Rétro - L’Union des étudiants de droite (1978-1984)
La fenêtre de son bureau surplombe Sciences Po… Il n’y a pas meilleur poste d’observation. En avait-il besoin pour tout nous raconter ? Pas vraiment. Sciences Po est une maison qu’il connaît bien : David Colon y a été élève, puis enseignant après son agrégation d’histoire, avant de diriger le campus parisien, il y a quelques années. Dans ce numéro, il revient sur l’action de l’Union des étudiants de droite à Sciences Po. La présence, en 1984, de Nathalie Loiseau sur l’une de ses listes avait créé la polémique en avril dernier, en pleine campagne des élections européennes 2019.
Cette Union est créée à Sciences Po en 1978 à la suite de la fusion du Groupe union défense (GUD) et de la Fédération des étudiants de droite (FED), qui étaient jusque-là en concurrence aux élections syndicales. Cette nouvelle organisation entend représenter toutes les organisations de la droite, ce qui, dans le vocable de l’époque, désigne ce que l’on appellerait plus volontiers aujourd’hui la droite de la droite ou la droite extrême. On y trouve en effet aussi bien des nationalistes, des royalistes maurrassiens, des intégristes catholiques, que des membres du GRECE (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne), des militants de l’UNI (alors proches de Jacques Foccart) et quelques « gaullistes de droite ». Leur plus petit dénominateur commun est le rejet de l’UNEF et de la gauche en général et la volonté de « préserver la spécificité de Sciences Po au sein d’une université gangrénée par le marxisme ». En 1978, l’UED fait campagne contre l’élection du Bureau des élèves (BDE) au suffrage universel, par crainte de le voir basculer aux mains de l’UNEF. « D’une manière générale », peut-on lire dans sa première profession de foi, « l’UED s’opposera fermement à toutes les propositions qui, sous couvert de “démocratisation”, visent à instaurer la démagogie et le terrorisme intellectuel marxiste. » En 1979, l’UED mène le combat contre l’influence présumée du marxisme dans les enseignements d’économie et contre l’intégration de la philosophie et de la littérature dans les enseignements. En 1980, elle s’oppose au projet de transformation du diplôme de Sciences Po en un diplôme national équivalent de la maîtrise. En 1981, elle demande que L’Équipe et Ouest-France remplacent en salle de presse Neues Deutschland, le journal du parti communiste est-allemand. Le syndicat se félicite alors d’avoir obtenu 11 % des voix, en dépit de la campagne menée contre lui par le Collectif des étudiants libéraux de France (CELF), « officine aux mains du gouvernement giscardien ».
Ce corporatisme bon teint se double en effet d’un engagement politique très marqué, qu’illustre le magazine Réplique, fondé en 1981 par Emmanuel Ratier. L’UED y affiche ses soutiens, tous très à droite : Édouard Frédéric-Dupont, qui y affirme « qu’il faut arrêter l’immigration » et demande aux immigrés de « rentrer chez eux », Hector Rolland, le député RPR qui s’est rendu tristement célèbre en qualifiant la loi Veil de « choix du génocide », Jean-François Chiappe, écrivain monarchiste membre du Front national, mais aussi Gérard Longuet, Jean Montaldo, Louis Pauwels et enfin Jean Raspail. L’UED fait circuler dans la Péniche des extraits de L’École des cadavres, pamphlet antisémite de Céline et organise, en 1980, un meeting en faveur de l’apartheid en qualifiant l’Afrique du Sud de « pays où il fait bon broyer du noir ». Ses membres n’hésitent pas à faire le coup de poing : le 28 janvier 1982, une violente bagarre oppose, rue Saint-Guillaume, les militants de l’UED, épaulés par une dizaine d’Iraniens partisans du Chah en exil, à des militants de gauche, notamment trotskistes. Ces derniers, en effet, sont la bête noire de l’UED, qui dénonce dans les colonnes de Réplique les « scandales » impliquant la gauche, de la dénonciation des liens entre la MNEF et des organisations trotskistes à l’infiltration d’Amnesty International par « de nombreux communistes », en passant par la stigmatisation de Régis Debray, « un terroriste à l’Élysée ». L’UNEF fait circuler, en 1981, une pétition demandant l’interdiction de l’UED, en vain. Le syndicat très droitier poursuit son action et son ascension, jusqu’à obtenir 17 % des voix en 1984. L’année suivante, il n’y a pas d’élections syndicales en application de la réforme universitaire, et l’UED disparaît du paysage, remplacée en 1987 par une section du GUD, qui prend le nom de Groupe nationaliste d’action révolutionnaire (GNAR).