Victor Lobry : “J’aime utiliser l’éloquence comme un biais d’expression totale de soi”
Le 14 avril dernier, Victor Lobry, étudiant en première année de master au sein de l’école du management et de l’impact (EMI) de Sciences Po, a remporté la finale du Prix Philippe Séguin-Suzanne Bastid, le célèbre concours d’éloquence de la rue Saint-Guillaume. Entretien.
Propos recueillis par Ismaël El Bou-Cottereau
Pourquoi avoir choisi de vous lancer dans l’aventure du Prix Philippe Séguin-Suzanne Bastid, en partenariat avec l’association d’art oratoire Sciences Polémiques ? Est-ce une façon de ne plus « être un mur, d’être vu et d’habiter l’espace », pour reprendre les mots de la fin de votre discours ?
Je n’avais jamais fait d’éloquence avant l’année dernière. Durant mes deux premières années à Sciences Po, j'étais sur le campus de Reims. J’avais l’impression que le milieu de l’éloquence était monopolisé par le même profil de gens très sûrs d’eux et qui parlaient beaucoup de sexualité dans leurs discours. À Reims, j’étais assez effacé, je ne m’étais pas investi dans des associations. C’est en troisième année que j’ai découvert l’éloquence. Au premier semestre, j’étais en stage à Paris, et je cherchais des activités à faire en dehors. Je me suis alors intéressé à ce qui se passait sur le campus de Sciences Po. J’ai participé une première fois au prix Philippe Séguin ; je suis arrivé jusqu’à la demi-finale.
Dans mes premiers discours, je cherchais surtout à faire rire, à me cacher derrière le mur de l’humour. Je pensais que c’était ce que les gens cherchaient. Cette année, j’ai essayé de faire quelque chose de plus sensible, de plus intime. J’ai parlé de choses qui me touchent dans mon rapport au corps, à moi-même. J’avais l’idée d’utiliser l’éloquence comme un biais d’expression totale de soi. Il n’y a pas d’autre moment dans la vie où l’on est devant un pupitre pour ne parler que de soi. C’est un exercice où l’on se met entièrement à nu.
La citation, tirée de Boboth, La machine à rêver de Li-Cam, sur laquelle vous avez dû construire votre discours final, était la suivante : «Moi j’aimerais atténuer mes contours pour me fondre dans le mur, disparaître de ce monde qui me réclame trop d’efforts.» L’enjeu était-il de réussir à introduire un équilibre entre intime et universel, gravité et humour ? Vous commencez par évoquer la détestation de soi, de son corps, puis des incises d’humour arrivent…
C’est l’enjeu le plus important car c’est cela qui, selon moi, fait la qualité d’un discours. On ne peut pas passer six minutes à écouter quelqu’un faire seulement des blagues ; il ne faut pas s’enfermer dans une seule vision du sujet et il faut qu’il y ait quelque chose de sensible. Au premier abord, j’ai naturellement des idées assez sombres et glauques pour aborder un tel sujet. J’essaye ensuite d’ajouter des parties plus drôles et légères.
Sur l’intime et l’universel, j’écris d’abord des choses personnelles. C’est toujours intéressant de voir à quel point ce que je considère comme quelque chose de très intime est partagé par beaucoup de gens. Il ne faut jamais essayer de faire de l’universel ; on risque de tomber dans des banalités – la machine à café qui ne marche pas, les problèmes de transports… Est-ce que ça dit quelque chose de notre humanité profonde ? J’en doute.. (rires)
L’année dernière, j’avais construit tout mon discours autour d’archétypes, notamment la vie d’une femme professeure documentaliste au CDI. C’est une figure qui m’intéresse énormément. Maintenant, je parle à la première personne. J’avais peur de passer pour quelqu’un d’égocentrique, mais c’est en réalité cela que l’on attend d’un discours d’éloquence.
Quels humoristes vous inspirent ? Votre discours n’était pas truffé de références littéraires mais faisait écho à certains spectacles de Blanche Gardin, dans la façon de parler la haine de soi et le regard acide sur une certaine bourgeoisie « progressiste » celle qui regarde Quotidien et dont les enfants apprennent à écrire leurs prénoms avec des ballons en mousse dans les écoles Montessori…
Je n’ai pas beaucoup de références littéraires car je suis plus sensible au spectacle vivant. J’aime beaucoup Blanche Gardin, Louis C.K… Ce sont des sources d’inspiration. Pour écrire et rythmer les discours, j’écoute aussi beaucoup de rappeurs comme Zamdane. Mais aussi, dans un autre style, Enrico Macias ! (rires) Il m’aide dans les envolées lyriques, pour convoquer des images…
Cette expérience va-t-elle vous servir pour la suite de vos projets professionnels ?
Je ne sais pas si cela va forcément me servir plus tard – à part pour écrire un post Linkedin (rires). Mais cela permet d’affiner mon écriture, d’avoir des formulations impactantes. Je souhaite travailler par la suite dans la communication et, dans un discours, aucune phrase ne peut être plate. Ce qui me terrorisait à la finale, c’était les questions du jury. J’avais peur de lâcher des énormités de la taille d’une maison. Je suis bien plus à l’aise quand je peaufine un discours.