Responsables bénévoles : la crise de l’encadrement
Tandis que le monde du bénévolat se réjouit de l’arrivée plus importante de jeunes depuis la crise sanitaire, c’est la vacance des instances dirigeantes, surtout occupées par les plus âgés, qui devient un sujet de préoccupation. La relève n’est plus toujours assurée pour constituer les bureaux et encadrer sur le terrain. Lassitude, vieillissement, responsabilités disproportionnées : les raisons sont multiples et le secteur alerte les autorités publiques pour mieux encourager et reconnaître le bénévolat.
Par Judith Chetrit (promo 14)
Le choix du titre d’un baromètre est une alarme en soi. En intitulant son étude « Le grand épuisement » moral et physique pour parler des encadrants et des bénévoles qui jettent l’éponge, la Coordination des fédérations et associations de culture et de communication (Cofac) a dressé un constat accablant et décourageant au beau milieu de l’été, période où abondent les festivités et autres événements un peu partout en France. Le chiffre est impressionnant : 43 % des associations culturelles n’ont plus de bénévoles exerçant des responsabilités et plus de la moitié d’entre elles peinent à trouver des remplaçants à ces personnes dévoués.
Du côté de la Croix-Rouge française, par exemple, qui a perdu plusieurs milliers de bénévoles et où les encadrants et les administrateurs représentent 9 % des effectifs bénévoles, le même diagnostic inquiet est établi : « Je ne parlerais pas d’effondrement, mais d’un véritable affaissement pour ces responsabilités électives et managériales, aussi bien sur l’action sociale que sur le secourisme », signale Jean-Daniel Balme, le délégué national à l’engagement des bénévoles. Seraient-ils en train de devenir une ressource fantomatique alors même que le travail des bénévoles est souvent invisibilisé dans la société ? Au printemps, le réseau Recherches & Solidarités soulignait que face aux défections et aux fonctions laissées vacantes, la fidélisation des bénévoles était devenue le sujet de préoccupation numéro un pour 60 % des dirigeants d’associations.
« Nous le pointions déjà avant la crise sanitaire, mais la problématique s’est accélérée depuis. Faute de responsables, certaines associations ferment », relève Marie-Claire Martel, présidente de la Cofac. Avec sept présidents d’associations sur 10 qui cumulent plus de cinq ans d’ancienneté dans ce mandat, la question de la gouvernance et de la transmission est également centrale. « Les difficultés de renouvellement de gouvernance des associations sont également influencées par les changements structurels de la société française. Le développement du bénévolat ponctuel peut également contribuer au trop faible renouvellement de la gouvernance », contextualise-t-elle.
Les seniors : une « colonne vertébrale » ébranlée
Renouvellement poussif des personnes aux responsabilités, contraintes financières, organisationnelles ou administratives, transformation des durées et des formes d’engagement : dans l’ombre, les motifs de lassitude des encadrants s’agrègent. Au-delà même des conséquences de la pyramide des âges, ces facteurs peuvent mettre sous pression l’exercice de leurs fonctions dans une France qui compte en moyenne 20 % de bénévoles, toutes fréquences et tous domaines confondus – loisirs, action sociale ou encore protection de l’environnement. « Le modèle dominant d’engagement est encore la progression par effet mécanique, mais cette organisation est aujourd’hui percutée par d’autres modèles plus éclatés, plus hétérogènes avec une recherche d’impact plus immédiat et d’un meilleur équilibre de vie », assure Jean-Daniel Balme, conscient aussi de l’usure et du contre-coup provoqués ces dernières années par les campagnes intensives de vaccination et de distribution alimentaire.
La crise du bénévolat est d’abord « celle des bénévoles au long cours », avance la présidente de l’Institut de recherche et d’information sur le volontariat, Bénédicte Halba. C’est un maillage pourtant encore solide dans le pays, malgré des effets durables et à retardement de la crise sanitaire surtout parmi les seniors, fers de lance de ce tissu – synonyme implicite de cohésion – d’utilité sociale et de citoyenneté active.
Le sujet s’est même invité en pleine mobilisation contre le report de l’âge de la retraite et ses conséquences sur la dynamique de l’engagement associatif alors qu’un tiers des présidents d’associations ont plus de 65 ans, la classe d’âge la plus investie en temps et qui connaît déjà, proportionnellement, la plus importante décrue depuis l’épidémie. « Ils restent encore toutefois la colonne vertébrale du secteur associatif, comme on les surnomme souvent », nuance Charles-Aymeric Caffin, chef du bureau du développement de la vie associative au ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports.
L’exception « scouts »
Dans certaines associations, l’horizon est plus dégagé, comme chez les Scouts et Guides de France, qui se réjouissent de compter 30 % de plus de chefs, de cheftaines et de responsables locaux qu’il y a cinq ans, soit un peu plus de 32 000 personnes sur les près de 100 000 adhérents.
« Plus de la moitié de nos bénévoles ont entre 18 et 35 ans, mais il y a aussi des parents ou des jeunes retraités dans le scoutisme. On peut estimer qu’un tiers des adultes engagés n’ont pas été scouts enfants », commente Jean-Baptiste Baudier, responsable bénévole de la politique en charge des adultes dans le mouvement. Pour ce psychologue et doctorant, cette attractivité, qui peut s’avérer à flux tendu dans certaines régions, s’explique certes par les valeurs portées par le scoutisme, mais aussi par un triple sentiment – appartenance sociale, capacités face aux demandes et autonomie. Chaque année, environ 10 000 adultes partent en formation et un cycle d’engagement est décomposé en plusieurs étapes pour les bénévoles, qui peuvent également être élus pour des mandats limités à trois ans.
Sur les sites des organisations ou de l’administration comme « Je Veux Aider », les plateformes en ligne pour accroître la visibilité des missions bénévoles se multiplient. D’autres se tournent davantage vers les entreprises, sensibles au mécénat de compétences plus installé dans les grands groupes que les PME. C’est dans ce cadre et pour le développer auprès des associations que Muriel Amar, une DRH d’Atos, s’est retrouvée bénévole chez Passerelle et Compétences, une association qui met en relation des associations et des professionnels pour des missions d’expertise, d’encadrement ou de gouvernance. « La recherche d’administrateurs est un véritable sujet pour les associations qui nous sollicitent. Nous les aidons aussi à trouver les compétences manquantes ou les modes de fonctionnement qu’il faudrait revoir », décrit-elle, ciblant surtout dans ses entretiens préalables des professionnels qui font une pause dans leur carrière ou bien ceux qui approchent de la retraite, pour un vivier composé de quelque 4 900 personnes. « Concernant la prise de responsabilités, c’est l’engagement sur le long terme qui fait peur. »
Repenser la reconnaissance du bénévolat ?
Même si la prise de responsabilités n’est que rarement le but premier de leur engagement, les têtes de file d’associations, de plus en plus professionnalisées, alertent régulièrement sur le manque de reconnaissance plus général et mettent en avant les conditions politiques, sociales et économiques qui pourraient améliorer le cadre d’engagement et le travail des bénévoles. « C’est toujours une question de balance et d’équilibre entre la liberté éprouvée et la responsabilité endossée. Or aujourd’hui, la fonction de responsable, c’est surtout des responsabilités et une gestion complexe de la recherche de financements », pointe Marie-Claire Martel.
Ainsi, hormis des congés d’engagement ou des crédits de formation supplémentaires, méconnus et peu mobilisés en contrepartie, plusieurs d’entre elles appellent à la comptabilisation de trimestres pour la retraite grâce aux heures accomplies de bénévolat. Car le temps qui lui est dédié reste le point de friction principal pour accéder à une formation ou négocier un maintien de rémunération avec un employeur pendant les heures de bénévolat, comme dans le cas du congé d’engagement.
Pour les aider à prendre leurs marques, les associations peaufinent des parcours d’engagement, des échanges de bonnes pratiques, des coachings entre pairs et des programmes de courtes formations sur la gestion, la comptabilité, le management ou la communication. Celles-ci ont en effet remarqué que des bénévoles pouvaient se montrer plus réticents à s’impliquer davantage lorsqu’ils réalisent le poids croissant des charges administratives et la pression venant de l’intérieur comme de l’extérieur, où les acteurs avec lesquels ils sont en contact se multiplient. « Ceux qui veulent s’engager dans ces fonctions veulent diriger autrement. Ils ne souhaitent pas nécessairement plaquer la façon de faire des plus anciens. Nous observons aussi le développement de co-présidences ou de présidences tournantes, par exemple », constate Charles-Aymeric Caffin. Le rapprochement avec les problématiques du monde du travail se fait aussi plus naturellement : « La frontière entre un engagement bénévole et la vie professionnelle n’est plus aussi étanche depuis au moins cinq ans », complète-t-il.
Pour preuve, la notion de compétences développées par les bénévoles s’est aussi durablement ancrée dans le champ associatif avec l’élaboration de référentiels, de portefeuilles ou de passeports qui permettent de mieux mettre en avant les expériences acquises. Mais c’est encore très aléatoire en fonction de la taille de l’association : « Ce développement des compétences et des savoirs en situation de travail n’est pas nécessairement reconnu, évalué ni valorisé », écrit Marie-Claire Martel dans un rapport remis en 2022 au Conseil économique, social et environnemental, plaidant pour une validation plus facilitée des acquis de l’expérience dont le parcours est encore vu comme trop complexe pour le monde associatif.
De facto, les chercheurs qui auscultent le milieu des associations observent, étude après étude, le plafond de verre qui s’est également installé. Plus d’hommes représentés dans les mandats électifs et surtout, des profils de plus en plus diplômés. « Pour ces fonctions, les associations ont toujours eu plus de difficultés à toucher les populations les moins diplômées. C’est de plus en plus clivé », pointe Roger Sue, sociologue et président du comité d’experts de Recherches et Solidarités, qui s’apprête à publier un nouvel essai sur la citoyenneté. Plus que des cache-misères qui pourraient compenser les retraits de bénévoles, lui appelle surtout à densifier les contacts entre le monde de l’école et celui des associations. « En plus de la tradition familiale, on s’est également aperçu que l’une des variables les plus déterminantes dans l’engagement associatif est la précocité de l’engagement. » Une affaire de civisme, aussi. Avec une question en guise d’ouverture : « Pourquoi notre contrat social se réduirait au contrat politique ? ».
Cette enquête a initialement été publié dans le numéro 29 d’Émile, paru en novembre 2023.