Investissements : le Gabon en opération séduction
À travers sa stratégie économique de diversification et de transformation, le Gabon entend non seulement booster sa croissance, mais également attirer de nouveaux investisseurs internationaux. Entretien avec Hugues Mbadinga Madiya, ministre de la Promotion des investissements, chargé de l’amélioration du climat des affaires.
Après deux ans de crise sanitaire, comment se porte l’économie gabonaise ?
Malgré quelques années marquées par la crise pétrolière de 2014, puis la crise sanitaire de 2020, elle se porte bien. Comme tous les pays africains, nous avons subi un double choc, à la fois sur l’offre et la demande de nos produits, avec pour conséquence un effondrement de plusieurs secteurs, notamment extractifs. Mais grâce à nos efforts de diversification, nous avons limité cette récession à -0,8 % du PIB en 2020. En parallèle, le gouvernement a mis en place un programme, le Plan d’accélération de la transformation (PAT), dont les résultats se sont déjà montrés positifs avec une croissance de 1,5 % en 2021 et une croissance espérée de 3 % en 2022. Nos équilibres internes et externes ont été rétablis et la dette publique maîtrisée. Aujourd’hui, nous sommes en mesure de conduire sereinement notre programme de développement avec des investissements dans les secteurs prioritaires de l’énergie, la santé, l’éducation, les secteurs productifs tels que les mines, le pétrole, le bois, la pêche, l’agriculture et les services.
Quels sont les objectifs de cette politique de diversification ?
Notre économie est restée longtemps tributaire de ses matières premières, notamment le pétrole et les mines, qui représentaient plus de 98 % de ses exportations. Cette économie de rente nous a malheureusement exposés aux chocs conjoncturels externes, dont les contre-chocs successifs (1985, 1998, 2008, 2014) n’ont pas favorisé le déploiement à terme des programmes d’investissement. Son Excellence le président de la République gabonaise, Ali Bongo Ondimba, a donc entamé dès 2010 une politique de diversification appelée Plan stratégique Gabon émergent. Ses objectifs : la transformation locale de nos matières premières, une plus grande intégration dans les chaînes de valeur régionales et mondiales, une production plus importante de richesses, la création d’emplois, le transfert de savoir-faire, tout ceci dans une logique de préservation de l’environnement. Les résultats de cette politique commencent à se voir : hors pétrole, nos exportations sont aujourd’hui d’environ 25 % et nous avons commencé un réarmement industriel du pays avec la production de biens et services dans des secteurs pour lesquels nous dépendions jusqu’ici de l’extérieur.
Le PAT s’inscrit donc dans cette stratégie ?
Cette feuille de route montre le chemin à suivre sur la période 2021-2023 pour une transformation réelle de l’économie gabonaise. Estimé à environ six milliards de dollars, il est basé sur trois piliers. Le premier a pour vocation de préparer les secteurs productifs de demain, en gérant le déclin progressif du pétrole et en accompagnant la transition énergétique Ð notamment grâce aux énergies hydrauliques ou solaires Ð et la montée de nouveaux secteurs de production ou de services. Parmi eux : le bois, le Gabon étant le premier pays africain producteur de contreplaqué et l’un des leaders africains de transformation ; ou le secteur minier, avec la production du manganèse métal et du ferromanganèse ; ou encore dans le domaine de l’or et de la raffinerie aurifère. Cela concerne aussi l’environnement Ð notre pays est le premier au monde en matière de captation de carbone Ð et l’écotourisme, 13 % de notre territoire étant consacré aux grands parcs nationaux et marins. Le deuxième pilier vise la mise à niveau des catalyseurs de développement pour créer les conditions du développement économique dans tous les secteurs et améliorer les conditions de vie des Gabonais. Le dernier pilier entend créer les conditions d’un nouveau pacte social fondé sur une participation et une efficacité accrues du secteur privé avec plus d’impact, des politiques RSE ; et la préservation des principaux filets sociaux.
Et concernant l’investissement ?
D’importantes réformes ont été mises en œuvre pour améliorer le cadre des affaires et attirer les investisseurs, telle la création d’une agence nationale de promotion des investissements, interlocuteur unique permettant la création d’entreprise en 48 heures. De nombreux codes sectoriels, avec des incitations fiscales et administratives, ont été adoptés dans les domaines minier, pétrolier, touristique, agricole, forestier (d’ailleurs en cours de révision pour le rendre plus attractif). Nous avons également créé des zones d’investissements dans plusieurs parties du pays dans les secteurs agricoles et du bois. L’une d’entre elles, la Zone économique de Nkok, a été élue meilleure zone africaine par le magazine FDI Intelligence. Plusieurs véhicules d’investissements ont été mis en place pour accompagner cette volonté : le Fonds gabonais d’investissements stratégiques (FGIS), la Sotrader dans le secteur agricole, la Caisse des dépôts et consignation, la Société équatoriale des mines (SEM), Gabon Oil Company dans le secteur pétrolier, etc. Le Gabon est aujourd’hui prêt à accueillir le capital international et ses investisseurs internationaux, les opportunités sont nombreuses.
De quelle manière vos bailleurs de fonds/partenaires financiers soutiennent-ils vos objectifs ?
Le PAT a été négocié et validé avec le concours des partenaires techniques et financiers. C’est sur cette base que nous avons conclu un accord triennal avec le Fonds monétaire international (FMI). Plusieurs autres bailleurs tels que la Banque mondiale, la Banque africaine de développement (BAD), la Banque islamique de développement (BID), l’Agence française de développement (AFD), le Trésor français, soutiennent la stratégie du gouvernement. Nous travaillons avec eux sur le guichet souverain pour des prêts. Toutefois, une bonne partie de notre programme d’investissements est aujourd’hui porté par le secteur privé ou les véhicules publics d’investissements. Nous nous attelons aussi à intéresser les guichets privés de ces investisseurs institutionnels.
Le Covid-19 a-t-il fait évoluer vos relations ?
La crise sanitaire a en effet été un important marqueur, avec une grande solidarité des bailleurs de fonds. Du côté des investisseurs internationaux, nous observons une évolution de la part des institutionnels, avec une plus grande attention à la dette ou au financement des économies, notamment africaines. Le sommet de Paris sur le financement des économies africaines, en mai 2021, et les initiatives portées par le FMI sur la réallocation des droits de tirage spéciaux avec le soutien du G20 préfigurent des changements importants. Pour les autres investisseurs privés, le fait que l’Afrique soit la nouvelle frontière demeure une tendance lourde, laquelle est d’ailleurs amplifiée par les leçons apprises de la crise sanitaire, qui amèneront nécessairement des changements dans la manière dont les économies s’organisent aujourd’hui. L’économie de demain sera certes globalisée, mais avec une logique de multipolarisation. Le Gabon s’y inscrira évidemment, conformément à la vision des plus hautes autorités.
Et vis-à-vis de la communauté des affaires, quelles sont vos attentes ?
Elles sont importantes ! Une partie du PAT sera financé par les ressources publiques, mais plus des deux tiers de ce budget seront mobilisés par le secteur privé à travers la mobilisation des Investissements directs étrangers (IDE), des investissements privés nationaux, des partenariats public-privé et divers concours.
Quelles actions déploierez-vous pour y parvenir ?
Je communique largement auprès de la communauté des affaires afin de faire connaître les opportunités liées au PAT. Nous nous adressons aux organisations internationales telles que la Société financière internationale (SFI), la MIGA, la Banque européenne d’investissement (BEI), aux organisations régionales telles que la BAD, Afreximbank, aux agences gouvernementales telles que Proparco et la BEI, l’U.S. Agency for International Development, les initiatives publiques telles que « Choose Africa » et « Prosper Africa ». Nous allons désormais conduire des tournées dans plusieurs pays cibles et organiser des deal rooms avec des investisseurs. Bien entendu, ces actions s’accompagneront de démarches concrètes pour améliorer le cadre des affaires. Nous avons conçu une feuille de route de 32 réformes à mener et nous allons nous astreindre à le faire avec l’appui des bailleurs de fonds.
L’investissement français reste-t-il une priorité ?
Il l’a toujours été : la France est l’un de nos partenaires les plus importants. Nous partageons des liens historiques et un héritage politique commun. Sur le plan économique et commercial, elle est notre premier fournisseur et de nombreuses sociétés françaises sont installées au Gabon dans des secteurs stratégiques. J’ai dernièrement été reçu par Franck Riester, en charge du commerce extérieur et de l’attractivité, et nous avons échangé sur les questions de développement économique et d’investissement. Nous sommes parfaitement alignés sur le fait que le Gabon reste une terre d’opportunités pour les entreprises françaises. Plusieurs actions devraient suivre afin de rapprocher les milieux d’affaires des deux pays et conclure des opportunités dans le cadre du PAT.
Comment votre profil vous permet-il d’aborder votre mission ?
Mon parcours m’a permis d’avoir une vision assez éclectique des problématiques, mais surtout une large ouverture sur le monde. Je crois qu’il s’agit de vrais atouts pour augmenter le flux des investissements au Gabon et améliorer le cadre des affaires.
CV EXPRESS
2004 Diplômé de l’institut de l’Économie et des Finances du Gabon
2008-14 Conseiller technique dans différents gouvernements
2014 Secrétaire général adjoint du ministère du Budget
2015 MBA en hautes finances internationales
2017 Directeur général de la dette
2017 Executive Master à Sciences Po Paris
2019 Directeur de cabinet du Premier ministre
2019 Ministre des Transports, de l’Équipement, des Infrastructures et des Travaux Publiques
2019-2022 Ministre du Commerce, des PME et de l’Industrie
2022 Ministre de la Promotion des Investissements et des Partenariats public-privé
Ce publi-reportage a initialement été publié dans le numéro 25 d’Émile Magazine en juin 2022.