Second tour des municipales : le décryptage de Pascal Perrineau
Le second tour des municipales s’est déroulé ce dimanche 28 juin dans des conditions sanitaires particulières dues au contexte du Covid-19. Marqué par un taux d’abstention de 58,4% – un record pour des élections locales – il a également vu naître une poussée des forces écologistes dans les grandes villes de l’Hexagone. Comment expliquer une telle « grève civique » de la part de l’électorat français? Quelles forces politiques sortent finalement gagnantes de ce passage aux urnes et quelles grandes tendances ces élections laissent-elles présager pour le futur ? Le politologue Pascal Perrineau, Président de Sciences Po Alumni, nous livre son analyse.
Les deux tours des élections municipales ont été marquées par une abstention que n’avait jamais connue ce type d’élections. Pourquoi ?
Organisées de manière tout à fait particulière en fonction des circonstances exceptionnelles engendrées par l’épidémie de Covid-19, ces élections municipales se sont tenues en deux dimanches séparés par plus de trois mois. Vingt millions et demi d’électeurs sur un total de plus de 46 millions se sont déplacés au premier tour et, dans les communes restant en lice au second tour, ce sont un peu plus de 6,6 millions d’électeurs qui ont trouvé la voie des bureaux de vote. Avec 44,7% de participation au premier tour et 41,7% au second, jamais les Français n’avaient autant boudé des élections qui sont d’habitude leurs élections préférées avec l’élection présidentielle.
Cette « grève civique » traduit plusieurs phénomènes. D’abord, elle s’inscrit dans le développement régulier de l’abstention qui touche, depuis trente ans, tous les types d’élections. Le malaise avec la représentation politique et la démocratie électorale que cette abstention traduit ne cesse de s’accentuer et aucune force politique, en dépit des multiples alternances, n’a trouvé de parade crédible à l’accentuation de ce malaise. Une forme de citoyenneté intermittente s’installe où le devoir électoral est de plus en plus vécu comme un droit que l’on exerce selon sa volonté du moment.
Mais, bien sûr pour comprendre le niveau vertigineux de l’abstention de 2020, il faut ajouter à ce malaise structurel une inquiétude conjoncturelle très forte liée à la crainte de se déplacer dans les bureaux de vote étant donné la circulation du coronavirus. Très forte le 15 mars, celle-ci n’a pas disparu le 28 juin et s’est même amplifiée du fait que les électeurs n’avaient pas l’esprit à la « chose électorale » et étaient envahis par la crise sociale et économique qui fait sentir ses premiers ravages.
Enfin, jamais une élection à deux tours n’avait été aussi étrange avec un premier tour où, peu à peu, on ne pouvait plus faire campagne pour cause de « distanciation sociale » et un second tour pour lequel la campagne a à peine existé et n’a pu jouer son rôle de mobilisation des électorats.
Bien sûr, cette participation très faible fragilise nombre d’équipes nouvellement élues. Pensons que les listes de Madame Hidalgo représentent 17,3% des électeurs parisiens, celles de la gauche écologiste lyonnaise 19% de l’électorat lyonnais et celles de la droite toulousaine associée à LREM 22,8% des inscrits sur les listes de la ville de Toulouse.
Les commentaires du second tour ont beaucoup insisté sur la « vague écologiste ». Qu’en est-il ?
La poussée incontestable des forces écologistes ne doit pas être niée mais relativisée. Cela pour plusieurs raisons. Quand les écologistes réussissent à s’emparer de mairies, c’est en tant que partenaires de coalitions de gauche qui peuvent rappeler la « gauche plurielle » des années 1990 et qui vont parfois jusqu’à la « gauche de la gauche » de la France insoumise (Marseille, Toulouse). Au fond, les écologistes jouent aujourd’hui un rôle similaire à celui tenu par le PS dans les années 70 pour réunifier la gauche et dominer le PCF. Simplement, en 2020, il s’agit de dominer le PS pour devenir le pôle organisateur de la gauche écolo-socialiste de demain. La concurrence entre les différents fragments de la gauche ne fait que commencer même si le premier responsable du PS laissait entendre, au lendemain du second tour, que le courant socialiste pourrait s’effacer derrière une candidature écologiste. Étonnant réflexe pour un parti, hier triomphant, aujourd’hui très affaibli et qui cherche les voies de sa renaissance !
Deuxième remarque : les écologistes connaissent un succès essentiellement dans des grandes villes au profil plutôt bourgeois, cols blancs, de haut niveau d’études et ouvertes à une culture post-matérialiste. Des villes comme Lyon, Grenoble, Strasbourg, Bordeaux, Tours ou encore Annecy sont emblématiques de ce type d’univers urbain. En revanche, dans les villes moyennes ou petites les performances des écologistes sont beaucoup plus modestes. C’est avant tout l’univers des grandes villes relativement aisées qui a été sensible à l’effet du réchauffement climatique dans le monde, à l’impact de la jeune militante Greta Thunberg et au débat sur le déséquilibre de la biodiversité qui est à l’origine du transfert de virus du règne animal vers celui de l’homme. Enfin, les écologistes peuvent représenter une offre politique relativement nouvelle à l’heure où les électeurs sont déçus par la disruption macroniste.
Mais enfin, tout cela n’a pas touché la « France profonde » et les écologistes ne sont arrivés en tête que dans 12 des 263 villes de plus de 30 000 habitants.
Alors quelles sont les forces qui sortent gagnantes de ces élections municipales ?
Si l’on ouvre la focale pour s’intéresser à l’ensemble des communes au-delà de la scène des très grandes villes à laquelle les médias accordent une importance surévaluée, il est frappant de constater le très bon comportement des deux grandes forces traditionnelles de la France des territoires : au premier chef, la droite incarnée par LR et ses alliés et en seconde position, la gauche représentée par le PS et ses alliés.
Toujours sur les 263 villes de plus de 30 000 habitants, 152 sont à droite et 89 à gauche. Les forces favorables à Emmanuel Macron ne contrôlent dans les grandes villes que Le Havre et Angers. Le RN contrôle Perpignan. Si l’on prend une perspective encore plus large, celle des 454 communes de plus de 20 000 habitants : 261 sont à droite, 149 à gauche, 20 dans la majorité macronienne, 12 écologistes et 6 RN ou proches. 60 de ces 454 villes ont changé de tendance. La gauche a gagné à peu près autant de villes que la droite. Cette dernière a pris les exécutifs municipaux de villes comme Auxerre, Lorient, Illkirch Graffenstaden, Briançon, Abbeville, Guéret, Nevers, Villeneuve sur Lot, La Seyne-sur-Mer ou encore Metz. La gauche s’est emparée de Millau, Montpellier, Périgueux, Bourges, Nancy, Quimper, Bron, Chambéry ou encore Saint-Nazaire.
Qu’en est-il des autres forces et des tendances à dégager pour l’avenir ?
Le Rassemblement national est en retrait de sa dynamique des élections municipales de 2014. L’arbre de la victoire à Perpignan ne doit pas cacher la forêt de sa faible présence sur le territoire national et de quelques défaites comme à Mantes-la-ville, dans le 7ème secteur de Marseille ou encore au Luc dans le Var.
À la fin des fins, le parti de Marine Le Pen aura moins d’élus municipaux et cela témoigne d’une persistante difficulté à acquérir une image de gestionnaire local. Le Rassemblement national reste une force nationale – comme on l’a vu aux dernières élections européennes – qui est sans véritables racines locales. Sauf lorsque celles-ci plongent dans un terreau de grandes difficultés sociales et économiques : Perpignan ou les petites communes de Moissac dans le Tarn-et-Garonne ou de Bruay-la-Buissière dans le Pas-de-Calais sont à cet égard emblématiques.
Le mouvement du Président, sur un tout autre terrain, connaît le même « enfermement national ». LREM a lamentablement échoué là où tout lui était favorable (Paris, Lyon…). Lorsqu’il était associé à la droite, ce qui au second tour était le cas le plus fréquent, cela n’a pas été une réussite et même parfois il a pu entraîner la droite dans sa perte (Bordeaux). Enfin, seul, il a la plupart du temps échoué comme à Strasbourg. Depuis trois ans, le mouvement de LREM a une très mauvaise relation au « local » dont il a tout à fait sous-estimé l’importance. Sauf quelques rares exceptions, le mouvement reste « hors-sol ».
Cette caractéristique présente une grande difficulté car l’agenda politique à venir est celui d’élections locales (sénatoriales, départementales et régionales). On ne voit pas très bien comment, avant l’échéance présidentielle de 2022, ces rendez-vous pourraient être favorables au mouvement du Président. C’est pour cela que ce dernier semble préférer les stratégies nationales du type référendums sur les questions écologiques. Cela sera-t-il suffisant pour repositionner un Président de la République en désamour dans l’opinion, isolé car n’ayant que peu de troupes capables de relayer son message et soumis depuis quelques semaines à une insolente concurrence de son Premier ministre ?
À peine deux ans nous séparent de l’élection présidentielle de 2022 et il serait bien imprudent de faire de celle-ci l’ombre portée des élections locales dont les enjeux sont autres. Mais celles-ci donnent une idée des rapports de force à partir desquels se construit l’aventure de la présidentielle qui n’est pas seulement celle d’un homme ou d’une femme mais de forces politiques, sociales et culturelles qui viennent du fond de la société française.