Législatives 2022 : les six enseignements à retenir
Une majorité présidentielle minoritaire, une alliance des gauches incertaine, un Rassemblement national qui fait plus que jamais front : ces élections législatives ont consacré la victoire de l’inédit. Bruno Cautrès, chercheur CNRS au Cevipof, et Frédéric Dabi, directeur général Opinion de l’institut de sondage Ifop, analysent pour Émile les six conclusions à retenir de ce scrutin.
Par Louis Chahuneau et Camille Ibos
C’est une tempête politique qui s’est abattue ce dimanche soir sur le gouvernement fraîchement nommé d’Emmanuel Macron. Pour la première fois depuis l’avènement du quinquennat, le président n’obtient pas la majorité absolue à l’Assemblée nationale. En 2017, la marée En Marche ! avait fait élire 308 députés. Cinq ans plus tard, c’est la dégringolade : avec 246 députés, la liste Ensemble ! rate la majorité absolue à 43 voix près. La Nupes, bonne deuxième, qualifie 142 députés, contre 89 pour le RN et 64 pour LR-UDI. La République en marche va donc devoir trouver de nouveaux alliés dans l’hémicycle pour faire passer ses textes. Voici six enseignements à tirer de ce second tour inédit.
« Pas de fumée sans feu » : LREM paye son absence de campagne
Avec 246 sièges, la liste présidentielle Ensemble! rate, de loin, l’objectif de la majorité absolue qui était de 289 sièges. Pour rappel, le parti présidentiel avait obtenu 308 sièges en 2017. Élu confortablement lors du second tour de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron n’a donc pas réussi à transformer l’essai lors des législatives et paye son absence de campagne, comme l’explique Frédéric Dabi, directeur général Opinion de l’IFOP : « L’erreur a été de temporiser de manière incroyable après la présidentielle. Emmanuel Macron pensait visiblement que l’effet de souffle traditionnel allait jouer, ça n’est pas arrivé. »
Le parti présidentiel a d’ailleurs perdu plusieurs ténors lors de ce second tour comme le président sortant de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, battu dans le Finistère, l’ex-président du groupe LREM, Christophe Castaner, dans les Alpes-de-Haute-Provence, ou la ministre de la transition écologique, Amélie de Montchalin, dans l’Essonne. Celle-ci est d’ailleurs contrainte de démissionner du gouvernement au bout… d’un mois. Globalement, plusieurs candidats Ensemble! ont souffert de leur image de parachuté, à l’image de Jean-Michel Blanquer qui a été battu dès le premier tour dans le Loiret.
De son côté, la nouvelle Première ministre, Elisabeth Borne, dont le poste est menacé, n’a gagné que d’une courte tête dans le Calvados (52,46% contre la NUPES), et n’a donc pas renforcé sa légitimité à la tête du gouvernement, ainsi que le rappelle Frédéric Dabi : « Elisabeth Borne n’a pas eu la même dimension nationale qu’Edouard Philippe en 2017 qui avait déclaré lors de sa nomination être un homme de droite. Cette fois-ci Borne s’est contentée de faire campagne dans sa circonscription et de gagner. »
« Diviser pour (ne pas) régner » : un gouvernement pieds et poings liés
Ces élections législatives ont donné naissance à la plus faible majorité présidentielle de la Ve République. En l’absence d’un gouvernement de coalition ou d’union nationale, le risque est celui d’un blocage et d’un pouvoir exécutif incapable de faire voter ses projets. « Les institutions de notre pays ne permettent de toute façon pas de coalition », explique Bruno Cautrès, chercheur au Cevipof. « Au nom de son élection et de ses pouvoirs forts, le président est légitime pour vouloir appliquer son programme. Les députés n’ont, de plus, pas été élus au suffrage proportionnel. Enfin, nous n’avons aucune formation politique qui se soit présentée dans l’idée que ses propositions pourraient être amendées en cas de coalition ». Frédéric Dabi évoque de son côté une assemblée à la croisée des chemins : « On peut soit faire une majorité de projet, au cas par cas et non par un accord de législature, soit une assemblée complètement paralysée, qui voterait deux textes par an, le budget et un texte Y via l’article 49.3 ». Ce renouveau parlementaire pourra aussi conduire à une re-parlementarisation de la Ve République, dans la lignée de la « crise de la monarchie présidentielle » dénoncée par le député EELV Julien Bayou. « Ce Parlement n’appliquera pas en bloc la politique du président. Tout au long du quinquennat, l’opposition a critiqué le fait que quoi qu’elle propose, rien n’était retenu », rappelle Bruno Cautrès. « Les députés, notamment de la Nupes, mettent maintenant en avant leur capacité à rédiger des textes qu’ils estiment porteurs des attentes des Français et demandent à ce qu’on leur laisse faire des propositions. » À moins qu’un parti d’opposition ne rejoigne la majorité et s’avère décisif ?
« Ce qui ne tue pas rend plus fort » : les Républicains limitent la casse
C’est le paradoxe de leur campagne. Après une élimination au premier tour de la présidentielle (4,78% pour Valérie Pécresse) et un score historiquement bas lors de ces législatives avec 61 députés élus, Les Républicains se classent comme la deuxième force d’opposition, derrière le RN. Un score historiquement bas lorsqu’on sait que LR avait qualifié 112 députés en 2017, l’UMP 185 en 2012 et 313 en 2007 lors de l’élection de Nicolas Sarkozy.
Malgré ce faible score, le groupe LR, qui compte bien se situer dans l’opposition au parti présidentielle, se voit attribuer un rôle déterminant dans les nouvelles alliances que va devoir conclure Emmanuel Macron pour gouverner.
Pour Frédéric Dabi, « Compte tenu de cette situation de blocage et de cette majorité relative, ils prennent une importance tactique très forte dans cette nouvelle assemblée. Ce qui aurait pu être vu comme une déroute apparaît finalement comme une défaite honorable ». Selon Le Monde, Gérald Darmanin et Olivier Véran, ont appelé plusieurs élus LR ces derniers jours afin de les sonder sur d'éventuels accords de projet, mais les députés LR n’entendent pas se laisser amadouer si facilement. D’autant qu’ils viennent d’élire à 40 voix contre 20 le député Olivier Marleix, un proche de Laurent Wauquiez et de la ligne dure du parti, à leur tête pour remplacer Christian Jacob. Une décision qui ne risque pas d’arranger les calculs de la majorité présidentielle.
« En avril, perds d’un fil, en mai, fais ce qu’il te plaît » : la NUPES ou l’avenir incertain
Début mai, un objet politique non identifié intégrait la campagne pour les législatives. La Nouvelle Union Populaire Écologiste et Sociale (Nupes) a depuis cristallisé les espoirs d’une gauche auparavant fragmentée, recueilli davantage de voix qu’Ensemble ! au premier tour des législatives, et posé la question d’une éventuelle cohabitation. Pourtant, dès le lendemain du second tour, le Parti Socialiste, EELV et le Parti Communiste refusaient la proposition de la France Insoumise de ne former qu’un seul et même groupe parlementaire.
L’union n’aura-t-elle fait la force que le temps d’une campagne ? « L’important était de créer le récit d’une gauche unie qui pourrait réussir », estime Frédéric Dabi. « Maintenant, avec 142 sièges, le pari n’est qu’à moitié gagné. Il faut que la Nupes nourrisse cette vision d’une alternative de gauche, qui passe par un groupe et des décisions communes. Pour l’instant, le risque de coquille vide est réel. » Pour Bruno Cautrès, « il s’agit de voir la Nupes comme un processus qui n’est pas encore fini. C’est un acte fondateur dont on ne sait pas encore si les dynamiques centripètes ou centrifuges vont prendre le dessus sur lui. Comme dans toute fusion d’entreprise, on ne peut juger le fonctionnement futur à ses réglages de départ ! » Réglages de départ dont le résultat sera essentiel : réunie en un seul groupe, la Nupes est l’opposant principal au gouvernement. Fragmentée en plusieurs, elle laisse cette place, et possiblement la Commission des Finances, au Rassemblement national.
« Après la pluie, vient le beau temps » : marée RN et Marine souveraine
Avec 89 députés qui ont fait leur rentrée à l’Assemblée nationale ce mercredi 22 juin (sur 161 candidats présentés), le Rassemblement national et sa leader, Marine Le Pen, sont incontestablement les grands vainqueurs de ces législatives. La stratégie de saturation de l’espace médiatique promue par Jean-Luc Mélenchon n’a donc pas forcément porté ses fruits face à une Marine Le Pen plus discrète : « Je n’ai jamais corroboré l’idée d’une Marine Le Pen déprimée, qui partait en vacances. J’ai au contraire toujours pensé que c’était très stratégique et qu’elle avait compris qu’au sortir des présidentielles, il fallait qu’elle se mette un peu en retrait », estime le politologue du CEVIPOF, Bruno Cautrès.
Plusieurs facteurs expliquent cette entrée en force à l’Assemblée nationale. D’abord, la digue du « Front Républicain » qui empêchait quasi systématiquement le Rassemblement national de passer au second tour a sauté. « Entre la victoire de Yann Piat (FN) en 1988 dans le Var, et la victoire de 8 députés frontistes en 2017, le parti n’avait jamais gagné un seul duel au second tour », rappelle Frédéric Dabi. Cette fois-ci, le RN a remporté 55% de ses duels face à la Nupes et 48% de ses duels face à Ensemble !, notamment grâce au reports de voix.
En cas de duel RN/Nupes au second tour, « 72% des électeurs Ensemble ! se sont abstenus, 16% ont voté Nupes, 12% pour le RN. Chez les électeurs LR, 58% n'ont pas voté, 30% ont voté RN et 12% pour la Nupes », expliquait Brice Teinturier, délégué général d’Ipsos sur France 2.
« Le RN a profité à plein de cette tripartition du jeu politique - extrême centre, gauche Nupes et extrême droite-, en bénéficiant de bons reports de voix chez les LR dans l’Aude ou le Var, qui ont vu une Marine Le Pen recentrée par la candidature d’Éric Zemmour », explique notamment Frédéric Dabi. Bruno Cautrès complète : « À l’automne dernier, beaucoup de commentateurs prédisaient qu’Éric Zemmour allait balayer Le Pen d’un trait de plume, et voilà que le contraire s’est produit. […] La campagne d’Éric Zemmour a renvoyé une image plus modérée de Le Pen, même si le programme du RN est, pour employer un euphémisme, bien loin encore de la modération centriste ! »
Désormais première force d’opposition à l’Assemblée nationale (avec la Nupes menacée de dislocation), le RN pourrait rafler la stratégique commission des finances dès cette semaine.
« C’est en forgeant qu’on devient forgeron » : une assemblée de primo-entrants, vraiment plus représentative des Français ?
Avec 52% de députés primo-entrants (contre 75% en 2017), ces législatives auront révélé des symboles forts. Pour la première fois, une femme de chambre, Rachel Keke (Nupes) est entrée à l’Assemblée nationale, et 150 députés sur 577 ont moins de 40 ans. Le Palais-Bourbon est-il pour autant à l’image de la société française ? « La représentativité, ce serait 52% de femmes, 20% d’ouvriers et 25% d’habitants des communes rurales. On n’est pas là-dessus », commente Frédéric Dabi. Point faible de ces législatives, moins de femmes ont été élues députées qu’elles ne l’avaient été en 2017. Elles ne sont plus que 37%, contre 39% cinq ans plus tôt. Le visage de l’Assemblée se rapproche cependant davantage de celui de l’opinion populaire qu’en 2017 : « Il y a cinq ans, le Rassemblement national avait élu moins de dix députés, alors même qu’il venait de qualifier sa candidate au second tour de l’élection présidentielle. Ce décrochage, entre la présidentielle et les législatives, s’est moins produit cette année, tant au sein du RN que de LFI », explique Bruno Cautrès.
Peut-on néanmoins véritablement parler d’une assemblée représentative, quand le taux d’abstention s’élève à plus de 53% ? Voir davantage de jeunes députés aidera-t-il la jeunesse à revenir au vote, à l’heure où l’abstention des 18-25 ans atteint les 70% ? Les politologues ne le pensent pas. Pour Frédéric Dabi, « la crise de confiance est une crise de résultat. Une assemblée bloquée donnera l’image d’une assemblée inutile, et les Français ne le supporteraient pas. Face à l’obsession du pouvoir d’achat, l’anxiété sur les questions climatiques et l’inquiétude sécuritaire, une Assemblée qui ne travaillerait pas ne ferait qu’accentuer la défiance envers le personnel politique. » Quant à la jeunesse, selon Bruno Cautrès, son abstention massive proviendrait de « raisons structurelles, qui échappent au casting électoral et sont dues à des situations sociales difficiles, précaires, qui n’encouragent pas à la participation politique. Par ailleurs, une partie des jeunes considère que ce n’est plus nécessairement par le vote qu’on doit s’exprimer. » Au lendemain des élections, les nouveaux députés ont cinq ans pour transformer la défiance en confiance.