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Réforme des admissions : Sciences Po répond aux questions des Alumni

Fin juin, l’école de la rue Saint-Guillaume a annoncé une réforme de sa procédure d’admission en première année, effective à partir de la rentrée 2021. Les anciens de Sciences Po ont été nombreux à réagir. Certains ont salué la démarche, d’autres se sont montrés dubitatifs voire mécontents et ont adressé leurs questions à la direction de l’école ou à l’association des anciens élèves. Bénédicte Durand, directrice des études et de la scolarité, répond aux interrogations des Alumni point par point.

© Thomas Arrivé / Sciences Po

Quels sont les objectifs poursuivis par cette réforme ? Sur quels principes s’est-elle construite ?

Nous voulons affirmer à la fois les valeurs d’égalité dans le traitement des candidatures et d’équité face aux inégalités socio-scolaires, que nous savons très fortes à l’entrée dans l’enseignement supérieur. Pour cela, nous avions besoin de réformer notre procédure d’admission. Ancienne, elle privilégiait les plus avertis, renforçait le privilège des initiés, et singulièrement ceux dont les familles ont les moyens de payer des préparations à l’examen écrit. Or, cet examen concerne aujourd'hui moins de la moitié des candidats : les meilleurs 10% des candidats par la procédure par examen en sont déjà exonérés, tout comme l'ensemble des candidats internationaux et CEP.

La suppression du concours ne risque-t-elle pas d’entraîner un nivellement par le bas ?

Commençons par rappeler qu’il ne s’agit pas de supprimer quoi que ce soit ! Nous assumons d’être très sélectifs et de le rester. Simplement, nous faisons évoluer nos critères de sélection. Nous ne craignons aucun nivellement, car nous savons déjà, par l'expertise que nous avons de l'examen de dossier, comment repérer les talents et toutes les formes d'excellence. Nous accueillons les meilleurs lycéens de France (97 % de nos admis ont une mention Bien ou Très bien au bac), et nous continuerons d’accueillir d’excellents lycéens et les plus motivés pour nous rejoindre. Mais nous pensons que l’excellence ne se résume pas à la performance scolaire : cette nouvelle procédure va nous apporter un regard panoramique sur des parcours d'élèves, avec à la fois la prise en compte de leurs notes, mais aussi de leur engagement au sein de leurs familles, dans leur lycée, dans leur ville. À Sciences Po nous attendons des jeunes filles et des jeunes garçons brillants, mais aussi persévérants, motivés, passionnés, engagés.

La suppression des épreuves écrites ne va-t-elle pas à l’encontre de la justice, de l’équité et de la promotion du mérite individuel par l’effort personnel ?

Nous ne supprimons pas les épreuves écrites, bien au contraire. Au lieu d’un seul examen sur table, désormais les candidats devront réussir plusieurs écrits : les épreuves du bac, les performances écrites en continu tout au long du lycée, et l’expression personnelle écrite que nous valoriserons dans le dossier lui-même. L’écrit reste au cœur de nos procédures d’admission et de la formation que nous dispensons à nos élèves. Nous sommes et restons une université de l’écrit, de la réflexivité, de la créativité, de la rigueur de la pensée. Cette réforme rend au baccalauréat son statut de passage vers l’enseignement supérieur. Elle va nous donner les moyens de construire un regard plus complet sur les parcours de nos candidats, sur leur mérite et sur leur effort personnel, que nous pourrons évaluer de manière plus fine, sur une durée plus longue, grâce à une combinaison de critères qui, naturellement, seront publics.

Cette réforme ne s’éloigne-t-elle pas de l’esprit originel de l’École libre des sciences politiques, voulu par Émile Boutmy ?

Je ne me permettrais pas de faire parler les mânes d’Émile Boutmy ! Personne ne peut se targuer de savoir s’il aurait approuvé ou non ce genre de mesures. En revanche, je crois que nous partageons avec le fondateur la conviction qu’il faut parfois savoir rompre avec les usages établis quand on prétend former les élites de demain. Quand il crée Sciences Po en 1872, Émile Boutmy n’a que cette idée en tête : mieux former ceux qui seront amenés à diriger la nation face aux plus dangereux défis, à savoir, à cette époque, la guerre. À ses yeux, la défaite de 1870 est en premier lieu celle des institutions académiques : rappelons qu’il crée une « École libre » - des sciences politiques - hors de tout cadre institutionnel existant, à l’époque. Pour lui, qui n’était ni riche ni célèbre, le pays avait besoin d’une élite plus ouverte et inventive. Il disait déjà que « Le moins que l’on puisse attendre d’un homme cultivé, c’est qu’il connaisse son temps ».

© Marta Nascimento / Sciences Po

Les défis ont changé : l’urgence climatique représente aujourd’hui la menace la plus préoccupante. Mais la question que nous nous posons n’a pas changé en 150 ans : comment donner le pouvoir d’agir aux décideurs de demain ? Nous sommes convaincus que pour réussir, il faut des talents issus de tous les horizons, sociaux, culturels, et géographiques. Et nous savons aussi, grâce à l’expérience des Conventions Éducation Prioritaire, que cette diversité ne se décrète pas : il faut aller la chercher. Je pense que Boutmy, qui a inventé une façon de former inédite à son époque, ne renierait pas ce volontarisme.

En quoi la nouvelle procédure est-elle « plus claire et plus accessible » ?

Elle est plus claire car les candidats n’auront plus à se demander à quelle procédure ils sont éligibles parmi nos trois procédures actuelles. Tout le monde sera logé à la même enseigne, quel que soit son lycée d’origine, son pays de résidence, sa nationalité. Et en ce sens-là, la clarté va de pair avec l’accessibilité : avouons-le, aujourd’hui, l’effort qu’il faut fournir pour se retrouver dans nos procédures, leurs étapes et leurs calendriers, est une épreuve en soi ! Cela peut en rebuter certains...

En réalité, nous fusionnons et gardons le meilleur des trois voies qui coexistent actuellement : l’exigence académique, la prise en compte des expériences et engagements personnels, et l’importance de l’oral pour détecter les potentiels.

Ajoutons que, pour les candidats qui préparent le baccalauréat de l’enseignement français, la présence de Sciences Po sur Parcoursup, aux côtés des autres parcours d’enseignement supérieur, a une portée qui n’est pas que symbolique. Cela peut contribuer, nous l’espérons en tout cas, à inscrire Sciences Po dans le champ concret des possibles, pour tous les candidats et leurs familles - et pas uniquement les « initiés » qui se préparent à y entrer depuis toujours et sont parfaitement au fait des calendriers et du processus à suivre, qui démarre tôt dans l’année de Terminale.

Qu’en est-il du concours d’entrée, est-il supprimé au seul profit du contrôle continu ?

La voie d’admission en première année est sélective et le restera ! Nous nous attendons à une augmentation importante du nombre de candidatures, comme cela a été le cas lorsque nous avons supprimé l’épreuve écrite à l’entrée en master l’an dernier. Or, nous n’allons pas augmenter le nombre d’admis : la sélectivité ne va donc pas diminuer, au contraire. En revanche, cet examen d’entrée à Sciences Po va prendre en compte des critères plus nombreux et plus diversifiés. Le contrôle continu sur les années de lycée représente une dimension importante de cette évaluation, mais pas la seule. Il sera pris en compte aux côtés des trois autres critères : les épreuves écrites en temps limité du baccalauréat, le profil du candidat et l’entretien oral.

© Manuel Braun / Sciences Po

En l’absence d’épreuve écrite – remplacée par un oral – comment s’assurer que les futurs étudiants de Sciences Po maîtrisent parfaitement la langue française (et ne font pas de fautes d’orthographe) ?

Tout d'abord rappelons que l'épreuve écrite n'est pas remplacée par l'oral. L'oral fait déjà partie aujourd'hui de l'ensemble des procédures d'admission au Collège universitaire. Nous accueillons les meilleurs lycéens et nous continueront de le faire : simplement, nous n’avons pas besoin des épreuves écrites pour déceler un très bon élève de Terminale. Avec la réforme du baccalauréat, cela devenait parfaitement redondant : pourquoi imposer une épreuve supplémentaire dans une année qui comportera déjà deux épreuves écrites anticipées, dont nous pourrons utiliser les résultats pour notre admission ? Les compétences écrites demeurent centrales dans cette voie d’admission, et nous les évaluons de manière plus fine qu’auparavant, avec des exercices écrits de différents types. L’oral complète le dispositif, et permet de révéler d’autres qualités, que nous recherchons, en plus de l’excellence scolaire : notre exigence est en réalité redoublée.

Puisqu'on augmente la sélectivité (davantage de candidats pour autant de places) et qu'on se fixe l'objectif de 30% de boursiers, les milieux très favorisés d'une part et les moins favorisés d'autre part seront probablement avantagés. Quid des classes moyennes ?

Nous avons déjà 26 % de boursiers parmi nos étudiants. Il faut donc faire un effort supplémentaire, pas démesuré mais notable, pour atteindre 30% : c’est pour cela que la réforme intègre cet objectif chiffré. Dans le détail, les lycéens boursiers du dispositif des Conventions éducation prioritaire – que nous allons doubler en termes de lycées concernés – fourniront un socle de 15% de boursiers. Et 15% seront fournis dans le vivier des candidats hors-CEP, que l’on va rendre plus divers grâce à ces critères d’admission plus ouverts. Mais ces critères plus ouverts, en nous adressant à une cible de candidats beaucoup plus large, notamment grâce à Parcoursup, vont également nous permettre de recruter des lycéens issus des classes moyennes. Nous agissons donc, bien au-delà des boursiers, sur l’ensemble du vivier de candidats, qui sera élargi et diversifié grâce à cette nouvelle procédure. Parallèlement, l’accueil plus large des lycéens français au sein de nos campus en région est également, un moyen d’offrir à ces étudiants des conditions d’étude et de vie, moins chères qu’en Île-de-France.

Que répondez-vous aux critiques qui jugent que la nouvelle procédure offre la part belle à l’arbitraire ?

Je voudrais les rassurer. Cette procédure, propose des critères qui sont à la fois plus nombreux et plus équilibrés. Le dossier, pièce maîtresse de la sélection, comprend des éléments qualitatifs et quantitatifs qui permettent d’apprécier de façon complète et objective le parcours du candidat. Nous cherchons d’excellents élèves, mais aussi des personnalités engagées, ouvertes, curieuses, capables de travailler en équipe, et désireuses d’avoir un impact sur le monde. C’est autant les connaissances que les compétences relationnelles que nous cherchons à évaluer. Enfin, l’échange avec le candidat lors de l’oral s’ajoute aux autres notes et permet de confirmer ou non le potentiel du talent que nous avons face à nous.

Nous avons une grande expérience de l’évaluation de dossier et d’entretien, que nous allons mettre à profit. Par ailleurs, les équipes de la Direction des admissions sont à pied d’œuvre pour fournir, en janvier, les modalités précises de cette évaluation, qui seront publiques et répondront de manière précise aux questionnements, souvent très pertinents et légitimes, des Alumni. Rappelons que ce sont les élèves qui viennent de rentrer en classe de Première, pour une admission en septembre 2021, qui seront concernés par cette réforme : le calendrier nous laisse le temps de parachever le dispositif comme il se doit.

Les étudiants français et étrangers seront-ils soumis à la même procédure de recrutement ?

Oui, je vous le confirme, à partir de 2021, tous les candidats à Sciences Po, français et internationaux, passeront par la même procédure d’admission. Nous devions en finir avec la multiplicité des procédures, selon que vous étudiez en France ou à l’étranger, que vous êtes en section internationale, ou non. Le système devenait illisible. Nous décidons d’adopter un système international calé sur les critères d’excellence des universités les plus réputées. Cette nouvelle voie unique est plus juste puisqu’elle permet de comparer les candidatures de tous les lycéens français et internationaux sur les mêmes critères.

Traiter tous les candidats de la même façon, est-ce la fin des Conventions éducation prioritaire et d’un dispositif qui a fait l’originalité de Sciences Po en matière d’égalité des chances ?

Bien au contraire. La voie d’admission spécifique créée en 2001 et baptisée « Conventions éducation prioritaire » a largement inspiré la réforme actuelle, notamment à travers la prise en compte du dossier et l’importance de l’oral : c’est l’ensemble du vivier de candidats que nous voulons diversifier. Nous allons également aller plus loin dans le dispositif CEP. Nous comptons doubler à terme le nombre de lycées partenaires, aujourd’hui au nombre de 106. Nous gardons ce qui a été construit depuis 20 ans, et qui demeure unique : l’accompagnement en amont des profils excellents qui n’auraient jamais imaginé candidater à Sciences Po, à travers un parcours d’appui à la réussite dans l’enseignement supérieur, et cela dès la Seconde. Tous les lycéens inscrits dans un lycée conventionné pourront bénéficier d’un dispositif qui s’inspire de notre expérience « premier Campus » mené à Reims depuis trois ans. La vocation de ce dispositif est de donner les clés pour réussir dans le supérieur, qu’on vise Sciences Po ou non.

La nouveauté, c’est que Sciences Po réservera 15% des effectifs de chaque promotion aux seuls étudiants boursiers issus des lycées CEP. Bien sûr, les lycéens qui auront suivi un atelier CEP sans être boursiers pourront se porter candidats à Sciences Po. Mais nous ajoutons un critère socio-économique qui mettra fin aux effets de contournement apparus avec le temps dans la procédure.

© Marta Nascimento / Sciences Po


La réforme en résumé


À partir de 2021, tous les candidats en première année à Sciences Po, dans tous les pays et tous les lycées, passeront par la même procédure d’admission pour entrer en première année. Les trois voies d’admission actuelles pour l’entrée en première année laisseront la place à une seule et même procédure qui évalue chaque candidat selon 4 dimensions :

  • la performance académique au lycée

  • la moyenne des épreuves écrites du Bac (ou son équivalent étranger)

  • le profil du candidat : les éléments qualitatifs sur sa motivation et les éléments spécifiques aux élèves qui ont suivi le parcours CEP

  • la performance orale lors d’un entretien

Le tout en deux temps : une phase d’admissibilité pour tous les candidats, à travers les éléments 1, 2 et 3 du dossier, et la phase d’admission avec l’oral, pour les candidats admissibles. Autre nouveauté pour les candidats français : ils suivront tout le parcours via Parcoursup.

Les candidats seront ainsi sélectionnés sur leur parcours scolaire au lycée, leurs expériences et engagements personnels, leur performance au Baccalauréat ou son équivalent étranger et ce que l’entretien oral révèle de leur potentiel. C’est la somme de toutes ces composantes qui décidera de l’admission. Contrairement à l’oral actuel, l’entretien de la nouvelle procédure ne sera pas éliminatoire : son résultat est combiné avec les autres notes.

Cette procédure est conçue pour intégrer les talents les plus susceptibles de s’exprimer pleinement à Sciences Po, en cohérence avec le projet de formation de l’établissement. Sa pleine intégration dans Parcoursup rendra possible un accès plus lisible auprès d’un plus grand nombre. Enfin, cette nouvelle voie d’accès renforce l’engagement de Sciences Po en matière d’ouverture sociale, en s’assurant d’accueillir a minima 30 % de boursiers sur l’ensemble des nouvelles promotions.