Je m'engage pour l'Afrique, une association pour repenser les relations franco-africaines
Créée en janvier dernier, l’association Je m’engage pour l’Afrique a vocation à participer à la construction d’un dialogue entre l’Europe et le continent africain. À l’aide de programmes « accélérateurs » et d’un incubateur de politiques publiques, JMA accompagne des projets ambitieux portés par de jeunes diplômés engagés et souhaite s’imposer dans le débat public. Amina Zakhnouf (promo 19), l’une des deux co-fondatrices de JMA, revient pour Émile sur l’origine et les objectifs de cette association.
Propos recueillis par Maïna Marjany et Emma Barrier
Comment vous est venue l’idée de créer l’association Je m’engage pour l’Afrique ? Est-ce que cela s’inscrit dans la continuité de votre parcours professionnel ?
L’idée est venue d’une frustration. Nous étions tous témoins d’une effervescence autour du continent africain, d’initiatives, de sommets, d’annonces, de grands rendez-vous. Les différents discours du président de la République sur Jeune Afrique et Brut m’avaient laissée sur ma faim. Les jeunes diasporas sont présentées comme pierre angulaire d’une relation apaisée entre la France et l’Afrique, mais force est de constater qu’elles ne sont en réalité que très peu intégrées au débat public. En résulte cette fâcheuse sensation d’être l’objet d’une conversation, plutôt que partie prenante. J’ai eu envie de construire un modèle qui mette en lumière de jeunes experts prêts à partager leurs idées et des décideurs publics prêts à les écouter. Que les pouvoirs publics ne semblent plus inaccessibles. Créer des ponts, poser des questions percutantes, et finalement, repenser les relations franco-africaines par le prisme de la politique publique.
Je n’étais pas la seule, puisque celle qui est aujourd’hui ma co-fondatrice, Ileana Santos, rencontrée plus tôt en 2020, m’a appelée un matin de novembre avec une idée en tête. Élément déclencheur immédiat, et décision éclair (mais la bonne, de toute évidence). Ensemble, nous sommes allées à la rencontre de dizaines de profils différents et avons échangé avec des dizaines de personnes qui nous ont prouvé à quel point les jeunes méritaient leur place au sein du débat public pour le continent africain. La frustration initiale s’est transformée en moteur, et le 4 janvier 2021, JMA est né.
Quel est l’objectif de cette association ? Quelles sont les actions mises en place ?
Je m’engage pour l’Afrique, concrètement, c’est :
● Un incubateur de politiques publiques qui se base sur son réseau d’experts et d’”afro-optimistes” engagés pour prendre position sur des sujets décisifs au sein du débat public, les porter aux décideurs et mettre tout le monde autour de la table.
● Un accélérateur pour donner aux “afro-champions” les moyens de briller.
● Un plaidoyer qui porte nos idées au grand jour, et au débat public, qui crée des espaces de réflexion qui ne s’arrêtent pas aux recommandations sur le papier. Aux grandes avancées législatives, aux grands rendez-vous de 2021, nous porterons nos positions (conférence sur le financement, sommet Afrique France…).
Ces actions visent à renouveler les visages, faire émerger de nouveaux champions aux parcours, idées et ambitions différentes. On choisit de s’attaquer à l’angle de la politique publique parce qu’il nous semble essentiel que les jeunes s’emparent des sujets qui impactent immédiatement leurs vies quotidiennes. Beaucoup s’attachent à l’angle jeunesse - entrepreneuriat, et c’est tant mieux, mais pas suffisant. On avait envie de voir les jeunes comprendre les politiques publiques, s’en saisir, et participer à leur élaboration.
Pouvez-vous nous expliquer la notion d’afro-optimisme qui semble être au cœur de votre projet ?
Le terme ne vient évidemment pas de nous, mais on a voulu le repenser. Depuis plusieurs années, l'afro-optimisme s'apparente à un concept légèrement évasif, que beaucoup voient comme un peu naïf, un « buzzword », finalement. On a voulu s’en saisir et le penser comme une bannière de rassemblement de tous ceux qui n’ont pas simplement une pensée, mais une volonté d’impacter positivement le continent africain. Il est gage d’inclusivité : on ne s’adresse pas simplement aux Africains, aux afro-descendants, ou aux diasporas, mais bien à tout le monde, si tant est qu’ils souhaitent rejoindre un mouvement qui veut penser l’Afrique autrement.
Le côté « optimiste » est ancré dans l’action. Pour penser un futur souhaitable, résilient, durable et inclusif, il faut y participer, prendre part au débat, agir en portant des projets ambitieux et à fort impact. L’afro-optimisme pour nous, n’est pas un label, un concept, une tendance, c’est un verbe d’action. Notre ambition, c’est de pouvoir donner aux jeunes la plateforme, les clés, et la légitimité de le faire.
Pourquoi vous concentrez-vous particulièrement sur les jeunes ? Quel rôle joue cette génération dans la valorisation de l’Afrique ?
La nouvelle génération a une envie réelle de s’investir : elle est consciente des enjeux environnementaux, des causes sociales, elle porte une pensée critique et pertinente sur le monde qui l’entoure, mais manque cruellement d’espace pour s’exprimer et d’opportunités de parler aux décideurs. J’en fais partie. Nous avons lancé JMA en partie parce que nous-mêmes n'arrivons pas à nous inscrire dans une initiative qui nous ressemblait et nous permettait d’agir.
Aujourd’hui, nous travaillons à faire des propositions concrètes, actionnables et pragmatiques aux pouvoirs publics et aux décideurs. Montrer que les jeunes sont complètement capables d’avoir une valeur ajoutée considérable au débat, à la conception, l’amélioration ou l’évaluation des politiques publiques. Ne plus être juste dans le discursif, s’inscrire dans l’action.
On fait le pari d’une initiative qui n’est pas juste inclusive, fédératrice, mais surtout qui a la capacité de vulgariser des conversations jusque-là circonscrites à des sphères qui semblaient inaccessibles, inatteignables. Construire des ponts. Faire des liens. Engager des dialogues. Dépolariser.
D’ailleurs, l’équipe cœur de l’association (15 au total), qui a entre 20 et 32 ans, s’est créée en plein confinement, dispersée un peu partout entre Paris, Bordeaux, Lomé, Abidjan, Casablanca. Chacun d’entre eux prouve par l’exemple que l’envie d’engagement était bien réelle, et le moment propice pour lancer cette aventure. On ne s'est jamais vu, mais en quelques mois, on a réussi à créer un lien très fort. Ça rend cette collaboration encore plus singulière.
Comment fonctionne votre incubateur de politiques publiques ?
Nous produisons trois types de contenus.
Les notes de politiques publiques, le fer de lance de notre action. Elles sont rédigées par des jeunes experts de tous bords que nous allons chercher dans différents réseaux, et posent des questions concrètes sur la conception, l’amélioration ou l’évaluation de certaines politiques publiques qui lient les deux continents : La Grande Muraille Verte, la restitution des œuvres, l’aide au développement, la gestion des flux touristiques, la question migratoire… Ces notes font ensuite l’objet de tables rondes où les décideurs publics concernés sont invités à échanger avec nous et à penser les recommandations ensemble.
Des interviews d’entrepreneurs et de porteurs de projets associés à ces thématiques, pour comprendre les enjeux du terrain, et donner la parole à ceux qui sont « dans le feu de l’action ».
Des Grands Formats, des conversations autour d’un café (digital, en format podcast) entre un jeune expert JMA et une personnalité publique : on souhaite s’éloigner du modèle masterclass, et aller vers un partage, un échange « entre égaux ».
Pourquoi proposer un modèle d’accélération ?
Au contact de beaucoup de porteurs de projets, nous sommes arrivés à un constat assez évident. Des initiatives innovantes, ambitieuses et pleines de sens, il y en a. Mais souvent, les porteurs de projets n’arrivent pas à parler d’eux-mêmes, à « se pitcher », à construire leur personal branding pour s’ouvrir des portes. J’incombe ça au sentiment de manque de légitimité assez présent chez les jeunes, ou les personnes jusque-là très éloignées du circuit de l’entrepreneuriat. On propose donc des formats d’accompagnement à destination de différents publics pour apprendre à structurer son projet, parler de soi, et se pitcher aux investisseurs. C’est une étape essentielle pour espérer une première levée de fonds, et une entrée dans l’arène.
On aimerait lancer une campagne de crowdfunding dans les mois à venir, pour créer des petits tickets de subvention aux porteurs de projets naissants les plus prometteurs pour qu’ils puissent se lancer, jouer ce rôle de « love money », ce coup de pouce généralement donné par les familles, de départ à laquelle ils n’auraient peut-être pas accès.
Pouvez-vous détailler les quatre formes d’engagement possibles ? Quels sont les profils que vous recherchez ?
Aujourd’hui JMA est à la recherche de :
Jeunes bénévoles, passionnés par le continent et avec une forte envie de s’engager, qui souhaitent porter l’association avec nous. Je suis d’ailleurs à la recherche de quelqu’un pour nous épauler dans nos différentes actions d’influence et de production en amont du sommet Afrique-France. À bon entendeur…
Nous sommes aussi à la recherche de jeunes experts, qui souhaitent prendre position sur un sujet de politique publique qui leur tient à cœur, autour de nos thématiques clés.
Des profils « advisors », des personnes établies dans leurs écosystèmes qui partagent nos valeurs et veulent nous accompagner dans cette aventure, et nous apporter conseils et soutien.
Et évidemment, nous lançons un appel à tous les afro-optimistes de tous bords de suivre nos actions, participer à nos évènements, ou simplement nous partager leur vision des Afriques de demain. Notre ambition, c’est de la construire tous ensemble.