Cyril Linette : "Nous avons recentré le PMU sur son ADN"
Journaliste de formation, diplômé de Sciences Po et de l’ESJ Lille, Cyril Linette est, depuis 2018, le directeur général du PMU. Il revient pour Émile sur son parcours, le financement particulier de la filière hippique et l’évolution récente de son entreprise. Comment le géant du pari hippique en France a-t-il été impacté par la perte de son monopole sur le digital ? Quelle est la stratégie de redressement mise en place pour faire face à la crise traversée par le PMU ces dernières années ? Quelles sont les conséquences de l’épidémie de Covid ?
Propos recueillis par Bernard El Ghoul, Miryam Harrat et Maïna Marjany
Quel métier vouliez-vous exercer quand vous êtes entré à Sciences Po ? Aviez-vous déjà une passion pour le sport ?
J’ai toujours voulu être journaliste. En choisissant d’intégrer Sciences Po, mon objectif était ensuite de faire l’une des meilleures écoles de journalisme. Il me semblait évident que pour entrer à l’ESJ Lille ou au CFJ Paris, Sciences Po était un passage obligé. C’était le meilleur vecteur pour parfaire ma culture générale. J’avais à l’époque deux domaines de prédilection : le sport et la politique. En la matière, Sciences Po cochait toutes les cases. En revanche, je n’ai pas toujours eu une passion pour les paris hippiques [sourire, NDLR] !
Comment s’est construit votre parcours dans le domaine du journalisme sportif ?
Cela s’est imposé presque par hasard. Lorsque j’ai quitté l’ESJ Lille, j’ai effectué un premier CDD à Radio France Outre-mer. Le rédacteur en chef de l’époque m’a indiqué que si je choisissais les sports, il y aurait plus de choses à faire et que ça serait plus intéressant pour moi. Dans ce domaine, si l’on commence à décrocher des CDD et des piges, ça peut aller très vite. J’ai commencé à travailler pour Eurosport, puis Canal+. J’ai été rédacteur, reporter, présentateur, créateur d’émissions et commentateur de matchs pour diverses disciplines, mais essentiellement pour le football, pendant une douzaine d’années.
La suite de mon parcours s’est notamment construite à travers des rencontres déterminantes. À 35 ans, j’ai fait la connaissance d’Alexandre Bompard et de Bertrand Méheut. Aujourd’hui P.-D.G. de Carrefour, Alexandre Bompard était entré chez Canal+ en 2004 en tant que directeur de cabinet et directeur des affaires publiques de Bertrand Méheut, le président du groupe. En 2005, il est devenu directeur des sports. Il n’avait pas une connaissance très aiguë des métiers du journalisme et de l’antenne, mais nous nous sommes trouvés et bien entendus. Il m’a convaincu du fait que je devais construire ma carrière, chose à laquelle je ne pensais pas vraiment. Il m’a recommandé de me tourner vers les métiers du management, car d’après lui, j’avais les aptitudes pour cela. De son côté, il me demandait de l’aide, car il ne connaissait pas vraiment le milieu éditorial et le journalisme. C’est ainsi qu’a débutée notre collaboration. À la suite de son départ pour Europe 1 en tant que directeur général, j’ai repris le poste de directeur des sports. Pour le moment, j’ai effectué la première moitié de mon parcours professionnel en tant que journaliste et la seconde en tant que manager.
Journaliste sportif, directeur des sports puis P.-D.G. de L’Équipe, vous êtes ensuite devenu directeur général du PMU, en 2018. Est-ce une expérience si différente pour vous ?
Bien qu’il y ait un lien, à travers les courses hippiques, le PMU n’est ni un média ni un sport. C’est avant tout une entreprise commerciale qui fait du marketing sur les paris hippiques, du commerce dans les points de vente et du e-commerce. C’est aussi une grande boutique technologique, car il y a un aspect très innovant avec beaucoup d’informaticiens. L’expérience pour moi est donc très différente.
Depuis votre arrivée, en 2018, quels ont été les grands défis auxquels vous avez été confronté ?
À mon arrivée, le PMU était en grande difficulté. C’est pourtant une entreprise très puissante qui réalise un chiffre d’affaires important. Mais depuis 2010, elle fait face à une forte concurrence avec l’ouverture des jeux en ligne et l’officialisation des paris sportifs. Le PMU est également confronté à un vieillissement de sa clientèle, de son image, de ses lieux de distribution que sont les bars-PMU. En 2018, l’entreprise était en crise car elle perdait 3 % à 4 % de chiffre d’affaires par an. Le fonctionnement de toute la filière commençait à se gripper…
Pour quelles raisons ?
Comme le PMU était en crise, cela entraînait une baisse importante des revenus de la filière dans son ensemble. Pendant longtemps, l’entreprise a gagné beaucoup d’argent, grâce à son monopole, mais aussi à la création d’un univers technologique assez conséquent, ce qui a permis de dépasser les seules ventes au sein des hippodromes et de développer les paris dans les points de vente et sur internet.
Pouvez-vous nous expliquer le fonctionnement du PMU et ses liens avec la filière hippique ?
Le PMU a pour vocation de financer toute une filière. Nous sommes à la fois une entreprise et un groupement d’intérêts économiques dont l’intégralité des résultats financiers et bénéfices sont reversés à la filière hippique. Ce formidable système existe depuis 90 ans. C’est une économie circulaire, car les courses sont organisées par la filière hippique, sur lesquelles le PMU prend les paris, puis les bénéfices sont reversés aux organisateurs et aux 60 000 emplois de la filière. Il faut savoir que la filière hippique organise des courses qui font l’objet de paris depuis 1930. Historiquement, en France, le pari était interdit. Cependant, une exception a été faite pour le PMU au profit de la filière. Celle-ci organisait depuis 1860-1870 des courses qui généraient des paris sous le manteau. Pour encadrer cela, les paris sont officialisés au sein d’une structure que l’on a appelée PMU. Ce qui permet par la suite de gérer la redistribution des bénéfices une fois que les joueurs ont empoché leurs gains, que les impôts sont payés et les charges défalquées. Tous les bénéfices réalisés par le PMU financent les emplois et la filière.
Quelles actions avez-vous mises en place depuis votre arrivée pour redresser la situation ?
Nous avons concentré nos efforts autour de trois grands axes. Le premier a été de recentrer le PMU sur son métier d’origine, son ADN, c’est-à-dire les paris hippiques, qui ont fait la notoriété et la réputation de la marque. Le second a été de baisser fortement les charges d’exploitation, cela nous a permis de faire un vrai travail sur les coûts sans renier les capacités d’innovation et de développement commercial. Nous avons pu baisser les coûts du PMU de près de 80 millions d’euros en trois ans, soit environ 20 % des charges. Enfin, le troisième axe a été d’embarquer les salariés dans cette situation d’urgence et dans la revendication de notre ADN. Nous nous étions éloignés de notre cœur de métier en allant de plus en plus vers le pari sportif et les jeux de hasard, mais il était nécessaire de revenir à nos fondamentaux. Rétrospectivement, ces idées semblent bien fonctionner puisque, trois ans après, le chiffre d’affaires du PMU est reparti à la hausse.
La digitalisation du secteur et l’ouverture à la concurrence, en 2010, ont-elles obligé le PMU à entamer une profonde transformation numérique ?
En 2010, le poker et les paris (sportifs et hippiques) en ligne sont légalisés. Le PMU se lance alors avec une offre en ligne et le démarrage est plutôt bon, car la marque est déjà connue. Elle a une image rassurante et sérieuse qui permet aux clients de se sentir en confiance et en sécurité. À mon arrivée, j’ai constaté que l’entreprise était bel et bien digitalisée, mais qu’elle l’était finalement à l’envers. Elle se préoccupait beaucoup des paris sportifs et du poker, qui ne représentent pourtant que 1 % de la marge totale du PMU, contre 99 % pour les paris hippiques. Pour inverser la tendance, nous avons réalisé ce que j’appelle de la « focalisation marketing », pour recentrer notre offre digitale sur les paris hippiques qui ne représentaient alors que 10 % du total des paris. Le digital est important et ne doit pas être ignoré, c’est pour cela que nous travaillons toujours davantage à la transformation numérique du groupe.
Quelles mesures prévoyez-vous pour accompagner la digitalisation du PMU ?
Face à la crise que traversait l’entreprise, notre première priorité a été de la remettre en ordre de marche. Une fois le recentrage effectué sur notre ADN, il a fallu construire une nouvelle expérience digitale pour acquérir de nouveaux clients. Notre objectif est notamment de rendre moins hermétique l’accès au PMU, car il y a beaucoup de barrières à l’entrée. Ce n’est pas simple de se lancer quand on ne sait pas jouer ou qu’on n’en a pas l’habitude. Nous avons voulu rendre les paris hippiques plus clairs et davantage dans l’air du temps, attirer un nouveau public. Nous avions à peine amorcé les premiers changements que la crise du Covid-19 est arrivée. Avec la fermeture des points de vente, nos clients se sont plus tournés sur le site du PMU. En temps normal, nous recrutions en moyenne 200 000 nouveaux clients par an sur le digital. En 2020, nous en avons recruté 25 % de plus, soit 250 000 et cela ne cesse de s’accélérer. Depuis le début de l’année 2021, nous avons chaque semaine une croissance de 80 % sur les paris hippiques par rapport à l’année précédente, alors que les innovations que nous avions prévues sont encore en préparation. Quatre-vingt pour cent des clients que nous recrutons sur pmu.fr sont des clients du réseau physique et 20 % sont de nouveaux clients.
La digitalisation entraîne-t-elle un changement de la sociologie de votre public ? Est-il plus jeune, plus féminin ?
Pour jouer sur internet, il faut créer un compte, contrairement aux points de vente qui sont anonymes, nous avons donc accès au profil des joueurs sur le digital. Pendant longtemps, ce secteur n’a représenté que 10 % du chiffre d’affaires du PMU, notamment parce que les clients ne souhaitaient pas créer de compte, afin de préserver leur anonymat. C’est en train de changer, car nous travaillons sur notre image. Nous faisons comprendre à nos clients que la création d’un compte est bénéfique pour leur sécurité.
Par ailleurs, la clientèle du PMU n’est pas aussi typée socialement qu’on peut le croire, même si certains points de vente renvoient l’image d’une clientèle âgée et masculine. Dans les faits, elle a en moyenne 55 ans en point de vente et moins de 50 ans sur le digital. Ces profils ne sont pas si éloignés de ceux des utilisateurs de la FDJ, mais ce qui change fondamentalement, c’est notre taux de pénétration de la population française : de 7 % à 8 % pour le PMU contre 48 % pour la FDJ. Nous devons nous occuper de notre clientèle traditionnelle, car c’est elle qui fait vivre l’entreprise, mais nous sommes conscients qu’il est nécessaire de la régénérer, y compris en la rajeunissant et en la féminisant, c’est le rôle du digital.
Après la fermeture des points de vente et l’arrêt des courses pendant le premier confinement, le PMU a eu d’excellents résultats pendant l’été. Qu’est-ce que cela dit de la place du secteur hippique dans notre société ? Est-ce une sorte de valeur refuge ?
D’abord, cela dit que la filière hippique s’est bien organisée par rapport à d’autres sports. Elle a fait preuve de responsabilité et a su convaincre les autorités publiques, jusqu’au président de la République – grâce notamment à l’intervention de Philippe Augier [président du PMU et maire de Deauville, NDLR] – pour redémarrer dès le 11 mai en respectant les règles sanitaires. Le premier confinement nous a fortement impactés, car le PMU a perdu 95 % de son chiffre d’affaires. Cette situation pouvait devenir très préoccupante pour les emplois de la filière, nous nous sommes donc mobilisés afin d’ouvrir l’ensemble de notre réseau. Pour cela, nous avons investi 15 millions d’euros à destination de nos 13 200 points de vente alors même que nous perdions beaucoup d’argent. L’activité a pu être relancée et le 15 juin, nous étions déjà revenus au chiffre d’affaires normal.
Nous avons ensuite vécu un été record, en particulier car les Français sont moins partis en vacances. Ces derniers avaient aussi un peu d’épargne qu’ils ont utilisée dans nos jeux et points de vente, eux-mêmes davantage ouverts qu’habituellement l’été (5 % de points de vente en plus ouverts au mois d’août). Plusieurs éléments nous étaient favorables, dont une clientèle à qui nous avions manqué et qui avait envie de jouer. Cela a duré de juin à septembre. Mais la deuxième vague de l’épidémie et les nouvelles restrictions depuis octobre sur notre réseau ont plombé à nouveau notre chiffre d’affaires.
N’avez-vous pas peur que la crise sanitaire mette à terme en danger la santé financière du PMU ?
Elle peut mettre en danger l’entreprise si nos points de vente venaient à mettre la clé sous la porte, c’est un motif de préoccupation. Entre 75 % et 80 % de notre chiffre d’affaires est réalisé par nos réseaux. Actuellement, 25 % de nos points de vente sont fermés depuis la fin du mois d’octobre et ils représentent 40 % de notre chiffre d’affaires habituel. Nous avons dégagé en début d’année une enveloppe de huit millions d’euros afin de payer un mois de loyer à nos 3 500 points de vente toujours fermés. Nous considérons cela comme un acte citoyen et solidaire. Notre réseau souffre et même si les aides de l’État sont présentes nous voulions apporter une contribution. Nous avons aussi la volonté de protéger notre activité et pour cela, nous restons mobilisés afin que notre réseau reste en vie.
Comment protégez-vous les publics vulnérables (mineurs et addicts, notamment) ?
Nous sommes conscients de la responsabilité qui incombe à une entreprise qui fait du jeu d’argent. Si des opérateurs comme le PMU, la FDJ ou les casinos n’existaient pas, le jeu d’argent évoluerait dans un cadre illégal qui ne protègerait pas ses clients. Nous devons développer notre entreprise dans un cadre responsable afin d’éviter de créer de l’addiction.
Nous sommes très contents de la création récente de l’ANJ, nouvelle autorité de régulation des jeux, car auparavant, la régulation était dispersée entre différents ministères. Fidèle à sa mission, l’ANJ nous demande d’être toujours plus responsables. Elle nous incite à mettre des messages d’avertissement ou à former nos titulaires de points de vente afin de repérer la pratique de certains clients qui dépasserait le cadre récréatif. Ce sont des choses que nous faisons déjà, mais nous sommes conscients que notre rôle implique que nous en fassions plus.
Quels sont vos objectifs pour les prochaines années ?
Tout d’abord, relancer et remettre le PMU sur le chemin de la croissance. Il l’est déjà, mais nous avons besoin que cette crise passe. Ce serait une grande satisfaction pour les équipes qui travaillent dur depuis trois ans de retrouver des chiffres en hausse dès que notre réseau sera ouvert. Ensuite, poursuivre notre transformation digitale afin de continuer à recruter de nouveaux publics. C’est sur le volet du e-commerce que les perspectives de croissance sont les plus tangibles. Enfin, œuvrer à un cadre de fonctionnement cohérent avec celui posé par l’ANJ. Nous travaillons notamment à la mise en place d’outils de détection des comportements de jeu pathologique, nous sommes partenaires et financeurs d’associations de prévention et d’accompagnement des joueurs, mais l’Autorité doit aussi comprendre nos contraintes économiques, celles d’être le financeur de toute une filière.
En conclusion, excepté l’inquiétude que nous avons sur l’état de notre réseau de points de vente – que nous espérons retrouver d’aplomb dans quelques mois –, les perspectives sont très bonnes.
Cet entretien a été initialement publié dans le numéro 21 d’Émile, paru en avril 2021.