Covid-19 : quel impact sur l'économie brésilienne?
Si elles apparaissent timides du point de vue sanitaire, les mesures de confinement décrétées par le gouvernement brésilien sont en revanche suffisamment sévères pour aggraver rapidement la situation économique et sociale du pays. Chute brutale du PIB, augmentation du taux de chômage, faillites en cascade… les risques économiques liés à l’épidémie de Covid-19 sont nombreux. Depuis le 22 mars, le gouvernement multiplie les mesures d'urgence prises par décrets pour protéger les plus démunis et soutenir les entreprises. Mais cela sera-t-il suffisant ?
Par Alexandrine Brami , présidente de la section Brésil de Sciences Po Alumni
Le Brésil sur la corde raide
Les premiers symptômes de pandémie sont apparus début mars et la prise en charge du patient “Brésil”, positif au coronavirus se complique chaque jour.
Mardi 7 avril 2020, le ministère de la Santé annonçait 13 717 cas et 667 décès concentrés aux deux-tiers dans la région Sudeste, soit un taux moyen de létalité de 4,9%. Ce sont les chiffres officiels. Dans les faits, aucune source ne nous permet d’évaluer précisément l’ampleur de la contagion, la vitesse de propagation du virus, et le taux réel de létalité.
Les premières mesures de confinement – appliquées de manière inégale par la population – peuvent contribuer à réduire l’accélération de propagation du virus, mais certainement pas à l’enrayer. Trop timides du point de vue sanitaire, elles sont en revanche suffisamment sévères pour aggraver rapidement la situation économique et sociale du pays. L’enjeu est crucial : plus le confinement (Lock Down) sera long, plus l’effondrement de l’économie (Sink Down) sera brutal et durable. D’autant plus que le filet de sécurité pour les plus démunis est petit et fragile.
Patient le Brésil. Résistant, résilient, créatif même... Jusqu’à quand ? Quand le Brésil entrera t-il en réanimation ? Pendant combien de temps ? Quelles consignes en cas de décès ? Immersion dans un Brésil malade.
L’économie brésilienne sous surveillance
Je vis au Brésil depuis 2002, temps long qui m’a permis d’observer plusieurs crises :
Dépréciation du Réal en 2002, liée à la crise de confiance des organismes de crédit et des investisseurs étrangers face à la victoire imminente du candidat de la gauche radicale Luis Inacio da Silva, dit "Lula", lors de l'élection présidentielle ;
Ralentissement de la croissance du PIB affecté par la crise mondiale des subprimes en 2008-2009 ;
Récession profonde en 2015, l'économie brésilienne enregistrant une contraction de 3,8 %, soit la pire récession depuis 1990, suivie, en 2016, d’une nouvelle chute. Le PIB par habitant a alors diminué de 11% et le chômage a atteint son pic en mars 2017, touchant 14 millions de Brésiliens, soit 13,7% de la population active ;
2017, 2018 et 2019 ont constitué une période de transition, confirmant une sortie timide de récession avec 1% de croissance en moyenne par an. En février 2020, enfin, la consommation repartait et les entreprises en croissance avaient du mal à recruter. Le pays célébrait le Carnaval et la fin du tunnel... Et puis, tout s’est arrêté.
Une crise économique à nulle autre pareille
Historiquement, c’est la demande interne – principalement la consommation mais aussi les investissements induits – qui tire la croissance au Brésil.
De ce point de vue, les effets à court terme des mesures de confinement sur l'économie vont être redoutables : chômage forcé et baisse du pouvoir d’achat des consommateurs, crise de liquidité des PME et startups, perte de confiance des investisseurs. S’il se prolonge jusqu’au 15 mai, scénario le plus probable, le confinement provoquera une chute du PIB en 2020 de 4 à 6% suivant les sources. À moyen et long terme terme, le déficit de croissance pourrait produire des faillites en cascade et mettre à mal tout le potentiel de croissance du pays.
Il faut remonter au Plan Collor – plan d’austérité annoncé le 16 mars 1990, qui a bloqué pendant 18 mois les comptes d’épargne supérieurs à NCz$ 50mil (environ 1500 dollars actuels) – pour comprendre l’impact négatif des mesures de confinement sur l’économie brésilienne : le verrouillage brutal de la demande. À l’époque, le résultat a été catastrophique : le Brésil est entré dans une période de « stagflation », mêlant stagnation et inflation, le chômage a explosé et l’activité industrielle du pays a diminué face à la concurrence des produits importés.
Facteur aggravant – et inédit – du confinement : l’impossibilité, voire l’interdiction de travailler dans de nombreux secteurs producteurs ou distributeurs de biens et services qui ne sont pas encore digitalisés.
La fermeture des shopping centers et des commerces de détail, la diminution des flux de transport et la forte contraction de l’activité industrielle dans des secteurs clés (construction civile, pétrole, biocombustibles, chimie) entraîneront une chute, non seulement de la demande, mais aussi de l’offre. Le taux de chômage pourrait exploser d'ici le mois de juin, pour atteindre 13,5% de la population active, voire dépasser les 19% pour les plus pessimistes et toucher 25 millions de Brésiliens.
La demande externe permettra-t-elle une récupération de l’économie ? Il est encore trop tôt pour faire des pronostics et les variables en jeu – cours des matières premières, reprise de l’activité aux États-Unis et des importations en Chine – sont hors de la zone de contrôle du Brésil.
Détresse économique aiguë : le Brésil en réanimation
Depuis le 22 mars, le gouvernement a multiplié les mesures économiques d'urgence prises par décrets. Elles composent un patchwork législatif censé protéger les plus démunis, soutenir les entreprises et limiter les cessations d'activité et les licenciements, dans un contexte où les programmes de protection sociale sont éclatés et insuffisants.
Pour les indépendants, les travailleurs informels et les micro-entrepreneurs individuels, le gouvernement fédéral a institué une allocation de 105 euros par mois (R$ 600) ; pour les retraités, il s’est engagé à anticiper en avril le paiement du 13ème mois versé habituellement à la fin de l’année ; il a promis, également, de flexibiliser les conditions d’accès au programme “Bolsa Família” (Bourse Famille) d’allocations mensuelles conditionnelles destiné à lutter contre la pauvreté et bénéficiant à plus de 12 millions de foyers ; il a interdit, enfin, aux fournisseurs d'énergie de procéder à des coupures d’approvisionnement pour les débiteurs défaillants.
Pour les PME, le gouvernement a annoncé vendredi 27 mars un plan de soutien débloquant 40 milliards de réais (environ 7 milliards d'euros) afin de leur permettre d'emprunter à bas taux pour payer les salaires, à condition de ne pas licencier. D’autres mesures destinées à limiter les licenciements massifs auront un impact direct sur la consommation des ménages. Ainsi, depuis le 1er avril, les entreprises peuvent-elles suspendre les contrats de travail de leurs salariés pendant deux mois et réduire jusqu’à 70% les heures de travail et les salaires. Certes, ces réductions ne pourront pas durer plus 90 jours et les employés concernés recevront une compensation du gouvernement. Maigre compensation, cependant, car limitée à 315 euros (R$ 1813) qui correspond au plafond de l’assurance chômage au Brésil. De quoi menacer la solvabilité des ménages les plus endettés.
À ces mesures s’ajoutent la réglementation simplifiée du télétravail, l’anticipation des vacances individuelles, la concession facilitée de vacances collectives, la suspension des exigences administratives en matière de sécurité et de santé au travail, ainsi que l’ajournement de trois mois des cotisations patronales au fond d’épargne obligatoire (FGTS).
L’inventaire exhaustif serait très long et fastidieux. Il se résume à des mesures techniques qui ne permettent d’identifier ni une vision, ni une stratégie, ni un capitaine à la barre, dans un contexte de crise politique et institutionnelle où le Président Bolsonaro est lâché par ses propres alliés. À droite comme à gauche, les détracteurs du Chef de l’État observent patiemment le déclin de sa popularité. La mort politique n’est-elle pas, en général, une mort annoncée ?