Sciences Po, école de diplomates ?
La diplomatie fait partie de l’ADN de l’École depuis sa création. Près de 60 % des ambassadeurs français actuellement en poste sont issus de Sciences Po, faisant ainsi la preuve que l’enseignement des relations internationales tel que pratiqué rue Saint-Guillaume est un incontournable pour les futurs diplomates.
Par Nicolas Scheffer (promo 17)
S’il est une discipline qui colle à Sciences Po, c’est bien la diplomatie. Son enseignement existe depuis la création de l’École, en 1872, nous rappelle l’historienne Marie Scot, spécialiste de l’histoire de la rue Saint-Guillaume. Depuis, des professeurs illustres ont donné des cours dans le prestigieux amphithéâtre Boutmy, à l’image d’Hélène Carrère d’Encausse, qui souhaite « former un nombre considérable de spécialistes des pays communistes, à peupler les ambassades et les relations économiques avec le monde de l’Est » (voir précédent numéro). La diplomatie a partie liée avec Sciences Po : aujourd’hui, près de 60 % des ambassadeurs français sont issus de ses rangs (voir carte p.50). À tel point que Sciences Po est devenu l’antichambre du Quai.
Dès ses premières heures, l’École se donne pour ambition de former « les jeunes gens qui se proposent d’entrer dans la diplomatie en qualité d’attachés du ministère des Affaires étrangères, de secrétaires de légations, de consuls, etc. », comme le mentionne le programme des cours de l’année 1872 à 1873. C’est d’ailleurs ce qui fait la spécificité de l’École à sa création. À cette période, la France rayonne de son ambition mondiale et a besoin d’une élite qui réfléchisse à la relation de la France avec le reste du monde. « Jusqu’en 1900, la section diplomatique est numériquement la plus fréquentée, avant d’être supplantée par la section économique et financière, précise Marie Scot. Avant la Première Guerre mondiale, ce sont ainsi plus de 4 000 élèves qui ont été formés. » Le parcours d’enseignement international reste le deuxième le plus fréquenté jusqu’en 1940.
L’école des administrateurs coloniaux
Alors que Paris s’autoproclame « Ville Lumière », lors de l’Exposition universelle de 1900, Sciences Po accueille des étudiants étrangers dans sa section internationale qui forme aussi les futurs cadres de l’empire. Il s’agit de former les administrateurs coloniaux ; le gouvernorat d’Algérie et le protectorat au Maroc nécessitent de nombreux rédacteurs qui font leurs armes à l’École. En 1945, la section internationale est remplacée par celle du Service public, qui prépare à la toute jeune ENA, qui se veut plus généraliste.
En 1970, les affaires européennes font leur entrée à Sciences Po avec un enseignement du droit communautaire, des institutions européennes et une histoire du continent. De plus en plus de cours d’économie internationale font leur apparition, et même, celui de démographie économique. En plus de la géographie, on apprend l’ethnographie, l’histoire diplomatique et le droit international. Les étudiants peuvent choisir des cours comparatifs ou bien se spécialiser sur une zone géographique, notamment après 1945. En 1952, le Centre d’étude des relations internationales (CERI) se structure et propose des Diplômes d’études approfondies (DEA). Hélène Carrère d’Encausse enseigne les études soviétiques en 1969 quand Georges Tapinos analyse la démographie économique en 1976. Bien sûr, il existe une constante, « la connaissance des langues, indispensable au diplomate », rappelle le programme fondateur de l’année 1872-1873. Comme « les livres n’enseignent pas tout », des bourses de voyage sont également instituées. « Mainte institution politique ne livre son secret qu’à ceux qui l’étudient sur place, dans son cadre naturel », souligne le document.
Plusieurs hommes d’État ont appartenu à la section internationale, parmi lesquels Paul Claudel (promo 1888), Maurice Couve de Murville (promo 1928), Roger Seydoux (promo 1932) Boutros Boutros Ghali (promo 1949), Hubert Védrine (promo 1968), ou encore l’homme qui opposa le « non » de la France à la guerre en Irak, Dominique de Villepin (promo 1975). Mais Sciences Po doit aussi beaucoup à un grand protecteur de l’École libre des Sciences politiques, Alexandre Ribot, qui fut ministre des Affaires étrangères et un grand professeur de la rue Saint-Guillaume.
Une carrière de prestige
Aujourd’hui, les étudiants qui préparent les concours des Affaires étrangères font partie des plus brillants de l’École. Les postulants aux concours du Quai doivent disposer d’une solide culture générale, au sens large. Les étudiants ne peuvent pas faire l’impasse sur le droit, l’économie, l’administration tout en ayant une connaissance approfondie de la géographie et des relations internationales.
Devenir consul ou ambassadeur ne s’improvise pas. C’est là que l’organisation entre en jeu. Deux branches s’offrent à vous : conseiller des Affaires étrangères, la plus prestigieuse, ou secrétaire des Affaires étrangères. Parmi ces deux sections, on trouve deux cadres d’emploi pour les diplomates : le cadre d’Orient et le cadre général. Ce sont donc quatre catégories de carrières que permet le Quai d’Orsay, dont trois sont accessibles sur concours : conseiller cadre d’Orient, secrétaire cadre d’Orient et secrétaire cadre général. En revanche, il n’y a pas de concours pour devenir conseiller des Affaires étrangères cadre général : ils sont recrutés directement dans le vivier des énarques.
Par son prestige et ses voyages, la diplomatie est l’une des voies qui fait le plus rêver, c’est aussi la plus sélective. Pour devenir cadre d’Orient, il est nécessaire de maîtriser une langue rare. Il faut s’attendre à des épreuves de civilisation axées sur une zone géographique. L’épreuve d’anglais est tout aussi redoutable : « Quelque 60 % des étudiants sont recalés sur le niveau en anglais », nous précise Baptiste Ledan, le directeur de la PrépaConcours de Sciences Po. « Il faut maîtriser la langue à un niveau Capes ! »
Le profil type de l’élève de Sciences Po qui réussit les concours du Quai ? « La majorité provient de l’École d’affaires publiques et environ un tiers de l’École d’Affaires internationales (PSIA) », détaille Baptiste Ledan. Les lauréats sont souvent un peu plus âgés que pour les autres concours, et ont accumulé plus d’expériences, par exemple en ayant fait du volontariat à l’étranger ou une année de césure dans un autre pays. « L’ENA est tout autant sélectif, sinon plus, mais il y a davantage d’étudiants qui réussissent l’ENA en sortant de leur deuxième année de master que le Quai au même niveau », précise le directeur de la PrépaConcours, qui se félicite d’un taux de réussite qui atteint 90 % certaines années et se situe autour de 70 % les années creuses, même si en termes d’effectif, cela représente une petite dizaine de personnes.
Une fois entré au Quai, on devient généralement dans un premier temps rédacteur, à savoir, le spécialiste d’une zone géographique. Puis, il faut mêler vie à l’étranger et retours à Paris. Un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères ne peut, en effet, passer plus de quatre années dans le même pays, à la manière des préfets. C’est donc une vie de nomade qui attend l’élève qui rêve de se voir, un jour, négocier avec les plus hautes autorités internationales.