Y a-t-il une vie après l'Assemblée?
Si les anciens ministres et les poids lourds du Parlement n’ont pas eu de mal à rebondir après la déroute électorale de 2017, le choc de la défaite a été plus difficile à encaisser pour les députés du rang. L’heure n’est plus aux regrets, même si beaucoup tentent de se réinventer un avenir professionnel… voire politique.
Passé de plus de 300 à 30 députés, le groupe socialiste de l’Assemblée nationale s’est comme évaporé lors des dernières élections législatives. « C’est fou », s’étonne Émile Blessig. « Je crois que c’est une première, c’est bien pire qu’en 1993 ! » Le président du groupe des anciens députés, une sorte d’amicale des retraités du Palais Bourbon, et lui-même parlementaire de droite pendant trois mandats, compatit avec ses anciens adversaires. Et prédit une situation de plus en plus dure pour les élus de la nation désavoués par les électeurs, entre non-cumul des mandats et « antiparlementarisme latent ».
Une « forme de deuil »
Peu de députés battus ont pourtant poussé les portes de son association, qui propose plutôt des voyages qu’un vrai réseau pour tenter de rebondir. Alors, où sont donc passés ces hommes et ces femmes un jour engagés pour leur pays, et le lendemain sèchement renvoyés à l’anonymat ? Une plongée dans les gazettes locales donne à voir l’étendue des dégâts.
Ici, La Nouvelle République se fait l’écho d’un ancien « frondeur », Laurent Baumel, qui a retrouvé la Banque de France après une mise en disponibilité de presque dix ans. Une législative et une sénatoriale perdues plus tard, l’homme est toujours piqué de politique, mais confesse ne pas avoir de « plan de bataille ».
Là, Ouest-France rend compte du quotidien d’Hugues Fourage. Ce Vallsiste s’est laissé pousser la barbe et les électeurs le rudoient au supermarché : « Ils ont parfois le sentiment qu’on est des privilégiés, qu’on ne voit pas les choses, mais ce n’est pas vrai. Et au moment du vote, tout passe à la trappe », explique-t-il. Il parle même de « décompensation » après sa défaite, bien qu’il ait retrouvé rapidement l’entreprise qu’il avait quittée en 2012.
Du travail, tout le monde n’a pas eu la chance d’en retrouver d’un claquement de doigts. Si les ministres sortants n’ont eu aucun mal à se recaser (voir encadré ci-dessous), les députés du rang sont parfois à la peine. Comme Fanny Dombre-Coste, qui n’a pas passé le premier tour dans l’Hérault : « Le choc, ce fut avant tout la rupture avec les collaborateurs, comme une TPE qui s’arrête net. » Elle évoque carrément une « forme de deuil », qui n’a pas été aidée par la décision des services de l’Assemblée de lui imposer le versement de sa retraite de députée. À 60 ans, elle n’a donc pas eu droit à l’allocation de retour à l’emploi, malgré l’envie de mener de nouveaux projets. Alors, la sexagénaire a décidé de reprendre des cours d’anglais et de s’engager avec SOS Méditerranée, qui vient au secours des migrants.
Il faut dire que la double étiquette « politique » et « perdant » ne facilite pas les choses pour retrouver une activité. Si les fonctionnaires peuvent toujours reprendre leur poste, dans le privé en revanche, il est souvent plus simple de se mettre à son compte. C’est le cas de Sébastien Pietrasanta, ancien rapporteur d’une loi contre le terrorisme, qui a créé sa société de consulting sur les questions de sécurité. De quoi susciter l’admiration de son ancien camarade David Habib, pourtant réélu, qui y voit « l’exemple même d’une reconversion très bien négociée ».
Un cas d’école
Le retour à la vie comme simple citoyen oblige aussi à mettre de l’eau dans son vin. Christophe Sirugue, député, rapporteur du projet de loi Travail porté par Myriam El Khomri, puis secrétaire d’État à l’Industrie, a désormais enfilé la casquette de consultant pour le cabinet Tilder. Ironie du sort, l’ancien socialiste a été chargé par son nouvel employeur d’épauler les entreprises pour appliquer les ordonnances travail… la réforme phare du début du quinquennat Macron. Autre exemple, ce député de la majorité battu dans le Gard qui a retrouvé un emploi gratifié d’un salaire deux fois inférieur à son indemnité parlementaire. Pas de prime d’activité pour les anciens députés !
Le sort peut enfin se montrer beaucoup plus cruel. L’écologiste Véronique Massonneau décrit des premiers mois très difficiles : « J’étais en colère contre moi, contre les électeurs, contre la terre entière, même si je savais que ce serait dur. » Dans les pas de François de Rugy, elle avait pourtant rejoint le Parti écologiste, qui rassemblait les élus « Macron-compatibles » en désaccord avec la ligne d’Europe Écologie-Les Verts. Finalement, un candidat MoDem s’est présenté contre elle au dernier moment, ne lui laissant aucune chance. Cette ancienne gestionnaire de clientèle dans une grande banque n’a pas encore réussi sa reconversion. « Je suis un cas d’école pour le conseiller Pôle emploi, il est perdu », raconte-t-elle. Huit mois d’inactivité, voilà qui commence à faire long : « Ça ne m’était jamais arrivé. Je suis passée de la suractivité… à rien ! »
Encore la foi ?
À 58 ans, Véronique Massonneau explique que son engagement politique est à l’image de celui des Français, « dormant ». « Franchement, aujourd’hui, il n’y a personne qui me fait envie », résume-t-elle. Rayée de la carte électorale en 2017, l’écologie politique traverse une grave crise… Tout comme le Parti socialiste, où la refondation idéologique et l’absence de leadership posent question. Cependant, beaucoup de députés battus sont loin d’avoir déserté les rangs et font preuve d’un certain attentisme.
Comme Karine Berger (promo 98), toujours encartée au PS, mais qui a débranché son compte Twitter et qui refuse de communiquer sur sa nouvelle activité. Ou Mathieu Hanotin, qui garde un pied dans le parti, l’autre dans Génération.s, le mouvement de Benoît Hamon. À l’image de beaucoup d’apparatchiks, l’ancien directeur de campagne du candidat à la présidentielle s’est replié sur son mandat local, en Seine-Saint-Denis. Sanctionné par les électeurs dans la Nièvre, Christian Paul a lancé en février Monde commun, un centre de réflexions destiné à « réinventer la gauche et irriguer ses programmes ».
À cet égard, le prochain congrès socialiste début avril, précédé par l’élection d’un nouveau chef de file, sera décisif pour la reconstruction. Dans le sillage du groupe parlementaire rebaptisé Nouvelle Gauche par les rescapés de juin dernier, le changement de nom semble inévitable. Et le renouvellement des talents, indispensable. « En l’état actuel des choses et sans un vrai statut de l’élu, je ne conseillerais pas à la jeune génération d’avoir des ambitions nationales », tranche cependant Fanny Dombre-Coste. Alors que le nombre d’élus ne va cesser de baisser dans les prochaines années, entre la fusion croissante de collectivités et la réduction annoncée d’un tiers des parlementaires, l’ex-députée n’a qu’une chose à dire aux petits nouveaux qui souhaiteraient goûter au pouvoir : « Rester humble. » l