Covid-2019 : comment s'organise le confinement en Inde ?
Avec plus d’un milliard d’habitants et des densités de population extrêmement élevées, l’Inde pourrait rapidement devenir un hot spot de l’épidémie de Covid-19. Malgré les mesures de confinement prises par le gouvernement de Narendra Modi, la situation sanitaire demeure particulièrement préoccupante au vu des déficiences du système de santé indien. Neha Khanna, représentante de Sciences Po en Inde, répond aux questions d’Émile et partage son expérience des premières semaines de confinement.
Quelles ont été les premières mesures prises par le gouvernement indien pour lutter contre l'épidémie de Covid-19 ?
Le premier cas de Covid-19 a été signalé en Inde en février. Le 23 mars, le gouvernement indien a annoncé un « lockdown » (un confinement total) pour tous les habitants pendant 21 jours. L'objectif de ce confinement est d’encourager les gens à pratiquer la distanciation sociale et empêcher la transmission du virus.
Quelle est la situation actuelle ?
Toutes les frontières sont fermées et le pays est totalement confiné. Tous les établissements commerciaux et académiques resteront fermés jusqu'au 15 avril. Seuls les services essentiels comme les pharmacies, les épiceries, les distributeurs automatiques, etc. sont ouverts.
D'une manière générale, est-ce que la population applique scrupuleusement les règles et restrictions mises en place ?
Les règles et les restrictions sont largement respectées. La police surveille constamment les espaces publics pour empêcher les gens de se rassembler.
Au quotidien, qu'est-ce que cela change pour vous ?
J’ai une fille de 3 ans. Elle passe toute la journée à la maison car les écoles sont fermées et elle ne peut pas aller jouer au parc comme avant. Je suis déléguée de Sciences Po en Inde et je télétravaille. J'ai des réunions régulières en ligne avec les partenaires, les parents des candidats et les collègues. La situation a certainement un impact réel sur mes activités récréatives et mes interactions avec mes amis et ma famille élargie. La réorientation professionnelle a finalement été plus facile que l'introduction des changements sur le plan personnel.
Quelle est la situation médicale en Inde ?
L'Inde est un pays en développement avec 1 milliard d’habitants. La disponibilité des ressources en situation de crise sera toujours un défi pour un tel pays. En effet, nos défis comprennent le manque d'hôpitaux, la faiblesse du système de santé publique, le manque de personnel médical, de ventilateurs, de lits d’hôpitaux et, dans l’ensemble, une infrastructure médicale robuste pour répondre à une crise sanitaire d’une telle ampleur.
En savoir plus…
Extrait d’une interview de Christophe Jaffrelot, Directeur de recherche au Ceri-Sciences Po/CNRS, publiée par l’Institut Montaigne le 24 mars 2020.
« La vulnérabilité de l’Inde à une épidémie de ce genre est aggravée par plusieurs facteurs : les densités de population, la promiscuité dans laquelle vivent les familles pauvres, la poursuite de rassemblements de masse, les problèmes d’hygiène, le déni qu’entretiennent les pandémo-sceptiques et l’existence de populations à risque particulièrement nombreuses.
Deuxièmement, l’épidémie est appelée à se répandre des villes (où elle est apparue) aux campagnes à mesure que les mesures de "social distancing" auxquelles incite le gouvernement indien se traduisent par la mise à pied des employés de maison – une main d’œuvre pléthorique – qui retournent dans les villages du Bihar, de l’Uttar Pradesh et d’ailleurs, d’où viennent souvent ces migrants intérieurs. Depuis la mi-mars, les trains pour ces Etats, au départ de Mumbai et d’ailleurs, ne désemplissent pas.
Troisièmement, le système de santé indien est l’un des plus déficients de la planète. D’après l’OCDE, l’Inde ne compte que 0,5 lit d’hôpital pour 1000 habitants, contre 3 en Italie, 6 en France et 12 en Corée du Sud. De la même façon, l’Inde compte 0,8 médecin pour 1000 habitants, contre 1,8 en Chine, 3,2 en France et 4,2 en Allemagne. Et encore, une bonne partie de ce dispositif appartient au secteur privé dont l’accès est réservé aux quelque 20 % de la population qui composent la classe moyenne (…)
Dans ces conditions, il est très probable que le système de santé indien soit très rapidement confronté à un afflux massif de malades qu’il n’aura pas les moyens de traiter.
Le bilan humain de l’épidémie risque d’être très lourd, même si la jeunesse de la population indienne atténuera sans doute son impact (aujourd’hui, 46 % des Indiens ont moins de 25 ans). Si, en suivant le raisonnement d’un scientifique indien, 10 % des Indiens adultes contractent la maladie, le nombre des malades à prendre en charge s’établira à 80 millions dont un certain nombre demandera à être hospitalisé - alors que les hôpitaux publics comptent environ 710 000 lits. »