Il étaient à Sciences Po en mai 68 : Françoise Bonnal

Il étaient à Sciences Po en mai 68 : Françoise Bonnal

Ils ont aimé la "révolution" un peu, beaucoup, passionnément...pas du tout. Ils ont accepté d'en parler. A l'occasion des 50 ans de Mai 68, Émile vous fait découvrir une sélection de témoignages d'Alumni, étudiants au moment des évènements.

Ces témoignages ont été publiés pour la première fois dans le numéro 150 du magazine de l'Association, à l'occasion des 40 ans de Mai 68.

Françoise Bonnal, psychothérapeute et énergéticienne, était devenue à 20 ans la "mère aubergiste" de Sciences Po.

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« Je venais d’une famille plutôt populaire – mes parents étaient instituteurs, de gauche et  banlieusards. En entrant à  Sciences Po, dont j’avais découvert l’existence à la télé, je débarquais dans un monde parisien, intellectuel et bourgeois, où tout le monde avait l’air de tout savoir, et où j’avais l’impression d’être Cosette.

Je ne pouvais que me sentir en phase avec le mouvement qui commençait, même si je n’étais pas personnellement politisée. Nous étions jeunes et nous avions envie de secouer  le carcan. Je l’ai secoué à ma manière. J’ai fait toutes les manifs, mais je n’aimais ni la bagarre ni les lacrymos. Mon objectif a donc été de faire de Sciences Po un lieu de repli, une sorte d’auberge, où l’on pourrait se retrouver, débattre… C’est ainsi qu’à 20 ans, je suis devenue, en quelque sorte, la « mère aubergiste » de Sciences Po. 

Nous allions, à tour de rôle, avec une vieille camionnette prêtée par un copain, faire des courses aux Halles à 5 h du matin. Nous achetions d’énormes blocs de pâté de foie pour  fabriquer des sandwiches.

Il me paraissait également important que les gens puissent dormir sur place, car nous  étions menacés par les « fafs » d’Assas – Madelin, Longuet, Malliarakis, etc. – qui venaient avec des barres et des boulons. Nous avions nous aussi trouvé des barres au gymnase, mais notre idée n’était pas de nous battre, mais plutôt de les empêcher de rentrer en  occupant l’école. On dormait par terre, il n’y avait pas de matelas…

Il fallait aussi se distraire. Je me suis retrouvée ainsi membre du Comité révolutionnaire d’action culturelle. J’allais chercher des affiches aux Beaux-Arts, pour décorer les murs. On affichait aussi des dessins faits spontanément par les étudiants. Nous avons également passé presque religieusement tous les Eisenstein – Le Cuirassé Potemkine, La Prise du Palais d’hiver… – à des étudiants gauchistes qui étaient à des années-lumière de l’idéologie communiste ! C’était hallucinant… Dans la même démarche, nous avons aussi tenté de créer des liens avec les ouvriers qui occupaient leurs usines. Nous sommes donc allés dans les usines de Boulogne-Billancourt pour passer le Cuirassé Potemkine aux ouvriers… Nous étions de parfaits boy-scouts.

Et enfin, il y avait l’infirmerie Mao Tsé-Toung. Nous avions apporté des couvertures, des tapis, des matelas… J’avais un diplôme de secouriste. On soignait surtout les yeux avec du sérum physiologique. On pouvait à l’époque passer 72 heures sans dormir.

On s’arrangeait  pour que le rez-de-chaussée soit propre, et j’ai volé des balais à ma grand-mère. L’idée, exactement comme dans les vraies traditions, était de ne pas abîmer l’outil de travail. Mais à la fin, le contrôle nous a un peu échappé : il y a quand même eu un taggage, « l’imagination au pouvoir » ou « il est interdit d’interdire »… Et j’ai même entendu dire au cours des derniers jours que certains avaient osé faire l’amour dans le bureau de Chapsal ou je ne sais pas où ! Pour nous, qui étions des enfants bien élevés, des gauchistes un peu boy-scouts, ceux qui se livraient à de telles provocations ne pouvaient être que de dangereux extrémistes.

À Sciences Po, il y avait des UEC – Union des étudiants communistes ; des Mao Spontex ; les rocardiens du PSU ; quelques SFIO, très peu ; et certainement des indicateurs de la police : pendant très longtemps il y a eu rue Saint-Guillaume un « délégué cégétiste » qui était là pour « voir ce qui s’y passait »…

Dans ces couloirs de Sciences Po occupé, tout le monde pouvait venir, c’était populeux pendant la journée ! Je me souviens aussi de professeurs qui venaient, qui ne savaient à quels saints se vouer ! Alain Lancelot, qui avait 30 ans à l’époque, et Alfred Grosser venaient aussi nous voir, mais eux avaient, je crois,  une petite attirance, une ouverture ; ils étaient timides, mais ils cherchaient à comprendre. Il y avait également nos aînés, qui avaient à peine un ou deux ans de plus, et qui préparaient l’ÉNA. Je me souviens notamment de la longue silhouette de Philippe Jaffré et du sourire d’Alain Grangé Cabane.

On essayait vraiment de faire un truc sympa : on était jeune, on avait envie de rire… Il y avait tout de même ça dans Mai 68, un côté bon vivant. »



Chronique - Le Mai 68 de Jacques Chapsal

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Ils étaient à Sciences Po en Mai 68 : Alain Juppé

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