin de savoir ce que pourraient dire nos personnages et que cela corresponde à leur courant politique.
Ce qui me frappe dans les retours que l’on a sur la série, c’est que les gens - qu’ils soient d’extrême droite, de droite, de gauche ou d’extrême-gauche - se reconnaissent dans le personnage qui incarne leurs valeurs à l’écran. Pour nous, c’était très important car nous ne sommes pas là pour stigmatiser un parti, un mouvement ou une personnalité. Au contraire, nous voulons que les personnages soient les plus forts possible. Le spectre politique doit être le plus juste possible pour donner un véritable tableau contemporain de la politique française.
Par exemple, nous avons fait en sorte que le personnage qui représente le FN soit intéressant, qu’il soit fort, dangereux, qu’il ait des propositions étonnantes et que le comédien qui l’incarne soit charismatique. De la même manière, François Morel, le comédien qui incarne la gauche de la gauche, doit avoir le verbe haut… C’est une forme de Mélenchon, mais ce n’est pas Mélenchon non plus, car il ne se comporte pas comme lui, d’un point de vue politique. De son côté, le baron noir, incarné par Kad Merad, porte le même surnom que Julien Dray, mais est très différent de Julien Dray dans son comportement, sa trajectoire… Il y a aussi du Clémenceau en lui. Ainsi, chaque personnage est un amalgame de différentes personnalités politiques - du présent ou du passé - qui passent dans un grand « shaker » et donnent une création originale.
Sans trop en dévoiler, pouvez-vous nous donner un aperçu de la saison 2 de la série diffusée depuis lundi dernier sur Canal + ?
La saison 2 est davantage tournée vers l’exercice du pouvoir, puisqu’Amélie Dorendeu est la première femme à devenir présidente. Nous explorons aussi la solitude du pouvoir.
L’écriture de cette saison a débuté au moment où Emmanuel Macron n’était encore que ministre, pas même encore « En Marche », les scénaristes ont donc dû faire un certain chemin d’écriture pour retomber sur leurs pattes. Mais, en dehors des questions électorales, ils ont travaillé sur deux grandes thématiques, qui sont des invariants du moment et continuent à être présents dans la vie politique : la force du populisme et la menace terroriste.