Inauguration de l'ambassade américaine à Jérusalem : "Le 14 mai s’inscrit dans un cycle politique beaucoup plus large"
Le bilan de la journée du 14 mai, à Gaza, a été impressionnant : près de 60 Palestiniens tués et 2 400 blessés. Cycle d’affrontements entre Israël et le Hamas, politique de Donald Trump au Moyen-Orient, alliance avec les monarchies du Golfe… Michael Darmon, journaliste et ancien correspondant de TF1 en Israël, nous livre son analyse de la situation.
In fine, pouvait-on s’attendre, le jour de la commémoration de la création de l’Etat d’Israël, à de telles violences, qui ont abouti à la mort d’une soixantaine de Palestiniens ?
Oui, on pouvait s’y attendre. Depuis des années, et indépendamment de la décision de transférer l’ambassade américaine à Jérusalem, cette période de l’année est toujours le théâtre de violences et d’affrontements. Elle rappelle à la population palestinienne la nakba « catastrophe » en arabe (période en 1947-1948 d’exode des populations arabes palestiniennes, NDLR). Toutefois, la décision prise par Donald Trump de transférer l’ambassade américaine à Jérusalem, fait empirer une situation habituellement très chaotique. A noter que, selon les autorités israéliennes, la majeure partie des personnes tuées semble être des activistes militaires du Hamas, ce que le Hamas a confirmé par la suite.
Cela étant, il est important de ne pas se focaliser sur cette unique journée de commémoration du 14 mai, qui apparaît comme un trompe-l’œil. Cette journée s’inscrit dans un cycle politique beaucoup plus large. Le Hamas et Israël s’opposent depuis très longtemps, l’un avec la puissance du faible, l’autre avec la puissance du fort. Ils essayent de se jauger politiquement, tandis que des processus internes sont en train de se produire au sein du Hamas, si l’on en croit les récentes déclarations de son leader, Yahya Sinwar, qui a récemment pris la parole dans la presse étrangère. Il y exprime clairement son souhait d’arriver à trouver une entente pacifique avec Israël. Par ailleurs, Il est important de préciser que, la « marche du retour », telle qu’elle a été dénommée, n’est pas une initiative du Hamas, mais de la société civile de Gaza, qui se veut très critique à l’égard du Hamas, au pouvoir depuis les élections législatives de 2006, à qui il est reproché de n’avoir pas su alléger le blocus et améliorer les conditions de vie de la population. Il est important de bien prendre en compte que cet évènement, et les violences qu’il a engendrées, ne se résume pas à la seule protestation envers Israël, mais aussi à une rébellion contre le pouvoir interne au pays. Depuis plusieurs mois, le Hamas essaye d’infiltrer et de récupérer ce mouvement...
Et pensez-vous que le Hamas est finalement parvenu à récupérer ce mouvement ?
Je ne sais pas vraiment s’il y parvient mais il a, en tout cas, réussi à y infiltrer quelques hommes. C’est pourquoi le Hamas a pu attester sans mal de la mort de 50 personnes, chiffre confirmé par Israël, dans les affrontements du 14 mai. Il ne s’agissait pas d’anonymes de la société contrairement à ce qui est souvent dit, mais bien d’activistes militaires. En termes de pertes de vies humaines, c’est, évidemment, tout aussi dramatique, mais, sur un plan politique, c’est totalement différent.
En prenant la décision de transférer son ambassade ce jour-là, Donald Trump souhaitait-il souffler sur les braises ou espérait-il, par la provocation, débloquer la situation ?
Donald Trump est quelqu’un qui aime le chaos, qu’il contribue, d’ailleurs, souvent, à créer. Il pense pouvoir en tirer quelque chose. Il se trouve être véritablement en rupture avec les codes et modes de fonctionnement habituels. Dans la région, il est associé à un autre « disrupteur », Mohammed Ben Salmane, le prince héritier d’Arabie Saoudite, 32 ans, qui est en train de bouleverser complètement sa société et, au-delà, la région du Moyen-Orient, en créant avec Washington, Tel-Aviv et le Caire un axe sunnite contre l’axe chiite formé par le Hezbollah (au Liban), et l’Iran. Je ne dis pas que ce que fait Donald Trump est bien, mais il sait très bien ce qu’il fait ; tous ceux avec lesquels il est associé voyant bien leurs intérêts dans cette situation, à commencer par Netanyahou, qui apprécie non seulement le symbole du déplacement de l’ambassade à Jérusalem mais voit aussi, à travers cet axe, l’occasion pour Israël d’être reconnu par les monarchies du Golfe, ce qui est en train de se faire. Ces transformations vont totalement remodeler le Proche-Orient.
Revenons sur Jérusalem pour le choix de l’ambassade. Le symbole est extrêmement puissant mais politiquement vide. Le bâtiment se trouve sur la ligne de démarcation entre Jérusalem-est et Jérusalem-ouest. Jamais Trump n’a évoqué, ces derniers jours, les frontières territoriales de Jérusalem. Le vrai enjeu concerne la souveraineté de la ville, et son partage, qui se fera dans le cadre de négociations internationales, tripartites et illégitimes. Donald Trump met un point d’honneur à appliquer toutes ses promesses de campagne, que ce soit sur le climat, l’acier ou encore l’ambassade à Jérusalem. De ce point de vue, il peut remercier le lobby des électeurs conservateurs juifs américains auprès desquels il s’était engagé, et qui l’ont largement soutenu lors de son élection. On assiste donc à la fois à un processus de changement intérieur, qui s’inscrit lui-même dans une démarche beaucoup plus large des alliances au Proche-Orient.
Dans un message vidéo diffusé le jour de l’inauguration de l’ambassade américaine à Jérusalem, Donald Trump déclarait que son plus grand espoir était celui de la paix dans cette zone. Vous qui avez vécu et travaillé en Israël, pensez-vous que la société israélienne actuelle soit encline à accepter une solution de paix à deux Etats, avec Jérusalem comme capitale partagée ?
Pour l’instant, ça me paraît compliqué sur la question de Jérusalem. Il y a une sorte de blocage. Une grande partie de la société israélienne place une véritable charge émotionnelle dans cette ville. Quant à la solution à deux Etats, c’est encore possible, à condition que la sécurité d’Israël soit garantie. Mais pour que cela fonctionne, il est nécessaire que les deux sociétés, palestinienne et israélienne, s’engagent dans un processus de refondation interne pour pouvoir arriver à coexister. La société palestinienne a besoin de moderniser son système politique, doit continuer à mettre sur pied toute l’armature d’un Etat capable de fonctionner et favoriser l’émergence d’une vraie classe moyenne.
Les Israéliens doivent également faire beaucoup de changements, notamment dans leur rapport quasi-névrotique à la religion politique, c’est-à-dire au fait d’être soumis aux conditions des petits partis religieux qui, à chaque fois, peuvent faire tomber ou pas un gouvernement, ou encore la nouvelle place que revendiquent les femmes dans cette société….
Il serait vain de croire, comme c’est souvent le cas en France, qu’un accord diplomatique signé sur le papier va régler la situation. C’est faux. La situation ne se règlera vraiment sur le long terme que si les deux sociétés font également des efforts et des progrès, notamment au niveau de l’éducation et de la pédagogie, sur leur propre histoire, dans leur propre vie. Ensuite, elles seront capables de pouvoir parler sereinement au voisin. Il faut aussi que les maisons se réorganisent de manière à ce qu’il y ait un voisinage possible et une entente sur le long terme.