Coronavirus : est-on à l'aube d'une crise économique mondiale ?
En pleine crise du Covid-19, qui vient d’être qualifié de pandémie par l’OMS, les places boursières se sont effondrées ce lundi 9 mars, et le prix du baril de pétrole a dévissé de 30%. Alors que partout, les États et organisations internationales s'organisent pour faire face aux difficultés économiques occasionnées par le virus, l’avenir est difficile à appréhender. Christopher Dembik (promo 10), responsable de la recherche économique chez Saxo bank, analyse pour Émile la situation.
Quel est le lien entre l’épidémie de Covid-19 et le krach pétrolier survenu ce mardi 10 mars ?
Historiquement, les crises économiques résultent de la combinaison entre un choc exogène, dans ce cas de figure le coronavirus, et un choc sur les matières premières, souvent le pétrole. La forte baisse des places boursières lundi dernier, avec des replis de l’ordre de 8 à 10% pour les principaux indices mondiaux, reflète directement la crainte des investisseurs d’une récession. Cette crainte est pour l’instant exagérée. Certaines économies vont entrer en récession, comme l’Italie, mais nous ne sommes pas face à une crise similaire à celle de 2007-2008 s’accompagnant d’une instabilité financière forte. Le rôle des politiques et des banquiers centraux est justement de s’assurer qu’on n’en suivent pas le chemin, en utilisant rapidement les armes budgétaires et monétaires à notre disposition. On l’a vu en Asie, à Singapour ou à Hong Kong : la vitesse de la réponse est essentielle pour contenir les conséquences économiques. Jusqu’à présent, l’Europe a été bien trop timorée dans sa réponse à la crise.
L’épidémie de Covid-19 aura-t-elle de lourdes conséquences pour les entreprises et l’emploi en France ?
La bonne nouvelle, c’est que nous n’observons pas de rupture dans la chaine de production en France. En revanche, la situation pourrait se dégrader dans les semaines à venir sous l’effet de la quarantaine en Italie. En effet, nous sommes deux fois plus dépendant dans notre chaîne de valeur des approvisionnements en Italie qu’en Chine. Concrètement, nos entreprises s’approvisionnent beaucoup en biens intermédiaires en Italie. Plus la quarantaine sera longue, plus cela va se répercuter sur les capacités de production de nos entreprises et potentiellement sur l’emploi.
Dès à présent, il est important de soutenir davantage nos chefs d’entreprise. Le meilleur levier pour le faire n’est pas la politique monétaire mais la politique budgétaire. Les mesures d’urgence pourraient consister en des allègements fiscaux afin de préserver un nombre maximum d’emplois. C’est la priorité numéro 1. L’un des avantages des abattements fiscaux, c’est qu’ils ont un effet assez rapide sur l’activité économique (le décalage entre la mise en œuvre des allègements fiscaux et l’impact économique est généralement estimé entre 2 mois et 18 mois). Certaines mesures récemment prises en Asie pourraient inspirer la zone euro, comme la baisse de 25% de l’impôt sur les sociétés décidée par Singapour pour 2020. On peut également envisager une réduction des cotisations sociales pour toutes les entreprises. J’estime qu’un paquet budgétaire représentant environ 1% du PIB trimestriel pour les pays les plus exposés à l’épidémie peut constituer un bon cadre de départ. Pour la France, cela signifierait que le gouvernement présente un programme de relance chiffré entre 6 et 7 milliards d’euros.
Dans un deuxième temps, si la crise dure plus longtemps que prévu, la relance budgétaire doit reposer sur une augmentation des investissements publics. L’investissement public a généralement le plus long décalage entre la mise en œuvre des mesures et l’impact sur l’activité économique. Néanmoins, il s’agit d’un levier pertinent à actionner car il permettra de donner plus de visibilité aux entreprises concernant leurs carnets de commande pour les prochains trimestres, contribuant ainsi à stabiliser la confiance des entreprises et les investissements.
Ces conséquences seront-elles encore plus importantes si la France venait à prendre des mesures de confinement comme celles prises en Italie ?
La mise en place de vastes zones de quarantaine induit un gel de l’économie. L’effet est évidemment négatif sur la consommation, la confiance des agents économiques, etc. Néanmoins, si l’épidémie devient incontrôlable, il vaut certainement mieux suivre l’exemple chinois qui consiste à confiner de vastes zones économiques, quitte à accepter un effondrement du PIB sur le court terme. Cela permet d’endiguer rapidement l’épidémie et donc d’avoir une reprise rapide de l’activité économique à condition que l’État mette sur la table des mesures de soutien suffisantes.
L’Europe étant très touchée par l’épidémie, la BCE est-elle en mesure de pouvoir soutenir efficacement l’économie ? Quelles mesures pourrait-elle envisager en ce sens ?
Une banque centrale n’est pas en mesure de répondre directement au choc d’offre et au choc sur la demande résultant de l’épidémie de coronavirus. En revanche, elle peut s’assurer que les conditions financières soient bonnes afin de permettre aux entreprises de se refinancer à des taux bas. D’où l’intérêt de lancer une facilité de prêt spéciale à destination des PME et des ETI qui sont les plus vulnérables à la crise. C’est ce qu’a annoncé mercredi matin la Banque d’Angleterre et c’est vraisemblablement ce que devrait faire la BCE. Contrairement à ce qu’on a pu entendre ces dernières années, les banques centrales disposent encore d’une myriade d’outils pour faire face à une crise, qu’il s’agisse d’augmenter les rachats de dette souveraine ou de dette d’entreprises, d’acheter de la dette senior (endettement auprès des établissements financiers) ou encore des ETFs (produits d’investissement qui suivent l’évolution d’un indice boursier).
Que penser de la résilience de notre système économique au vu de l’impact du Covid-19 ?
Notre système économique est finalement très résilient et a réussi à surmonter au cours des dix dernières années un nombre incalculable de crises. Il est évident que l’épidémie de coronavirus souligne notre dépendance, a minima au niveau des chaînes de production, à l’égard de l’Asie et surtout de la Chine. Je doute toutefois que les entreprises décident, une fois le retour à la normale, de massivement relocaliser en Europe. Au mieux, elles vont poursuivre le mouvement entamé dans la foulée de la guerre commerciale qui consiste à délocaliser des activités de Chine vers l’Asie du Sud-Est, notamment le Vietnam, où le coût du travail est encore attractif, y compris dans les secteurs de haute technologie comme la téléphonie. Il est illusoire, à moins de pressions de la part des responsables politiques, en particulier à l’égard des laboratoires pharmaceutiques, qu’on ait des vagues massives de retour d’industries en Europe.