Pierre Courbebaisse : "On entre dans une société de la compétence"
Près de quatre ans après la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, le président des Acteurs de la Compétence, décrypte les mutations et innovations d’un secteur en constante et rapide évolution. Selon lui, l’accent doit encore être mis sur l’apprentissage et la pérennisation de son financement.
Depuis plus de 30 ans, la Fédération de la formation professionnelle œuvre en faveur de l’accès à la formation pour tous. Elle agit également pour permettre aux entreprises de former leurs salariés et de recruter une main-d’œuvre compétente. Première organisation représentative des acteurs de la filière économique de la formation professionnelle et du développement des compétences, la fédération porte dans le débat public des propositions et initiatives pour, toujours, améliorer et moderniser le secteur de la formation professionnelle, levier majeur de la compétitivité d’une entreprise, d’un secteur, d’un pays et de l’épanouissement professionnel de l’individu.
Alors que le monde du travail évolue très rapidement, que de profondes mutations sont en cours, il est aujourd’hui indispensable que le secteur de la formation professionnelle accompagne ces transformations. À l’heure où la compétence – le savoir, le savoir-être et le savoir-faire – s’affirme comme élément fondamental du travail, de l’emploi et de la compétitivité des territoires, la Fédération de la formation professionnelle est devenue, en 2021, Les Acteurs de la Compétence.
Une nouvelle identité pour représenter une filière et des métiers à l’objectif commun :
la compétence professionnelle.
À l’aube d’un nouveau quinquennat, quatre ans après la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, en vigueur depuis le 1er janvier 2019, Les Acteurs de la Compétence ont bien l’intention de peser dans cette campagne présidentielle. Qu’attendent-ils du prochain président ? Quelles sont leurs propositions ? Quels enjeux à l’ère de la digitalisation et de la transition écologique ?
Rencontre avec Pierre Courbebaisse, le président de la fédération.
Quelles sont les grandes évolutions du secteur de la formation professionnelle ?
Ces évolutions sont très souvent sous-tendues par les évolutions législatives et réglementaires. La formation professionnelle est un champ de politique publique historiquement important. Au niveau socio-économique, ces dernières années, le fait le plus marquant est le passage de la formation, un moyen, à la compétence professionnelle, le résultat. La formation était très centrée sur la qualification des individus. Le système fonctionnait étape par étape, de qualification en qualification. La compétence, elle, se mesure en situation de travail. Elle consiste en la mobilisation d’un savoir-être et d’un savoir-faire dans un environnement professionnel.
Comment cette ère de la compétence modifie-t-elle ce que l’on attend des salariés et futurs salariés ?
On entre dans une société de la compétence, c’est un outil de productivité et de croissance essentiel, de promotion et de maintien social. Dans cette nouvelle ère, les soft skills [compétences transversales, NDLR] comptent autant que les compétences techniques. C’est-à-dire que désormais, on embauche un salarié pour ses compétences techniques, mais aussi pour ses capacités à monter en compétence et à se former. La loi Pénicaud accompagne ce mouvement avec le renforcement du Compte professionnel de formation [crédité en euros et non plus en heures, NDLR], que nous avions envisagé dès 1995. Il s’agit bien de disposer, pour tout actif, d’un capital financier pour financer un capital compétence.
La loi Pénicaud a également largement contribué à l’essor de l’apprentissage.
La loi a ouvert le système de l’apprentissage. Avec plus de 700 000 contrats signés en 2021, c’est un record, obtenu grâce à la libéralisation des offres de formation. Les aides exceptionnelles à l’embauche d’alternants instaurées par le Plan de relance à l’issue de la crise ont aussi contribué à cet essor. Cette aide exceptionnelle a été prolongée jusqu’en juin 2022. C’est une erreur d’arrêter le dispositif en juin, car c’est la période de signature des nombreux contrats d’apprentissage, il faut au moins la poursuivre jusqu’au 31 décembre 2022. Surtout, il faut continuer à développer l’apprentissage en stabilisant son financement. Nous attendons du prochain quinquennat un financement pérenne de l’apprentissage, qui permette de poursuivre le développement de cette voie d’excellence pour la jeunesse. Notre fédération attend également une plus grande ouverture réglementaire de l’apprentissage dans des secteurs où il est encore trop absent : la santé, le service aux personnes et la sécurité, notamment. L’apprentissage est un levier majeur de la compétence et pourrait, à terme, devenir la voie d’insertion professionnelle dominante, adossée à une formation généraliste.
En tant que première organisation professionnelle des entreprises de formation, comment votre fédération veut-elle accompagner les mutations en cours ?
Notre filière englobe désormais la formation, l’évaluation, la certification, le coaching, les fournisseurs de contenus, les fournisseurs de solutions pédagogiques digitales, le conseil RH et l’accompagnement. Cela correspond à un écosystème, au service, notamment, des entreprises et de l’individu. Notre objectif est de créer un écosystème de la compétence, une communauté professionnelle forte dans laquelle échanges et partenariats permettront à chacun de se développer et d’innover pour toujours mieux répondre aux attentes, aux usages et aux besoins des bénéficiaires. À court terme, l’un des enjeux majeurs est la modernisation du système de certification professionnelle, qui doit devenir plus agile et plus réactif face à la rapidité de l’évolution de la demande et des besoins.
Il s’agit en effet d’une activité peu connue du grand public. De quoi est-il question concrètement ?
Nous passons d’un système de qualification à un système de compétence. Il faut donc certifier cette compétence pour la rendre lisible aux yeux de l’entreprise et à ceux de l’individu, afin qu’il puisse la valoriser. Dans ce nouveau contexte, la nécessité de faire de la formation avec une certification devient incontournable. Nous sommes à un tournant crucial de cette activité récente en France. Alors qu’elle devient majeure, il faut la redéfinir, lui permettre d’innover et l’encadrer. Comment certifier une compétence ? Selon quelles modalités et quel périmètre ? Que certifie-t-on ? Comme rendre lisible une compétence ? Comment ces compétences peuvent-elles être complémentaires pour obtenir un diplôme ? Nous préparons la certification et les diplômes professionnels de demain.
Demain semble être déjà là, tant la crise sanitaire a accéléré les mutations. Comment répondez-vous à la digitalisation express du secteur ?
L’enjeu de notre profession et de nos entreprises a longtemps résidé majoritairement dans la qualité de la formation et le professionnalisme de ses acteurs. Désormais, un deuxième enjeu porte sur les modalités de la formation, en profonde mutation. La formation à distance n’est reconnue dans le Code du travail que depuis 2016. Nous déployons, depuis 2017, des actions d’accompagnement à la transformation numérique des entreprises de notre secteur dans le cadre d’un Programme d’investissements d’avenir (PIA). Nous avons ainsi déjà accompagné plusieurs centaines d’entreprises de formation. La crise sanitaire a accéléré ces transformations des acteurs : on est passé de 10 % de formation à distance à 40 %. Cette dernière offre une meilleure individualisation de la formation et en démocratise encore davantage l’accès.
Cependant, le distanciel présente aussi ses limites : des formations ne peuvent, par nature, se faire à distance – celles qui nécessitent des plateaux techniques, pour les publics les plus fragiles, pour les publics en rupture numérique et pour certaines formations comportementales.
Par ailleurs, cela représente pour les entreprises du secteur un investissement lourd d’un point de vue financier et organisationnel. Par exemple, trois heures de formation en distanciel correspondent à de très nombreuses heures de préparation de cours. En créant une filière d’excellence, nous avons l’intention de contribuer à lever ces obstacles.
En distanciel, le risque de formation bas de gamme n’est-il pas accru ?
Nous promouvons un secteur économique régulé par la qualité. En distanciel, en présentiel, ou en blended-learning, un professionnel du secteur met en place des outils d’accompagnement, d’évaluation et de suivi pédagogique. Nous avons aussi appelé de nos vœux la création du label d’État Qualiopi, obligatoire depuis le 1er janvier 2022 pour toutes les entreprises de formation bénéficiant des fonds mutualisés et publics de la formation.
Les Acteurs de la Compétence en chiffres
1991 : Création de la Fédération de la formation professionnelle.
13 délégations régionales.
3 milliards d’euros de chiffres d’affaires cumulés.
250 adhérents supplémentaires en 2021.
2021 : La Fédération de la formation professionnelle devient Les Acteurs de la Compétence.
Pour aller plus loin :
Ce publi-reportage a initialement été publié dans le numéro 24 d’Émile, paru en mars 2022.