Les tensions entre la France et l'Italie ont atteint leur paroxysme en février dernier avec le rappel de l'Ambassadeur de France à Rome. Cet épisode diplomatique est-il symptomatique d'une crise en profondeur entre deux pays fondateurs de l'Union Européenne ? Ou bien s'est-il inscrit dans le contexte du débat électoral des élections européennes ? Ce « match des Européennes » a ainsi fait sortir le débat politique des frontières nationales. C'est désormais au niveau supranational que les partis jouent le jeu de l'attaque ou de la défense de l'Union européenne. Le 9 mai, Journée de l'Europe, la Section italienne et le Circolo franco-italiano de Sciences Po Alumni ont organisé à Milan une conférence-débat autour d’experts de politique italienne, française et internationale, afin d’analyser les enjeux derrière ces tensions.

Compte-rendu réalisé par Camilla Pagani (Section Italie), Lisa Alice Julien (Section Italie) et Rocco Ponzano (Circolo franco-italiano)

Les intervenants

Marc Lazar, professeur d'histoire et de sociologie politique à Sciences Po et à l’université italienne LUISS

Michele Salvati, professeur émérite d'économie politique à l'Université de Milan

Antonio Villafranca, coordinateur de la recherche et co-directeur du Centre Europe et Gouvernance Globale à l'ISPI (Institut italien pour les études de politique internationale)

Une crise sans précédents ?

Une centaine de personnes se sont réunies, le 9 mai, dans la salle du Palais Edison à Milan pour assister à la conférence « Italie-France aux Européennes: jeux et enjeux ». À cette occasion, Marc Lazar, Antonio Villafranca et Michele Salvati ont analysé les relations entre la France et l'Italie, dans le contexte des élections européennes. Plusieurs thèmes de l’actualité ont été abordés : l'histoire récente du rapport entre la France et l'Italie, les dimensions, raisons et conséquences de la crise entre ces deux pays, la compétition électorale entre différents partis européens, les enjeux politiques, économiques et sociaux du projet européen dans les années à venir, ainsi que les perspectives des élections européennes dans les deux pays et dans le contexte européen.

Quel rôle jouent la France et l’Italie dans l’Union Européenne ? Quelles sont les alliances en Europe et le rôle de l’Allemagne ? Existe-t-il une vision commune de l’Europe ? Quelles sont les perspectives pour la France, l’Italie et l’Europe dans le contexte actuel d’élections d’un nouveau Parlement européen ? « L'Italie a imaginé l'Europe comme une substitution à la faiblesse de la nation, tandis que la France a imaginé l'Union Européenne comme un prolongement de la nation française », nous dit Marc Lazar. Il aborde ensuite le dossier de la crise libyenne, qui a marqué un tournant dans les relations diplomatiques franco-italiennes et qui les impacte aujourd’hui encore, notamment en raison des migrants en mer Méditerranée.

“« L’Italie a imaginé l’Europe comme une substitution à la faiblesse de la nation, tandis que la France a imaginé l’Union Européenne comme un prolongement de la nation française. »”

— Marc Lazar

Mais d’où vient cette tension entre les deux pays fondateurs de l’Europe ? D’une défiance entre peuple et élite ? D’une défaillance de la représentation politique ? Existe-t-il des différences entre populistes et souverainistes français et italiens, ou bien ces mouvances sont-elles un phénomène européen ? « Les populistes-souverainistes exacerbent les conflits d'intérêt qui existent et que les gouvernements, les démocraties et l'Europe n'ont pas moyen de négocier », nous dit Michele Salvati.

Tout est-il donc perdu ? Antonio Villafranca rajoute que « l'Italie a besoin de la France sur beaucoup de dossiers ouverts : le budget pluriannuel 2021-2027 et la réforme de la zone Euro ». Pour commencer, du moins. Elle en a aussi besoin, entre autres, pour résoudre la crise migratoire à nos frontières ; pour défendre et promouvoir des économies à taille humaine et durables ; pour promouvoir nos valeurs communes d’égalité, fraternité et liberté ; pour parler d’une seule voix dans le monde et faire connaître à tous nos partenaires la culture et les savoir-faire européens ; ou pour faire fleurir les échanges commerciaux et les respectives économies. En effet, avec un flux d’environ 85 milliards d’euros d’échanges commerciaux entre la France et l’Italie en 2018, le « match » entre la France et l’Italie ressemble plus à une danse entre deux conjoints vieillissants qu’à un combat de coqs. Voire à un « ménage à trois », comme nous dit Marc Lazar : « la France est mariée à l’Allemagne, mais quand elle n’est pas contente, elle va voir son bel amant italien. »

De gauche à droite : Antonio Villafranca, Marc Lazar, Camilla Pagani et Michele Salvati. (DR)

Le public de cette conférence était composé d'Alumni de Sciences Po et d’autres grandes écoles françaises et universités italiennes, étudiants, journalistes, intellectuels et autres personnalités, dirigeants d'entreprise, banquiers, francophiles et passionnés des relations internationales. Le débat s'est conclu par un cocktail, pour continuer l’échange et pour fêter l'amitié franco-italienne et la journée de l’Europe.

Cette conférence a été possible grâce au soutien du cabinet CastaldiPartners, d’Edison (groupe EDF) et de Société Générale, que nous remercions.