Bolsonaro revigoré vs. Lula fragilisé : quel bilan pour le premier tour des élections présidentielles brésiliennes ?
Dimanche 2 octobre 2022, le Brésil a retenu son souffle. Résultat final du premier round des élections présidentielles : 48,4 % des voix pour Lula da Silva, contre 43,2 % pour son adversaire Jair Bolsonaro. Émile fait le bilan des enseignements à tirer de ce scrutin au score beaucoup plus serré que prévu.
Par Anaïs Richard (promo 2020), correspondante au Brésil
Un pays plus polarisé qu’anticipé dans les sondages
« Ce n’est qu’une prolongation », assure Lula Da Silva depuis la tribune de son QG à São Paulo, dans la nuit du dimanche 2 octobre. L’ancien métallo se veut rassurant, mais les regards inquiets de ses lieutenants trahissent la surprise. Jair Bolsonaro a réalisé un score bien plus élevé que ce que laissaient espérer les sondages. La veille du scrutin, une enquête de l’Institut de référence Datafolha prédisait au candidat de gauche 50 % des voix, laissant entrevoir la possibilité d’une victoire dès le premier tour. Les espoirs de raz-de-marée rouge des partisans de Lula seront finalement rapidement douchés. Sur l’avenue Paulista, où ils étaient rassemblés pour célébrer leur champion, la soirée électorale a tourné au fiasco. Les Brésiliens présents sur place ont passé de longues heures à actualiser nerveusement la page du Tribunal supérieur électoral sur leur téléphone. Et pour cause : Jair Bolsonaro est resté en tête du scrutin jusqu’à 20 heures, avant que Lula ne lui passe finalement devant. Le président sortant d’extrême-droite, crédité à 36 % des suffrages, en récoltera finalement 43,2 %.
Les deux mastodontes de la politique brésilienne faisant la course en tête obtiennent à eux seuls 91,6 % des voix. Conséquence : le pays apparait comme plus polarisé que jamais. « Les partis du centre ont été les plus affaiblis lors de ces élections », analyse le politologue brésilien Paulo Henrique Paschoeto Cassimiro. Selon lui, cette remontée inattendue de Bolsonaro serait en partie due « au vote utile d’un électorat qui rejette Lula par-dessus tout et qui, au départ, aurait préféré choisir le candidat de centre-gauche Ciro Gomes ». La campagne massive en faveur du vote utile promue par les partisans de Lula aurait incité certains électeurs à migrer vers un vote Bolsonaro dès le premier tour.
Le bolsonarisme s’enracine au Brésil
« On s'attendait à ce que la vague réactionnaire qui a émergé lors des élections de 2018 diminue. Ce que les élections nous ont montré, c'est que Bolsonaro a encore une capacité extraordinaire à mobiliser des voix, pour lui et ses alliés », souligne Paulo Henrique Paschoeto Cassimiro. Car le 2 octobre, les Brésiliens ont également voté pour renouveler les deux chambres du Congrès et élire les gouverneurs des 27 États du pays. Ces deux scrutins ont été largement favorables au président sortant : en raflant 99 sièges (trois fois plus qu’en 2018), le Parti libéral de Bolsonaro s’est assuré la domination de la Chambre des députés. Au Sénat, renouvelé partiellement, le parti du chef de l’État progresse également. « L'extrême droite au Brésil s’est consolidée et constitue aujourd’hui la plus grande force politique du pays », constate Paulo Henrique Paschoeto Cassimiro.
Un deuxième tour de tous les possibles
Les résultats de ce premier tour ont rebattu les cartes de l’élection présidentielle, dont l’issue est plus incertaine que prévu. Les défis sont nombreux pour les deux candidats en lice. Ils devront conquérir les abstentionnistes – près de 20 % dans un pays où le vote est obligatoire – ainsi que l’électorat qui a opté pour le vote blanc. Il leur faudra aussi récupérer les voix données aux candidats arrivés en troisième et quatrième positions lors du premier tour : Simone Tebet (centre-droit, 4,2 %) et Ciro Gomes (centre-gauche, 3 %). Ces derniers ont d'ores et déjà annoncé leur soutien à Lula da Silva. Pour l’emporter sur son rival d’extrême droite, le candidat du parti travailliste devra s’attirer les voix des évangélistes et séduire les électeurs du Sudeste, largement favorables à Bolsonaro. Que Lula conserve son avance ou se fasse rattraper par la vague Bolsonaro, le 30 octobre prochain, les électeurs brésiliens se rendront aux urnes dans un climat qui s’annonce tendu.