FEDORA : participer au renouvellement du répertoire, des audiences et des financements
Comment permettre au secteur de l’opéra et de la danse de continuer à innover en matière de création, d’attractivité auprès des publics ou de modèles d’affaires ? Comment également favoriser sa transformation ? C’est ce qu’entend proposer l’association FEDORA au travers de ses différents dispositifs de soutien et d’accompagnement. Rencontre avec Justine Touchon (promo 20), Members & Development Manager, et François Grenet (promo 20), Communications Manager.
FEDORA fête cette année ses 10 ans. Depuis sa création, quelle est sa vocation ?
François Grenet : FEDORA a été fondée en 2013, à Paris, sous la présidence de Jérôme-François Zieseniss, en hommage à Rolf Liebermann [musicien, compositeur, chef d’orchestre et metteur en scène, NDLR], qui était un fervent Européen, et sous la direction d’Edilia Gänz. C’est une association à but non lucratif – soutenue par le programme de financement culturel Europe Créative de la Commission européenne – engagée à contribuer à l’avenir de l’opéra et de la danse en Europe. Notre ambition est d’encourager les artistes émergents à renouveler ces genres, afin qu’ils puissent les rendre plus accessibles. Pour cela, nous levons des fonds publics et privés pour accompagner les maisons d’opéra, les compagnies de danse et les festivals dans leurs transformations, tout en permettant un renouveau du répertoire. L’idée est que ces transformations interviennent dans les programmations, mais aussi en interne, à savoir dans les fonctionnements des maisons et des compagnies de danse.
Justine Touchon : Nous représentons un réseau de 112 institutions culturelles issues de 28 pays. Nous souhaitons ainsi couvrir toute l’Europe avec de grandes maisons d’opéra – comme La Scala ou l’Opéra national de Paris – ainsi que des beaucoup plus petites, des festivals ou des associations d’amis, afin de créer un écosystème entre ces institutions et nos mécènes. L’idée est d’être une plateforme unique où mécénats privés, fonds publics, experts, compagnies et maisons se rencontrent, de créer des passerelles entre des structures aux préoccupations communes. Nous souhaitons aussi soutenir des projets phares qui pourront ensuite être répliqués entre maisons d’opéra. Notre objectif est de créer de la connaissance et que celle-ci soit partagée partout en Europe.
En plus du renouveau artistique, FEDORA a donc vocation à accompagner les maisons d’opéra et de ballet dans leurs transformations opérationnelles ?
F. G. : Tout à fait. Après la pandémie de Covid et l’impact financier que cela a entraîné pour le secteur, ses acteurs se sont interrogés sur les prochains enjeux pour la reconstruction post-crise. En collaboration avec le réseau Opera Europa, nous avons donc lancé Next Stage, une initiative ayant pour but d’accompagner le renouveau opérationnel du secteur avec trois grands piliers : développement durable, inclusion sociale et transformation numérique. Tout ce qui est au-delà et derrière la scène. Les Next Stage Grants soutiennent financièrement des projets qui contribueront à créer de nouvelles normes et opportunités dans l’industrie. En parallèle, existent aussi les forums Next Stage, des formations faisant intervenir des professionnels afin d’encourager le partage de meilleures pratiques et l’apprentissage.
J. T. : J’illustrerais concrètement ce que peuvent être les Next Stage Grants, à travers l’exemple de la maison d’opéra de Poznań, en Pologne, qui a reçu de nombreux réfugiés ukrainiens. Ses équipes se sont interrogées sur la manière dont ces institutions pouvaient accueillir au mieux des artistes ou des techniciens ayant fui leur pays, ce type de situation étant potentiellement amenée à se reproduire. Nous avons soutenu leur réflexion et la réalisation de rapports d’impact que nous pourrons à l’avenir partager à l’ensemble du secteur. Je pense aussi au projet « Sustainable Costumes » mené par l’Opéra de Leipzig, en Allemagne, en partenariat avec l’Opéra national islandais, qui s’intéresse à rendre plus vertueuses les étapes de production d’un costume d’opéra.
F. G. : C’est assez génial de découvrir le niveau d’innovation de ce secteur. Ces institutions centenaires sont capables de s’interroger pour répondre aux grands défis de notre époque.
De quelle manière votre action participe-t-elle au renouveau du répertoire lyrique et chorégraphique ?
J. T. : Dans l’opéra, les 10 œuvres les plus jouées au monde viennent de six compositeurs qui ne sont plus vivants : Verdi, Bizet, Mozart, Rossini… (selon Operabase, en 2023). C’est un peu comme avoir une playlist Spotify avec seulement six artistes ! Ces grandes œuvres doivent bien sûr être soutenues, mais il faut aussi mettre en lumière de nouvelles créations pour faire émerger de nouveaux artistes, renouveler les genres et accueillir de nouvelles audiences. Il doit y avoir de nouveaux récits qui seront les Traviata de l’avenir. L’ADN de FEDORA est donc de soutenir des projets de création avant qu’ils n’atteignent la scène, qu’ils soient – alors qu’ils n’existent pour le moment que sur le papier – examinés par un jury d’experts de l’opéra et de la danse.
Le but est de minimiser le risque financier pour les maisons d’opéra, de leur donner un coup de pouce pour qu’elles mettent en scène des créations contemporaines bénéficiant déjà d’une reconnaissance internationale. Ces prix sont déclinés en quatre catégories : opéra, danse, éducation et digital. Elles sont soutenues par des fonds privés (la maison de haute joaillerie Van Cleef & Arpels, le cabinet de conseil en management Kearney, le cabinet d’avocats Carlara International et la société de conseil financier The Silver Company).
En plus de ce renouvellement du travail artistique, comment participez-vous à mieux impliquer les jeunes publics et les nouvelles communautés, à rendre l’opéra et la danse accessibles au grand public ?
F. G. : Nous n’interagissons pas directement avec les publics, mais nous nous voyons comme des facilitateurs pour les maisons d’opéra. L’innovation digitale est un bon exemple de ce soutien : en 2021, nous avons ainsi récompensé un projet mené par l’Opéra national irlandais autour de l’œuvre Out of the Ordinary. Il s’agissait du premier opéra de réalité virtuelle, participatif et communautaire, avec comme seul besoin un casque de VR. Cela ne remplace pas l’expérience physique du concert et de l’opéra, mais c’est une autre façon de sensibiliser de plus jeunes publics ou des publics éloignés des centres urbains. En parallèle, notre plateforme permet aussi aux publics de découvrir, voter et faire du crowdfunding pour les œuvres candidates, en amont de leurs créations sur les scènes d’Europe. C’est une manière de créer du lien et d’avoir une connexion entre les publics et des créations en devenir.
FEDORA a aussi une vocation philanthropique. Pourquoi participez-vous à renouveler les modèles de financement pour les maisons d’opéra et compagnies de danse ?
J. T. : En France et partout en Europe, l’opéra était historiquement, pour l’essentiel, financé par des subventions publiques. Aujourd’hui, elles ne sont plus suffisantes ou en déclin – mais nécessaires, alors que les coûts de production restent élevés dans ce milieu d’excellence, où priment le talent et l’artisanat et qui demande de nombreux moyens, de nombreuses personnes. La question de la rentabilité est compliquée. L’objectif de FEDORA est donc aussi de fournir des alternatives au secteur. Nous aidons également les maisons d’opéra en plus des financements privés des dotations de nos prix, et des subventions européennes – à réaliser des campagnes de financement participatif sur notre plateforme en ligne. En matière de philanthropie, nous réunissons autour de nous des mécènes privés ayant en commun de soutenir la transformation et l’innovation. Ils ne savent pas ce qu’ils vont soutenir, un jury d’experts décernant les prix. C’est une prise de risques ainsi qu’une vraie marque de confiance, essentielle à notre fonctionnement.
F. G. : Pour encourager cette générosité, nous avons participé à la mise en place d’une solution numérique facilitatrice, Online Transnational Giving Europe Platform, qui permet l’émission de reçus fiscaux pour les donateurs européens, quel que soit leur pays d’origine ou celui dont ils soutiendront le projet de création.
En mars dernier, Sciences Po a lancé la Maison des Arts et de la Création, avec l’ambition d’intégrer les arts dans sa pédagogie. Quel regard portez-vous sur cette initiative ?
J. T. : Nous sommes tous les deux alumni du Master AP Culture et nous faisions partie de la comédie musicale de Sciences Po… Nous sommes donc ravis de cette initiative ! D’après mon expérience, Sciences Po a toujours eu un lien très fort avec la culture, mais il est beau de voir ces valeurs réunies au sein d’une maison, avec un fil conducteur.
F. G. : Les étudiants de Sciences Po ont toujours eu un appétit d’art et de culture, d’expériences collectives. C’est une chance que la création de cette nouvelle voie d’excellence institutionnelle, un message très positif en direction de tous les créatifs. Cela peut donner lieu à de nouvelles vocations, apporter de l’expertise.
Les chiffres clés de FEDORA
10 ans d’existence : l’association a été créée en 2013.
6,2 millions d’euros de fonds publics et privés levés pour le renouveau du secteur
69 nouvelles coproductions soutenues financièrement
+ de 2 000 artistes et créatifs impliqués dans les projets lauréats des Prix FEDORA
+ de 500 000 spectateurs à des performances des projets lauréats dans 25 pays, dont 200 000 ont moins de 35 ans
Publi-reportage initialement publié dans le numéro 28 d’Émile, paru en février 2023.