Mehdi Bensaid : "C'est ça le nouveau Maroc, protéger tout le monde"
Nommé ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication par le roi Mohammed VI en octobre 2021, Mehdi Bensaid présente ses projets phares pour les cinq prochaines années. Parmi ses priorités : l’accès à la culture pour tous, la formation des jeunes et la protection du patrimoine matériel et immatériel du royaume.
Vous comptez ouvrir plus de 150 salles de cinéma dans tout le pays. Quel est votre objectif ?
Avant de parler d’industrie culturelle, il faut d’abord parler d’infrastructures culturelles. Notre objectif est de permettre à l’ensemble des productions cinématographiques, théâtrales et musicales d’exister dans tout le royaume et de permettre aux artistes de partir en tournée partout au Maroc. Nous installerons, d’ici la fin de l’année, les équipements nécessaires dans 150 salles polyvalentes réparties sur l’ensemble du territoire. Cette dynamique a déjà convaincu un investisseur privé d’ouvrir 25 salles de cinéma dans des villes moyennes du Maroc. On va passer de 30 salles à près de 200 salles, publiques et privées, dans les prochaines années.
S’agit-il également d’offrir des débouchés à vos artistes ?
Oui, nous avons des professionnels, mais pas de marché pour les professionnels. Notre stratégie : donner une impulsion via des investissements publics pour, in fine, diversifier les sources de financement des productions culturelles. L’objectif est de montrer au secteur privé qu’investir dans la culture au Maroc est rentable.
Votre ministère veut aussi soutenir davantage vos artistes...
Quand on pensait « artistes », on pensait « stars ». Nous prenons désormais en compte tous les techniciens et aussi les artistes les plus modestes. En 2020, le royaume a généralisé la protection sociale à l’ensemble des Marocains. Pour les artistes plus spécifiquement, nous créons la Fondation des artistes afin qu’ils bénéficient d’une protection sociale à 100 % ainsi que des aides pour le logement ou des bourses d’études. Notre mission est de faire en sorte que les artistes professionnels puissent vivre de leur art en créant le marché, les infrastructures et en permettant à la population d’y accéder.
C’est-à-dire ?
Les prix doivent être adaptés aux possibilités financières des citoyens marocains moyens. C’est notre objectif. Nous discutons aussi avec les grandes entreprises, afin qu’elles proposent à leurs salariés des chèques culture.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce décret visant à promouvoir les productions étrangères ?
Le gouvernement a en effet approuvé une hausse du soutien financier aux productions étrangères d’œuvres audiovisuelles et cinématographiques au Maroc. En plus de ce soutien financier, qui passe de 20 % à 30 %, ces productions bénéficieraient du solide savoir-faire de nos techniciens. Pour ces derniers, c’est l’opportunité de mettre leurs compétences au service des meilleures productions internationales.
Vous mettez en place une stratégie globale pour la culture…
Tout à fait. Et j’ajoute que nous avons amendé la loi 02.00 sur les droits d’auteur de 2020 avec un droit de suite pour les auteurs d’œuvres originales graphiques et plastiques. Il s’agit d’une rémunération lors des reventes de leurs œuvres.
Vous avez également lancé un vaste chantier pour la protection du patrimoine immatériel du Maroc.
Chant, cuisine, habillement, artisanat... Cet ensemble de savoir-faire marocains n’était jusqu’alors pas suffisamment protégé. Il a fallu les recenser selon des normes internationales, établies notamment par l’Unesco. Certains, comme l’art équestre de la Tbourida, sont désormais inscrits au patrimoine immatériel de l’Unesco. Mais le patrimoine marocain est tellement riche que beaucoup reste à faire. Afin de le protéger immédiatement et de le promouvoir, nous mettons en place le label Ç Moroccan heritage È. Nous voulons que nos artisans profitent de ce label, via le versement de royalties par quiconque aurait recours et mettrait en avant ces savoir-faire ancestraux marocains.
Et permettre la transmission aux jeunes générations ?
Oui ! Ce label assurera aux artisans de vivre de leur savoir-faire et leur permettra de transmettre celui-ci afin qu’il perdure. Pour que cela soit possible, il faut que ces métiers soient attractifs pour la jeunesse et qu’ils répondent à leurs attentes.
Quid du patrimoine bâti ?
Le gouvernement et les régions sont partenaires dans un vaste projet de réhabilitation. Je veux que l’État investisse une dernière fois pour réhabiliter l’ensemble du patrimoine bâti et qu’ensuite, des partenariats public/privé soient mis en place pour redonner vie à ces lieux. Objectif : développer le tourisme culturel, national et international, avec une solide proposition en termes d’animation et d’éducation. Les bénéfices seront réinvestis par l’État pour permettre une conservation pérenne des sites. La culture peut être un puissant levier économique pour notre pays.
Vous avez aussi représenté le Maroc à la deuxième conférence des pays donateurs de l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit (Aliph). C’est important pour vous ?
Le Maroc tient à offrir son expertise aux pays qui en auraient besoin. Par exemple, notre pays possède une expertise mondiale dans la construction en terre et œuvre à la conservation de sites historiques à Tombouctou, en Mauritanie, notamment. Outre les zones de conflits, nous souhaitons mettre en place des partenariats avec des pays qui en auraient besoin. Le Maroc aussi espère bénéficier d’expertises, comme celle de l’Italie, pour nos sites romains. Nous souhaitons mettre en place, au niveau mondial, un échange d’expériences et d’expertises pour la conservation du patrimoine mondial, un levier majeur dans la lutte contre l’obscurantisme.
Parlons maintenant des Maisons de jeunes, auxquelles vous voulez donner un rôle central. Lequel exactement ?
Les Maisons de jeunes sont nées au Maroc dans les années 1960, on en compte près de 650 aujourd’hui. Leur rôle était d’offrir une ouverture culturelle à la jeunesse. De nos jours, la problématique de la jeunesse est l’employabilité. L’objectif est de faire de de ce dispositif un guichet unique qui proposera un panel complet d’offres et de services 2.0 liés à l’employabilité : des formations en coding, gaming, langues étrangères, l’accès à des dispositifs développés par le ministère du Travail…
Dans le but aussi d’attirer au Maroc des sociétés spécialisées dans les nouvelles technologies ?
Outre des emplois pour nos jeunes, nous souhaitons aussi les former afin d’attirer au Maroc des sociétés internationales. Nos universités forment également nos étudiants à l’animation, certains partent chez Pixar, par exemple. On veut proposer un savoir-faire complet aux entreprises de la tech mondiale en permettant à des jeunes sans diplôme d’accéder à des formations en deux ans, dans ces domaines très porteurs, en 2022. Ce n’est pas pour 200 ou 300 étudiants par an que nous voulons jouer le rôle de facilitateur, mais bien pour l’ensemble de la jeunesse marocaine.
Toujours dans le domaine de la formation, vous souhaitez aussi permettre aux jeunes femmes d’accéder à ces nouveaux métiers.
Oui, via les foyers féminins qui proposent des formations à des jeunes femmes qui n’ont pas eu accès à des études. J’ai réalisé qu’on ne leur proposait que des formations liées à la cuisine ou au textile. Désormais, elles ont accès au design, au gaming ou encore au coding. Outre l’égalité homme-femme, il s’agit de diversifier les formations pour répondre aux besoins du marché. L’idée est la même dans les centres de protection de l’enfance, où se retrouvent des adolescents isolés : les accompagner, leur dire qu’ils ne sont pas seuls et que l’État est aussi là pour répondre à leurs besoins, cela fait désormais partie de nos priorités. C’est ça le nouveau Maroc, protéger tout le monde.
Enfin, que vous a apporté votre passage par Sciences Po ?
Ce sont des expériences universitaires qui m’ont ouvert sur le monde et appris énormément de choses que j’utilise encore aujourd’hui. C’est aussi la création d’un formidable réseau qui m’aide tous les jours à faire avancer les relations entre mon pays et les autres pays du monde.
Ce publi-reportage a initialement été publié dans le numéro 25 d’Émile Magazine en juin 2022.
CV EXPRESS
1984 Naissance à Rabat
2009 Master en géopolitique et relations internationales de l’Université Toulouse 1 Capitole
2011 Élu député à la Chambre des représentants du royaume du Maroc
2014 Élu, à 30 ans, le plus jeune président de la Commission des affaires étrangères à la Chambre des représentants
2018 Master Politique et management Afrique à Sciences Po Paris
2021 Élu début à la chambre des représentants lors des élections législatives du 8 septembre
2021 Nommé ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication par Sa Majesté le Roi Mohammed VI