Hélène Carrère d'Encausse, l'immortelle de Sciences Po

Hélène Carrère d'Encausse, l'immortelle de Sciences Po

La soviétologue qui a prophétisé la chute de l’empire soviétique à la fin des années 1970 a choisi d’enseigner à Sciences Po car elle voulait sensibiliser les futures élites à la culture russe. Un an après la chute du mur de Berlin, elle est devenue la première femme passée par la rue Saint-Guillaume à entrer à l’Académie française, dont elle deviendra secrétaire perpétuelle.

Par Nicolas Scheffer (promo 17)

Hélène Carrère d’Encausse définit volontiers ses origines comme une salade composée : un père qui vient de Géorgie, une mère russe de Pologne, des grands-parents de Suède, et d’autres d’Allemagne. Une chose est sûre, après avoir servi l’empire russe, une partie de ses aïeux sont marqués par l’exil après la révolution de 1917. Fille de l’Europe, Hélène s’est pourtant donnée entièrement à la France. Elle dont le nom de jeune fille, Zourabichvili, donnait du fil à retordre à ses professeurs qui ne parvenaient pas à prononcer l’enchaînement de consonnes d’un « nom à coucher dehors ».

Crédits : © Manuel Litran - Paris Match - Scoop

Crédits : © Manuel Litran - Paris Match - Scoop

Devenue immortelle, c’est le mot « lexicographie », la science des définitions, qui lui a été attribué lors de son installation. Quel plus beau cadeau pouvait-on offrir à  celle qui est devenue la gardienne de la langue française, une langue qu’elle n’a apprise qu’après le russe, à quatre ans et demi ? C’est à cet âge précoce qu’elle débute l’apprentissage de la lecture, apprenant tout à la fois deux alphabets et deux langues.

C’est par l’école qu’Hélène Carrère d’Encausse a construit son identité française tout en suivant, pendant son temps libre, un enseignement de culture russe dans une paroisse orthodoxe de la rive gauche. Née à Paris, elle restera pourtant apatride jusqu’à ses 21 ans.

Rue Saint-Guillaume, elle devient Madame le professeur

Son père, docteur en philosophie et chauffeur de taxi, mais surtout grand lecteur, refusait des clients lorsqu’il lui restait des pages à lire. Sa fille le copie et simule des maux de ventre pour manquer les cours et finir un livre. Elle apprend par cœur la Constitution, se prend de passion pour les croisades napoléoniennes et étudie l’histoire à Sciences Po (promo 52). Elle devient docteur en histoire avec une thèse de troisième cycle sur la Révolution en Asie centrale.

Elle choisit l’enseignement rue Saint-Guillaume en 1969 après un court intermède à la Sorbonne. Pédagogue et s’exprimant sans notes lors de ses cours, l’historienne veut « former un nombre considérable de spécialistes des pays communistes, à peupler les ambassades et les relations économiques avec le monde de l’Est par les anciens étudiants de ce cycle ». Elle se doute que ces « sujets exotiques » sont capitaux.

« Tsarine des soviétologues »

Quelques années plus tard, en 1978, elle prophétise l’éclatement de l’empire soviétique. Sa connaissance profonde du pays la pousse à comprendre, malgré la propagande communiste, que la stagnation économique et sociale est le problème « le plus urgent, le plus irréductible ». Qualifiée d’espionne, elle est déclarée persona non grata sur le sol de l’Union soviétique jusqu’en 1988 où Mikhaïl Gorbatchev, considérant qu’elle avait décelé les failles du système, l’autorise à retourner en Russie. Boris Eltsine lui propose même la nationalité russe qu’elle refuse par amour pour la France.

Boris Eltsine lui propose la nationalité russe qu’elle refuse par amour de la France.

Elle devient « la tsarine des soviétologues », pour Le Monde, la « soviète suprême », selon Libération. La femme de culture gagne des responsabilités à Sciences Po. Elle dirige le département des études soviétiques du Centre de recherches internationales (CERI) et se fait une place dans ce cénacle où les hommes sont plus que majoritaires : avec Suzanne Bastid, elle est la seule femme à enseigner.

Plus tard, elle devient également membre du comité directeur de l’Institut d’études slaves, vice-présidente des Archives diplomatiques françaises, présidente de commission du Centre national du livre. Européenne convaincue, elle est présidente du comité pour le « oui » au traité de Maastricht en 1992 puis deuxième sur la liste du RPR aux élections européennes de 1994.

Auréolée de succès académiques, Hélène Carrère d’Encausse devient, en 1990, la troisième femme élue sous la coupole de l’Académie française, après Marguerite Yourcenar en 1980 et Jacqueline de Romilly (1988). Elle occupe le fauteuil de Jean Mistler. En 1999, elle devient secrétaire perpétuelle, fonction la plus prestigieuse de l’Institut. Un rôle qui nécessite une organisation de fer pour poursuivre les recherches, et des allers-retours incessants entre la France et la Russie. Mais, confiait-elle à France culture en 2013, « je ne peux pas vivre ailleurs qu’à Paris ».


Repères

1929 Naissance à Paris

1978 Auteur de L’Empire éclaté, qui annonce la fin de l’URSS

1990 Élue à l’Académie française

1994 Députée européenne

1999 Devient la première femme secrétaire perpétuelle de l’Académie

2011 Faite grand’croix de la Légion d’honneur



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