Les étudiants de l'école de journalisme de Sciences Po gagnent du terrain

Les étudiants de l'école de journalisme de Sciences Po gagnent du terrain

Quitter le boulevard Saint-Germain pour aller au plus près de l’événement, c’est le conseil de l’École à ses journalistes en herbe, à l’approche des municipales, en mars prochain. Depuis la rentrée, 68 élèves arpentent 37 zones du Grand Paris. Morceaux choisis de leurs reportages.

Par Alice Antheaume, Directrice exécutive de l’École de journalisme de Sciences Po

Un après-midi de septembre, Patrick Balkany, le maire de Levallois-Perret, est pris à partie par deux militants de la Ligue de défense noire africaine (LDNA), près de l’hôtel de ville. Anthony Lebbos, étudiant à l’École de journalisme de Sciences Po, filme la scène avec son Smartphone. Il interroge des témoins avant même que la police arrive, mette en garde à vue les deux hommes, questionne le jeune reporter et demande à visionner sa vidéo. Le lendemain, l’altercation fait les titres des grands médias nationaux.

« Avoir été là, sur le terrain, au moment même où se déroulait un événement qui mêle le couple Balkany, l’association des commerçants du coin et jusqu’à Marlène Schiappa, la secrétaire d’État chargée de la lutte contre les discriminations, m’a donné de la légitimité, raconte-t-il, j’ai eu l’impression de vraiment devenir journaliste ! »

Si Anthony est sur les lieux, c’est qu’il couvre la commune de Levallois-Perret dans le cadre de sa formation en journalisme. Comme lui, chaque élève de master 2 s’est vu attribuer une zone géographique, en petite et moyenne couronne de Paris, à distance respectable de son domicile, mais dans un secteur différent de son lieu d’habitat, afin d’en faire son territoire d’investigation. Alexandra à Noisy-le-Grand, Sofiane à La Courneuve, Khadija à Poissy, Adrien à Aubervilliers, Clément à Ivry, Claire à Bondy, Léa au Blanc-Mesnil, Freya à Courbevoie et tant d’autres.

Chaque élève de master 2 s’est vu attribuer une zone géographique, en petite et moyenne couronne de Paris. (Crédits : Alice Antheaume)

Chaque élève de master 2 s’est vu attribuer une zone géographique, en petite et moyenne couronne de Paris. (Crédits : Alice Antheaume)

Il faut continuer à franchir le périphérique

Au total, 37 zones intégrées au projet du Grand Paris ont été définies selon leur intérêt journalistique afin d’être arpentées par les élèves. Objectif ? Les confronter à un exercice primordial et inhérent au métier de reporter : couvrir un terrain inconnu, en cerner les enjeux en se faisant connaître des sources locales, afin de comprendre et de raconter ce qui s’y passe.

Un dispositif imaginé dès le mois de décembre 2018, lors d’un séminaire de l’équipe pédagogique, après une année marquée en France par les manifestations sociales, des critiques exacerbées contre les journalistes et une défiance généralisée envers les médias. Autant d’éléments qui bousculent les conditions d’exercice du métier et, en amont, les formations des futurs journalistes.

Pendant que l’on étudie à l’École de journalisme de Sciences Po, dans le chic VIe arrondissement de Paris, il faut continuer à franchir le périphérique pour renforcer le travail de collecte d’informations sur le terrain, dans des communes d’Île-de-France. Car raconter les histoires des « gens », comme on le dit dans le métier, c’est d’abord aller à leur rencontre, les écouter, et passer assez de temps sur place pour saisir la complexité des situations.

L’écriture est à la base de tout

Ce temps est indispensable pour ne pas rester à la surface des choses, pour échapper au rythme hypnotisant de l’actualité permanente et surmonter les difficultés premières de la production d’information. Rencontrer des personnes qui ne veulent pas vous parler, toquer aux portes qui se referment aussitôt, solliciter des rendez-vous auprès d’instances qui barrent l’entrée. Combien de refus les étudiants ont-ils essuyés ? Combien de mairies méfiantes ou récalcitrantes, d’habitants qui ne comprennent pas la démarche, de gens qui n’ont pas le temps pour ne pas dire l’envie, de « on va vous rappeler », qui sont autant de fins de non-recevoir ? Leçon d’humilité journalistique, de persévérance, avec la nécessité de remettre, toujours, l’ouvrage sur le métier, ont été au cœur de cet enseignement.

Les publications des élèves font donc la part belle au reportage et à l’enquête, rendus à l’écrit. Il s’agit de proposer un angle de traitement original, apporter des informations de première main, choisir avec soin ses sources, construire une narration intelligible, avec des témoins, des éléments d’ambiance, une unité de lieu et d’espace, des mots justes et du contexte. À ceux qui craignent un format quelque peu old school, loin de la production de vidéos calibrées pour les réseaux sociaux, Bruno Patino, le doyen de l’École de journalisme, répond : « L’écriture est la base de tout dans le journalisme. On rédige certes des articles pouvant être lus, mais on écrit aussi des informations destinées à être vues ou écoutées, quelle que soit la plateforme de diffusion. »

Organiser cette production géante impliquant 68 élèves répartis dans toute l’Île-de-France, à la fois en français et en anglais, a été un casse-tête. Il a fallu imaginer un enseignement d’un nouveau genre, qui rompt avec le traditionnel cadre des cours, avec 14 enseignants choisis pour leur expérience de reporter, rédacteur en chef et correcteur hors pair. Ceux-ci ont suivi leurs élèves, via des points hebdomadaires d’une durée de trois heures au sein de l’école, et aussi via SMS, WhatsApp, emails, du lundi au dimanche. Quand, en M1, les élèves avaient appris à produire des sujets en binôme, « ils ont, au cours de cette expérience, éprouvé pour la première fois la solitude du reporter, envoyé sur un terrain qu’il ne connaît pas », constate Soizic Boisard, l’une des enseignantes, rédactrice en chef adjointe à BFM TV. Autre enseignement clé de cette réforme : apprendre aux élèves à collaborer de façon professionnelle avec un référent, lui-même pris par ses activités professionnelles. Exactement comme dans une rédaction. Un point qu’appréhendaient certains enseignants, craignant de ne pouvoir se rendre disponibles 24 heures sur 24. « Je salue la maturité des élèves », estime après coup Antoine Bayet, responsable des éditions numériques de l’INA. « Les sollicitations sont plutôt condensées, personne n’est parti dans des échanges incessants, les élèves proposent des solutions lorsqu’ils sont confrontés à des problèmes. » L’art et la manière.


MORCEAUX CHOISIS

Les habitants des Tilleuls ne savent pas ce qui les attend

Par Léa Szulewicz

Le quartier des Tilleuls au Blanc-Mesnil (Crédits : Nicolas Oran)

Le quartier des Tilleuls au Blanc-Mesnil (Crédits : Nicolas Oran)

Au nord du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), le quartier des Tilleuls fait l’objet d’un projet de réaménagement de ses 2 500 logements sociaux, pour davantage de mixité sociale. Si jusqu’à présent la « ghettoïsation » du quartier représentait un enjeu de police, à l’approche des municipales, en mars, la question a pris une dimension électorale. Avec près de 12 000 habitants, Les Tilleuls représentent un cinquième de la population blanc-mesniloise : un électorat conséquent s’il se déplace aux urnes. Les élus locaux l’ont bien compris. « C’est une promotion sociale d’habiter dans des logements avec de belles façades neuves, on veut que les gens se disent : “On a droit à ça, le maire nous respecte” », sourit Thierry Meignen, le maire du Blanc-Mesnil engagé auprès de la présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, au sein de son mouvement politique, Libres !. « On va faire un petit Neuilly ! », lui répond-on. Au sein de ce quartier qui a été un bastion communiste pendant 80 ans, de tels propos veulent « flatter l’électorat de droite », dénonce Sandrine Hedel, membre de la Gauche républicaine et socialiste, et candidate à la mairie. Pour elle, le projet de réaménagement des Tilleuls est une stratégie électoraliste pour « changer la population de la ville, surtout dans un quartier qui vote à gauche. »

Asnières-sur-Seine, les bons, les menteurs et les truands de la politique

Par Pauline Blanc

Manuel Aeschlimann, maire d’Asnières. (Crédits : Brumatechec)

Manuel Aeschlimann, maire d’Asnières. (Crédits : Brumatechec)

À Asnières (Hauts-de-Seine), le rideau de la campagne des municipales se lève pour laisser entrevoir le même spectacle qu’en 2014 : une bataille politique avec son lot de critiques et de coups bas. « Asnières est un panier de crabes », confie un journaliste du Parisien qui a couvert le « 92 », « il y a de fortes personnalités ». À commencer par le maire Les Républicains, Manuel Aeschlimann. Ce proche de Nicolas Sarkozy a été maire de 1999 à 2008, avant d’être réélu en 2014. À son actif, plusieurs condamnations : 18 mois de prison avec sursis en 2011, 20 000 euros d’amende et un an d’inéligibilité pour favoritisme dans l’attribution de marchés publics. Puis, en 2014, une condamnation pour diffamation contre Sébastien Pietrasanta (maire d’Asnières de 2008 à 2014), qu’il accusait d’avoir autorisé le tournage d’un film pornographique dans les locaux de la mairie.
Des noms d’oiseaux devenus courants, notamment sur Internet. Tel David contre Goliath, les petits partis citoyens usent de leurs blogs et réseaux sociaux comme lance-pierre. Une barrière végétale près de la gare ou la promesse de ne pas augmenter les impôts, chaque déclaration de Manuel Aeschlimann est sujette à un débat en ligne. Mais si l’élu se dit prêt à accepter les critiques, la calomnie, c’est non. « L’une des particularités du maire, c’est d’attaquer ses opposants en justice » fait savoir Clément Dautelle, ancien agent municipal, ex-PS, de l’association Les Veilleurs Asniérois. En six ans, le conseil municipal a voté à 18 reprises la prise en charge par la ville des frais d’avocats du maire ou de ses adjoints. Un luxe pour les élus de l’opposition. Pour le maire, la réponse est simple : pas de médisance, pas de procès.

Parti socialiste à Ivry : ne dites plus « Solférino », mais « Molière »

Par Clément Martin

Le nouveau siège du PS à Ivry-sur-Seine (Crédits : Clément Martin)

Le nouveau siège du PS à Ivry-sur-Seine (Crédits : Clément Martin)

Après la vente de l’immeuble historique de la rue de Solférino pour renflouer les caisses du parti, les socialistes se sont installés à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), rue Molière, dans une ancienne usine pharmaceutique. Sept millions d’euros, travaux compris. Un siège en banlieue « rapprocherait le parti de son électorat » a justifié la direction. Stéphane Le Foll, l’ancien ministre de l’Agriculture et maire du Mans, rétorque : « J’en entends certains qui s’expriment en disant “c’est génial, on va pouvoir changer de lieu et se rapprocher des couches populaires. Et puis comme ça, les couches populaires vont voter pour nous.” On va bientôt aller dans la Creuse, d’ailleurs parce qu’il faudra se rapprocher des couches rurales aussi… ça n’a aucun sens ! » D’autant qu’Ivry est une ville historiquement communiste. « Je ne saute pas de joie à ce que le nom d’Ivry soit associé à la direction nationale du PS », avoue Philippe Bouyssou, le maire communiste de la ville dans Le Parisien. Surtout que les socialistes du conseil municipal sont en opposition totale avec la majorité communiste. Le maire leur lance une pique : « C’est la reconnaissance de l’attractivité d’Ivry où la flambée des prix a été maîtrisée. Ce sont nos politiques publiques qui leur permettent d’avoir ces locaux-là. »

Levallois : qui veut prendre la place de Patrick Balkany ?

Par Anthony Lebbos

Crédits : Anthony Lebbos

Crédits : Anthony Lebbos

« 2020 ! 2020 ! On va gagner ! », scandent, le dimanche 15 septembre 2019, une cinquantaine de partisans des Balkany, rassemblés devant l’hôtel de ville de Levallois (Hauts-de-Seine). Vêtus de T-shirts imprimés au nom de leur maire, les soutiens du couple militent pour qu’un Balkany se présente aux municipales : « Patrick ou Isabelle, qu’importe ! On soutient les deux ! Si c’est Isabelle, on soutiendra Isabelle. Ils sont indissociables », s’enthousiasme Sophie. Isabelle Balkany joue la carte de l’omniprésence médiatique. BFM TV, Europe 1, LCI, CNews, les interviews que chaque chaîne revendique « exclusives » se multiplient. Et toutes les occasions sont bonnes pour se mettre en scène… avec un œil sur les municipales ? « Je me fous de la campagne », assure Isabelle Balkany, sourire en coin, ne pouvant s’empêcher de commenter le choix de La République en marche d’investir une cadre de 28 ans pour briguer la mairie. « Les étiquettes partisanes ne nous concernent pas (…) moi, je fais de la politique pour les Levalloisiens », plaide-t-elle. Au-delà du symbole, l’enjeu est celui d’une vie passée à la mairie, arrachée aux mains des communistes en 1983. « Hors de question que cette ville bascule », prévient Roger Karoutchi, sénateur Les Républicains des Hauts-de-Seine, « venu par amitié » dans le jardin de la mairie.

Qui a peur du grand méchant glyphosate à Saint-Maur-des-Fossés ?

Par Louis Ninnog

« Comment allez-vous appliquer votre mesure et protéger la population ? » Dans la salle du conseil de la mairie de Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne), l’élue d’opposition écologiste Élisabeth Bouffard-Savary interpelle le maire, Sylvain Berrios, qui a pris un arrêté municipal interdisant l’utilisation de glyphosate et de perturbateurs endocriniens sur sa commune. L’élu divers droite a ainsi emboîté le pas à huit autres villes limitrophes majoritairement de gauche qui ont pris des décisions similaires. « Cette action est symbolique », réplique Sylvain Berrios. Car selon le Code général des collectivités territoriales, « l’utilisation des produits sanitaires relève d’un pouvoir de police spéciale du ministre chargé de l’Agriculture ». Ces arrêtés municipaux sont donc illégaux. Ils ont été attaqués par la préfecture devant le tribunal administratif, comme les 80 autres pris en France depuis le début de l’année.

(Crédits : Shutterstock)

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