Philippe Close, bourgmestre de Bruxelles : "Nous devons réconcilier la dimension internationale de Bruxelles avec sa politique de proximité."
En plaçant l’inclusion des populations précarisées au cœur de son modèle de développement urbain, Bruxelles revendique aujourd’hui une grande mixité sociale. La capitale belge fait cependant face à des défis multiples : poursuivre la transition écologique, dépasser définitivement son image de ville d’usage et continuer d’agir sur la réduction des fractures urbaines. Philippe Close, bourgmestre de Bruxelles, détaille à la rédaction d’Émile ses projets et les politiques mises en place par la ville.
Quels sont, selon vous, les principaux enjeux des 20 années à venir pour Bruxelles ?
Le premier enjeu se situe au niveau de la démographie. Nous prévoyons une augmentation de la population vivant en ville dans les années à venir : il faudra donc garder des zones vertes où l’on ne construit pas. D’un point de vue écologique, il sera crucial de conserver un équilibre entre l’espace occupé par l’homme et celui réservé à la nature, tout en œuvrant pour réduire la pollution citadine.
Avec le Plan Nature et le Plan d’action Agenda 21, Bruxelles et sa région semblent investies sur les questions de développement durable et de protection de l’environnement. Pouvez-vous nous en dire plus sur les ambitions de la ville en la matière ?
Il s’agit d’abord de diminuer l’empreinte énergétique de nos bâtiments, grâce au développement des énergies renouvelables et le choix de dispositifs moins énergivores, notamment pour l’éclairage. Nous encourageons également la consommation durable, particulièrement au sein des institutions, à travers des labels tels que Good Food. Quant à la mobilité, nous prévoyons une valorisation des piétons et des vélos via une campagne de sensibilisation et la mise à disposition d’itinéraires particuliers, comme des pistes cyclables, ainsi que des parkings à vélos et des zones adaptées.
Enfin, nous renforçons le maillage vert de la ville via l’implantation d’arbres en voiries, l’encouragement des riverains et des entreprises à placer des plantes grimpantes, l’installation de toitures vertes pour créer des relais de biodiversité aux espaces verts (avec un choix de plantes autochtones si possible). Sans oublier la bonne gestion des déchets : encourager le tri et favoriser les circuits de récupération, de recyclage, de compost…
Existe-t-il une coopération entre les différentes capitales européennes ? Si oui, sous quelle forme et quels en sont les sujets prioritaires ?
La coopération ne se limite pas aux seules capitales, elle existe entre des centaines de villes européennes, sous de nombreuses formes, que l’on pourrait diviser en deux grands groupes. Premièrement, les coopérations bilatérales, qui se construisent généralement en fonction de l’actualité, des liens historiques ou d’une volonté des autorités de deux villes (ou plus). Il peut s’agir, par exemple, d’un échange temporaire de formation de fonctionnaires à certaines problématiques (la politique climatique, le fonctionnement des services de police, la propreté publique, etc.), ou d’un jumelage autour d’un projet politique, économique ou culturel. Deuxièmement, des formes de coopérations plus structurées se construisent à travers des réseaux européens de villes et de capitales. L’adhésion à ces réseaux est souvent payante, ce qui leur permet d’avoir une vraie structure et de fonctionner comme n’importe quelle organisation internationale. Les objectifs de ces réseaux sont nombreux, mais visent généralement à être un lieu de réflexion et d’échange entre villes, ou à agir comme un groupe de pression pour défendre certaines causes. La priorité de la ville de Bruxelles est de conjuguer son rôle de capitale européenne et de ville cosmopolite, qui accueille sur son territoire 184 nationalités différentes. Notre position et notre visibilité uniques nous poussent à entretenir nos liens avec les autres villes et à consolider notre place au sein des différents réseaux.
Tout comme Paris, Bruxelles a été récemment confrontée à la violence des attaques terroristes. Quelles mesures de sécurité ont été prises ? Prévoyez-vous des aménagements spécifiques visant à renforcer la sécurité de votre ville dans les mois ou les années à venir ?
L’une des premières mesures a consisté à intensifier la présence de patrouilles et de militaires dans l’espace public et dans les hot spots sécurisés par des postes fixes (musées juifs, ambassades, lieux de pouvoir, etc.). Sur les artères piétonnes ou lors d’événements, nous avons également mis en place des dispositifs de sécurité anti-voitures béliers. Lorsque des événements ont lieu dans l’espace public, nous invitons désormais les participants à venir sans sac à dos et à se prêter à des fouilles à l’entrée. Par ailleurs, dans les quelques mois à venir, deux dispositions sont à l’agenda de la ville : d’une part, une adaptation du mobilier urbain au risque de voiture-bélier, d’autre part l’extension du réseau de caméras de surveillance.
Le Plan Canal a obtenu le premier Grand prix international d’excellence en urbanisme en 2016. Quels sont les objectifs de ce projet ?
Le canal de Bruxelles divise la ville comme une grande cicatrice urbaine : les Bruxellois ont tendance à fréquenter un côté ou l’autre du canal. Gérer une ville, c’est évidemment y voir son côté géographique et urbain. Ce canal est réellement une fracture. Nous y travaillons depuis des années. Le Plan Canal a donc pour objectif de résorber cette fracture, d’abord en accompagnant la mutation des quartiers industriels en quartiers d’habitats et d’équipements, puis en créant plus de ponts et de liens entre les quartiers du nord et du sud de Bruxelles. Nous prévoyons l’installation d’une marina, de logements, d’un musée d’art moderne, sans abandonner les fonctions industrielles de la ville et le marché matinal. Pour cela, nous collaborons avec Alexandre Chemetoff, un grand urbaniste, qui nous donne les lignes directrices pour les 30-40 prochaines années.
Quelles politiques sont mises en place pour renforcer l’attractivité de la ville ?
Il nous faut tout d’abord consolider l’image de la région de Bruxelles-Capitale, qui malgré ses 19 communes morcelées, fonctionne très bien. Ensuite, il faut réconcilier la dimension internationale de Bruxelles avec sa politique de proximité, qui ne sont pas incompatibles. De nombreuses institutions internationales sont présentes sur notre territoire, mais nous devons aussi rester une ville où il fait bon vivre, en développant les services aux habitants et les transports en commun. L’idée est de sortir Bruxelles de son image de ville d’usage des années 1950-60, où l’on construisait de grandes autoroutes urbaines qui traversaient la ville.
Quelle image avez-vous de Paris ? Quels sont les points forts et les faiblesses de la ville, selon vous ?
Ma vision est bien évidemment celle d’un Bruxellois. La grande différence entre nos deux villes est la place de la banlieue. Historiquement, la banlieue bruxelloise est très riche, tandis que la pauvreté se trouve dans le cœur de la ville. C’est à peu près le schéma inverse d’une ville comme Paris. L’organisation spatiale de Bruxelles permet d’avoir une logique de « matelas » : les précarités sociales sont mieux gérées car nous avons plus de mixité sociale. Je suis assez fier que des populations précarisées vivent aussi à la Grand-Place, le quartier le plus branché de notre ville. Nous travaillons tous les jours pour améliorer leur quotidien : en mettant en place, par exemple, des programmes de discrimination positive. En ce sens, Bruxelles est un vrai laboratoire urbain. Je vois donc Paris comme étant, certes, la plus belle ville du monde, mais aussi la ville la plus inégale. Celle où ne vivent pas les populations les plus précarisées.
En revanche, la plus-value de Paris c’est qu’il s’agit d’une capitale aimée des Français : on investit dans Paris, ses musées, ses équipements, ses transports. Il y a une vraie volonté de défendre Paris comme étant l’image de marque de la France. Bruxelles a connu le phénomène inverse : elle n’a pas été aimée des Belges, a longtemps été considérée comme une ville d’usage, peu financée et qui fonctionnait mal. Mais nous sommes en train de rattraper notre retard. Sur ce plan, Paris est un modèle car il y a une vraie ambition derrière cette capitale !