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Covid-2019 : quelle gestion de crise au Royaume-Uni ?

Le Royaume-Uni ne fait pas exception dans la liste des nations qui doivent lutter contre la pandémie de Covid-19. Alors que son premier ministre, Boris Johnson, vient d’être admis en soin intensif à l’hôpital de Londres, le pays compte en date du 6 avril plus de 50 000 cas parmi les personnes testées et plus de 5000 décès. Stéphane M. Rambosson, président d’honneur de Sciences Po Alumni UK, décrypte pour Émile l’évolution de la situation chez nos voisins britanniques.

Picadilly Circus à Londres, habituellement bondé, presque vide à la suite des mesures de confinement établies au Royaume-Uni en raison de l’épidémie de Covid-19, le 23 mars 2020 (Crédits : heardiniondon/ Shutterstock)

Quelles ont été les premières mesures prises par le gouvernement du Royaume-Uni pour lutter contre l'épidémie de Covid-19 ?

Le gouvernement britannique a pris les premières mesures tardivement. En effet, la vision initiale — en ligne avec celle d’autres pays du Nord de l’Europe — était de ne pas prendre de mesures de confinement comme en Italie, en se basant sur l’hypothèse que le pays pourrait s’en sortir par la création d’une immunité collective.

Cette vision a évolué lorsque les scientifiques de l’Imperial College, conseil du gouvernement, ont publié à la mi-mars des rapports indiquant qu’avec une telle hypothèse, et au vu du développement du virus dans certains pays tels que l’Italie, dont les statistiques étaient similaires, le Royaume-Uni pourrait connaitre 250 000 décès, ce nombre pouvant tomber à 20 000 en cas de mise en œuvre de règles de distanciation sociale. À partir de ce moment-là, beaucoup ont fait pression pour que les écoles soient fermées, alors que le gouvernement souhaitait a priori attendre les vacances de Pâques pour annoncer leur fermeture.

De façon intéressante, les premières mesures concrètes n’ont pas été prises par le Gouvernement mais par des acteurs privés. Ainsi, la ligue de Football a décidé d’arrêter ses matchs, certaines écoles privées et universités londoniennes ont fermé leurs établissements et mis en place pour certaines une continuité pédagogique à distance. À la réflexion, une (bonne) décision prise par le Premier ministre avant ces épisodes, le 13 mars, a été de repousser d’un an les élections locales et municipales pour le mairie de Londres.

La première grande mesure concrète (en dehors de demandes faites aux personnes âgées de se confiner) a été la fermeture des écoles (annoncée d’abord par les gouvernements d’Écosse et du Pays de Galles), le 18 mars pour une mise en œuvre au plus tard le vendredi 20 mars, accompagnée de l’annulation des examens GCSE et A-Levels, l’équivalent britannique du Baccalauréat.

Quelques jours plus tard, après plusieurs communications sur la nécessité de mettre en œuvre la distanciation sociale et qui n’ont pas été suivies notamment le week-end du 21 mars lors duquel les sites touristiques naturels en province ont été pris d’assaut, le gouvernement a mis en œuvre le lockdown en fermant tous les endroits fermés publiques (y compris bien sur les pubs) et en ne gardant ouvert que les commerces de première nécessité – à savoir alimentaires (y compris pour les animaux) et médicaux. Il a été donné comme règle/ordre de comportement de ne pas sortir sauf pour faire les courses, de l’exercice physique et pour aller travailler -pour ceux qui ne peuvent le faire en télétravail…

La police dispose de l’autorité de verbaliser, voire si nécessaire d’emprisonner, les citoyens ne respectant les mesures. Les parcs et autres espaces verts ne sont pas fermés actuellement mais pourraient l’être par les maires si les règles ne sont pas respectées. En ce qui concerne l’arrêt du travail, il y a eu des débats sur certains domaines, notamment la construction, compte tenu la de la difficulté de mettre en place des conditions sanitaires adaptées.

Comme dans d’autres pays, le gouvernement a fait voter, à partir du 20 mars, par le parlement (Chambre des Communes et Chambre des Lords) des pouvoirs exceptionnels de crise (qui ont reçu une certaine opposition y compris de la part de certains conservateurs). Ils doivent être revus par le parlement tous les six mois.

Enfin, le Gouvernement a annoncé, à partir du 17 mars, et mis en place un package de £330 milliards de prêts et de garanties pour soutenir l’économie et en particulier les petites entreprises, les salariés et auto-entrepreneurs. Beaucoup le jugent insuffisant dans un pays où le niveau d’épargne est faible, et la banque d’Angleterre a baissé ses taux directeurs au plus bas niveau de son histoire à 0,1% le 19 mars.

Boris Johnson, Premier ministre britannique, a été admis en soins intensifs à l’hôpital de Londres le 6 avril, une dizaine de jours après avoir été testé positif au Covid-19 (Crédits : EU2017EE Estonian Presidency/ Wikicommons)

Quelle est la situation actuelle ? Un retour à la normale est-il envisagé ?

Le retour à la normale n’est absolument pas prévu ni vraiment publiquement discuté (comme cela est le cas en France actuellement) dans la mesure où nous suivons la tendance italienne et ou même notre Premier Ministre est gravement touché – même ceux qui n’ont pas été alignés avec ses vues, ce qui est mon cas, lui souhaitent bien évidemment un prompt rétablissement. C’est le seul ayant la légitimité de diriger un pays bien divisé. Le confinement est censé être presque total, même s’il n’y a pas de procédure d’attestation comme en France car ce n’est pas dans la culture de cette population insulaire, naturellement plus civique – d’ailleurs, il n’est pas obligatoire d’avoir ses papiers sur soi en temps normal ou exceptionnel comme cela est le cas en France. Les écoles sont bien fermées et beaucoup n’ont pas mis en œuvre de continuité pédagogique en tous cas pour les années d’examen. Elles prévoient une réouverture à l’automne. Quant aux universités, certaines comme en Ecosse, prévoient potentiellement une rentrée virtuelle à l’Automne avec une réouverture physique qu’en janvier.

D'une manière générale, est-ce que la population britannique applique scrupuleusement les règles et restrictions mises en place ?

 Le peuple britannique est une nation de civisme et de ce fait les règles sont assez bien respectées, même si le sentiment par rapport à la France est qu’il y a plus de monde dans les rues…

Au quotidien, qu'est-ce que cela change pour vous ?

Comme mes enfants vivent avec nous, ils sont bien évidemment à la maison en ce moment. Même si les écoles sont fermées, ils étudient à distance grâce aux procédures mises en place par le Lycée Français Charles de Gaulle.

Mon épouse qui travaille au lycée est également en télétravail et je le suis aussi, ainsi que mes équipes. Mon entreprise est un cabinet de recrutement et connaîtra de ce fait hélas les effets de la crise à terme, même si nous demeurons très occupés actuellement. Nous devrons faire évoluer notre business-model afin de jouer un rôle important de conseil à la fois pour les individus et les institutions en cette période d’incertitudes.

D’ailleurs, nous devions avoir l’assemblée générale de Sciences Po Alumni UK en avril et regardons désormais comment faire cela à distance ou le prévoir à une date post confinement.

Dans mes fonctions d’élu consulaire, avec mes collègues conseillers et délégués consulaires en télétravail également, je travaille pour informer les Français du Royaume-Uni, répondre à leurs inquiétudes et leurs problèmes matériels, comprenant les retours en France, la situation des étudiants, les problèmes économiques et sociaux, l’enseignement, et bien d’autres. Les élus de proximité des Français de l’étranger ont un rôle réel à jouer dans ce type de crise.

Quelle est la situation médicale au Royaume-Uni ?

La situation médicale est très tendue : au 6 avril, nous avons 51 600 cas positifs sur 208 800 testés, avec 17 900 admis à l’hôpital et 5 373 qui nous ont hélas quittés. Certains hôpitaux en particulier à Londres sont saturés. Le gouvernement fait construire des hôpitaux dans des grands centres comme à l’Excel à Londres où 4 000 lits seront installés. Nous avons vu des situations graves, comme le cas d’un Français dirigeant de société qui n’a pu réussir à avoir accès à l’hôpital alors qu’il était seul à Londres sans sa famille et dans un état grave. Sa situation a in fine été réglée.

La mobilisation est grande, de médecins et de non médicaux, et le nombre d’individus qui se sont portés volontaires auprès du NHS (National Health Service) est de plus de 750 000, ce qui n’est pas surprenant compte tenu de la culture altruiste et caritative très forte dans le pays.

La situation des tests et des masques est à peu près équivalente à celle de la France : le Royaume-Uni en avait peu et en a commandés, témoignant d’une mauvaise préparation. Alors qu’encore récemment le pays faisant 5000 à 6000 tests par jour, son objectif est désormais d’atteindre 100 000 par jour d’ici fin avril, ce qui parait très ambitieux. Il en est de même pour les respirateurs qui sont désormais en cours de production par des industriels y compris non spécialistes tel que Dyson… Le pays se mobilise derrière le NHS et le jeudi soir à 20h nous applaudissons de chez nous pour leur rendre hommage. Comme dans les autres pays, le travail des soignants et autres en première ligne est tout à fait remarquable et nous nous devons de leur rendre hommage. Honi soit qui mal y pense !