Le grand débat : "Une opération de communication réussie"
Dans une interview publiée le 10 février dernier dans Le Figaro, Jérôme Sainte-Marie analyse la remontée dans les sondages du président de la République. Selon le politologue, le grand débat est pour le gouvernement « une opération de communication réussie ».
Propos recueillis par Pierre Lepelletier pour Le Figaro
Emmanuel Macron réalise une percée dans les sondages depuis le début du grand débat national. Comment expliquer ce phénomène ?
Jérôme Sainte-Marie : À la fin de l’année 2018, on décrivait un président de la République enfermé à l’Élysée, totalement coupé du pays, presque empêché de rétablir le contact avec la population. Ce grand débat donne à Emmanuel Macron une vertu de courage en allant directement au contact de ses contradicteurs. Il montre aussi sa capacité à maîtriser les dossiers, à argumenter sur des sujets extrêmement divers. Cependant, cette performance quasiment sportive avec des interventions très longues finira sûrement par lasser. On le voit déjà avec l’Audimat qui décroît de manière vertigineuse.
Sa proximité affichée avec les Français lors de ses interventions paie-t-elle ?
Pour les Français, il y a une forme de satisfaction de voir le président de la République, qui représente l’excellence à tous les niveaux, faire preuve d'humilité. Cela a commencé le 10 décembre lors de ses annonces pour répondre aux « gilets jaunes ». Emmanuel Macron était alors apparu dans une position de fragilité, contraint de rendre des comptes. Pour bien des Français, il y a une forme de revanche de voir celui qui représente toutes les élites se mettre à leur écoute et mouiller la chemise. Finalement, c'est quelque chose qui est le propre d'une campagne électorale. Voir des gens que l'on sait dominant socialement être obligé de se mettre à sa hauteur. C'est une forme d'humiliation symbolique propre aux campagnes. C'est un peu ce qu'on vit avec le grand débat.
Est-ce uniquement le grand débat qui a permis une forte remontée dans les sondages ?
Non, pas seulement, car face à une mobilisation des « gilets jaunes » qui perdure et qui prend des formes parfois violentes, Emmanuel Macron représente le parti de l'ordre. On l’a notamment vu avec la loi anticasseurs. Cela lui rallie nombre des Français que les troubles effraient, notamment à droite. À côté de cela, le grand débat lui permet d'allier cette image de sévérité avec une impression de dialogue. Cela lui permet de suggérer qu'il est à l'écoute. Il revient aux sources du mouvement En marche !, qui, un mois après sa création en avril 2016, avait réalisé un porte-à-porte national.
Quel électorat séduit-il principalement avec ce grand débat ?
Il rassure déjà son propre électorat, très largement issu du centre-gauche. Il séduit également bien des électeurs de gauche, à l'exception de ceux de La France insoumise. On peut ainsi dire qu'il parvient dans le même temps à rallier une partie des sympathisants de la droite classique, avec l'incarnation du parti de l'ordre, et une partie de la gauche classique avec l'incarnation du parti du dialogue.
L'opposition dénonce un président en campagne. Ce sentiment n'est pas un risque pour Emmanuel Macron ?
Les deux tiers des Français pensent effectivement que ce grand débat est une stratégie pour gagner les élections européennes. L'instrumentalisation politique est donc parfaitement identifiée. Les Français sont lucides. Ils savent que c'est le jeu. Par ailleurs, seule une minorité pense que le gouvernement tiendra compte des revendications. Preuve que la sortie du grand débat n'est pas encore réglée. À la fin, le gouvernement va recevoir des idées très riches mais incroyablement dispersées, sans aucun pouvoir contraignant pour les mettre en place. Toutefois, les Français seront toujours contents d'avoir pu donner leur avis. Cela montre que ce grand débat est une opération de communication réussie.
Mais n’y a-t-il cependant pas un risque de retour de bâton pour Emmanuel Macron si les revendications des Français ne sont pas entendues ?
Le grand débat n'a jamais eu pour vocation de modifier la politique du pouvoir. Pour le gouvernement, il sert avant tout à faire baisser la température du pays et à empêcher que les différentes demandes sociales se cristallisent autour du mouvement des « gilets jaunes ».
L'hypothèse d’un référendum pour conclure le grand débat est soutenue par une majorité de Français. Est-ce une bonne issue de crise ?
Il y aurait forcément une frustration puisque toutes les questions posées n'y seraient pas. Il y aurait aussi un autre risque majeur. Les électeurs pourraient mettre de côté les questions et se saisir de l'occasion pour sanctionner Emmanuel Macron. Le meilleur exemple est le référendum de 1969 impulsé par le général de Gaulle. À l'époque, les questions plaisaient à beaucoup, mais les Français avaient apporté une réponse négative afin de tourner la page du gaullisme. Le risque est le même aujourd'hui. D'autant qu'une majorité de Français continuent d'avoir de la sympathie pour le mouvement des « gilets jaunes » qui n'a quasiment plus de mots d'ordre sinon une protestation à la fois radicale et confuse contre le président de la République.