Entretien - Luc Rouban : la démocratie représentative est-elle en crise ?

Entretien - Luc Rouban : la démocratie représentative est-elle en crise ?

Dans son dernier ouvrage La démocratie représentative est-elle en crise ?, paru ce mercredi, Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS, rattaché au Cevipof, aborde la forte crise de confiance des Français envers le système démocratique actuel. Émile est allé à sa rencontre pour en savoir plus sur cette crise qui ébranle la démocratie représentative française. Quelles sont les perspectives d’avenir de notre démocratie et comment la France se positionne-t-elle vis à vis de ses homologues européens ?

Luc Rouban (Crédit: DR)

Luc Rouban (Crédit: DR)

Toutes les enquêtes récentes menées par les instituts de sondages montrent que si l’attachement des Français à leurs institutions a été très fort dans les années 1970, il est en très net diminution aujourd’hui. Comment expliquez-vous cette crise de confiance ?

Comme je l montre dans l’ouvrage, la question de la confiance politique est complexe. Par exemple, la confiance dans les institutions ou le personnel politique au niveau national ne repose pas sur les mêmes ressorts que la confiance politique au niveau local. Et la confiance politique n’est pas associée mécaniquement aux résultats économiques. On l’a bien vu en décembre 2017 lorsque l’embellie économique s’est associée à un effondrement de la confiance dans les institutions. Globalement, la baisse de la confiance politique vient de la conjugaison de deux phénomènes qui se sont accélérés depuis les années 1980. Le premier est l’abandon définitif de la Ve République gaullienne, qui articulait d’une certaine manière l’élitisme et le populisme, notamment dans l’usage fréquent du référendum. On est alors passé à la Ve République des partis. C’est bien la professionnalisation du personnel politique, national et local, et l’emprise des partis politiques sur les institutions qui ont rompu l’enchantement originel du gaullisme. D’une certaine manière, tout en respectant la Constitution, on en est revenu à la pratique politique de la IVe République, phénomène lui-même aggravé par la personnalisation du pouvoir et la perte de sacralité de l’État. Le second phénomène tient à la fracture sociale entre les plus diplômés, qui font état du niveau de confiance le plus élevé dans les institutions, et les moins diplômés qui ont très peu confiance dans une vie politique devenue difficile à comprendre et à décoder, qui apparaît élitiste et réservée aux initiés. C’est bien cette dynamique qui explique la perte de confiance des catégories les plus modestes, qui constituent une large part de l’électorat.

Quels sont les symptômes de ce déclin ? (Augmentation de l’abstention, méfiance vis-à-vis des institutions politiques et de leurs représentants…)

La démocratie représentative est-elle en crise ? Doc’en Poche-Place au débathttps://livre.fnac.com/a11160493/Luc-Rouban-La-democratie-representative-est-elle-en-crise

La démocratie représentative est-elle en crise ?
Doc’en Poche-Place au débat

https://livre.fnac.com/a11160493/Luc-Rouban-La-democratie-representative-est-elle-en-crise

Les symptômes de ce déclin se sont manifestés avec force lors des élections de 2017, quoi que l’on ait pu dire sur le renouveau de la vie politique : une abstention massive aux législatives, dépassant tout ce que l’on avait connu depuis 1946, reposant sur une protestation politique à l’encontre de l’offre électorale. Un autre symptôme, passé très rapidement sous silence, est le fait que 46% des électeurs au premier tour de l’élection présidentielle ont choisi des candidats défendant, bien que dans des perspectives différentes, l’idée d’un renouvellement des institutions et d’un renforcement de la démocratie directe. Une véritable partition de l’espace politique s’est alors produite distinguant les partisans d’un pouvoir vertical, notamment les électeurs d’Emmanuel Macron, généralement issus des classes moyennes ou supérieures diplômées, et les partisans d’un pouvoir horizontal fait de démocratie directe, que l’on retrouve dans les électorats de Jean-Luc Mélenchon, de Marine Le Pen et de la plupart des « petits » candidats, qui proviennent plutôt des catégories populaires.

Selon vous, comment renouer le lien politique avec des citoyens plus autonomes ? La démocratie directe ou la démocratie participative peuvent-elles en France, être des perspectives d’avenir ?

Je passe en revue les diverses solutions proposées pour résoudre la crise de la démocratie représentative. Celle-ci est profonde et les élections de 2017 n’ont rien réglé. Le recours à la démocratie directe est souvent érigé en solution-miracle, ce qui est loin d’être le cas. Par exemple, le référendum suppose que la question soit parfaitement maîtrisée par tous les électeurs, qu’il ne se transforme pas en plébiscite et que son résultat soit clair. C’est une arme à double tranchant qui peut conduire à renforcer la méfiance, surtout si les gouvernements finissent par ne pas en respecter le verdict comme on l’a vu en 2005 ou en 2018. Quant à la démocratie participative, elle a un rôle pédagogique incontestable mais suppose une disponibilité et un savoir dont tous les citoyens ne disposent pas. Là est le nœud du problème : les remèdes pour soigner la démocratie représentative souffrent également de la fracture entre les citoyens politisés et déjà impliqués dans la vie démocratique et tous les autres. Ne participent que ceux qui connaissent déjà la vie politique. La seule solution est d’élever le niveau de culture politique qui est très bas, comme je le montre à partir de l’enquête électorale du Cevipof.

En quoi la situation française est-elle différente des autres démocraties européennes ?

La comparaison internationale montre que la situation de la France s’est aggravée. Dans les années 2000, on pouvait la situer à mi-chemin entre les démocraties les plus heureuses, celles des pays scandinaves, et les démocraties les plus souffreteuses, au sud de l’Europe. On s’est rapproché de ce dernier groupe dans les années 2010. Mais la montée en force des populismes comme des partis d’extrême-droite dans des pays européens comme l’Allemagne ou l’Autriche montre que le phénomène de mise en cause des institutions représentatives est assez général et ne s’inscrit pas dans une géographie opposant les pays protestants nordiques et sérieux aux pays méridionaux catholiques et désinvoltes. Cette généralisation de la contestation radicale de la représentation comme des élites politiques traduit non seulement la réalité oligarchique de la plupart des pays européens mais aussi la concentration du pouvoir politique qui s’associe à la concentration du pouvoir économique.

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