Avec CIVICA, Sciences Po est au cœur des « universités européennes »
Avec 50 % d’étudiants européens et internationaux, Sciences Po rayonne hors des frontières nationales. Cette stratégie passe notamment par la mise en place d’alliances, dont CIVICA (The European University of Social Sciences), coordonnée par Sciences Po depuis 2019 et que la Commission européenne a renouvelée pour quatre ans. Entretien avec Aurélien Krejbich, le directeur exécutif de CIVICA.
Propos recueillis par Sandra Elouarghi et Maïna Marjany
Comment est né le projet CIVICA ?
L’initiative a vu le jour en 2017, sous l’impulsion du Conseil européen, avec pour objectif de créer des réseaux d’universités en Europe autour d’une thématique commune. Après plusieurs années de forte internationalisation (hors UE) des institutions d’enseignement supérieur, le moment semblait venu de donner à la coopération universitaire européenne un nouvel élan. Le programme Erasmus+ a été identifié comme l’outil le plus adapté pour conduire cette expérimentation avec l’appui des États membres ; la mobilité étudiante et enseignante étant placée au cœur du projet.
Sciences Po, en tant que coordinateur, a déposé le projet, visant la création d’une alliance en sciences sociales, autour d’une mission commune : « Former la nouvelle génération qui servira la société, dont les esprits seront centrés sur la résolution des problèmes majeurs du monde et animés par les valeurs de démocratie, respect et résilience civique ». Ainsi commençait CIVICA-The European University of Social Sciences, le 1er octobre 2019, renouvelée pour quatre ans par la Commission européenne, en 2022.
En quoi cette alliance d’universités est-elle novatrice ?
CIVICA a pour objet de soutenir l’innovation pédagogique et la recherche en sciences sociales. Elle permet à Sciences Po et à ses partenaires de repenser et d’animer la coopération universitaire en Europe pour la formation et la recherche. Elle constitue un moyen de préparer l’avenir et d’agir sur la construction de l’espace européen de l’enseignement supérieur et de la recherche.
CIVICA a été conçue autour de l’engagement civique européen et de la diffusion des savoirs et connaissances, dans un esprit pionnier et expérimental de créer une « université européenne » couvrant formation et recherche, en développant des activités sur les Bachelors, masters et doctorats.
Alors qu’Erasmus+ fêtait ses 35 ans, le moment était opportun pour renforcer les liens avec un nombre plus réduit et choisi d’universités ; devenues de facto partenaires privilégiés depuis plusieurs années.
Pour la phase pilote, CIVICA a rassemblé huit partenaires : Sciences Po (France), la London School of Economics (Royaume-Uni), la Bocconi University (Italie), l’Institut universitaire européen (organisation intergouvernementale basée à Florence, en Italie), la Stockholm School of Economics (Suède), la Hertie School (Allemagne), la National School of Political and Administrative Studies (Roumanie) et la Central European University (Hongrie et Autriche). Ce groupe d’universités a partagé un diagnostic sur le besoin de créer une alliance pour innover en termes de formation, construire un environnement de recherche commun et, au-delà, un ensemble institutionnel : être plus fort ensemble, dans sa diversité.
De manière concrète, cela inclut, par exemple, un programme d’échanges autour des questions civiques au niveau Bachelor, CIVICA Engage, des cours conjoints niveau master bilatéraux ou multilatéraux, avec notamment un « cours multicampus » sur les questions européennes dispensé par plusieurs professeurs issus des universités partenaires, l’ouverture de formations communes pour les jeunes doctorants/chercheurs…
Au-delà du renforcement des liens entre les pays et les peuples européens, l’objectif est-il aussi de créer une coopération académique pour être au niveau des États-Unis, par exemple, dans le champ de la recherche ?
La recherche demeure l’un des objectifs majeurs du projet. Dès sa phase pilote, CIVICA, à l’instar de toute université, a choisi de se développer en tant qu’initiative scientifique. L’ambition a été de construire un environnement de recherche commun par des appels à projets collaboratifs, l’organisation de séminaires et de programmes de mobilités pour les enseignants-chercheurs.
Ces activités se sont déployées autour de quatre priorités scientifiques :
1/ Sociétés en transition, Crises de la Terre ;
2/ La démocratie au XXIe siècle ;
3/ L’Europe revisitée ;
4/ Technologies & Sciences sociales.
Ces axes interdisciplinaires ont été pensés pour mobiliser largement les communautés scientifiques. La Commission européenne a d’ailleurs proposé un programme dédié à la dimension scientifique des alliances (Horizon 2020). Le projet CIVICA Research a ainsi été lancé, en 2021, pour une durée de deux ans. Coordonné par la Central European University (CEU) et Sciences Po, il a permis d’approfondir les liens scientifiques entre les universités partenaires.
Au-delà de l’enseignement et de la recherche, les alliances d’universités visent à soutenir la construction d’une identité européenne par la mobilité et la circulation des savoirs et des connaissances. Enfin, l’international demeure un objectif important, afin de rayonner et de renforcer l’attractivité de l’Europe, d’attirer les talents.
Quel est le bilan de cette première phase expérimentale et comment se prépare la suite du projet ?
Au cours de sa phase pilote, CIVICA a posé les fondations d’un campus inter-universitaire incluant une forte dimension digitale. Malgré le Covid, l’alliance a pu se développer. La phase pilote a mobilisé très largement le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche. Le Conseil européen, le Parlement européen et la Commission européenne ont confirmé cette initiative et renforcé leur soutien institutionnel et financier avec pour ambition de créer environ 60 alliances rassemblant près de 10 % de l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur et de recherche d’ici à 2024-2025. Un objectif en bonne voie ; le programme a été soutenu par les institutions européennes, mais également les États membres et la France en particulier.
CIVICA a été retenu en juillet 2022 par la Commission pour une nouvelle phase de développement de quatre ans par le programme Erasmus+. Pour cette deuxième phase, l’alliance a été élargie avec l’intégration de deux nouveaux partenaires : la Warsaw School of Economics (Pologne) et IE University (Espagne). Malgré le Brexit, la London School of Economics a confirmé son souhait de rester un membre à part entière de l’alliance, qui en compte désormais 10, soit 72 000 étudiants et près de 13 000 enseignants-chercheurs. Les activités existantes sont accrues en volume et des développements nouveaux seront mis en œuvre, tels la mise en réseau des bibliothèques ou des programmes de promotion et d’accès à l’enseignement supérieur, voire un programme certifiant CIVICA.
Ce projet s’adresse-t-il à tous les étudiants ?
L’objectif, à terme, est que chacun d’eux se voit proposer une opportunité d’enseignement (ou activité extracurriculaire) CIVICA au cours de sa scolarité. Au sein de l’alliance, la mobilité étudiante a fortement augmenté au cours de la phase pilote (+30 % en trois ans pour les échanges et programmes de double diplôme). Les activités de l’alliance se déploient au sein de l’ensemble des partenaires à un rythme régulier. Sciences Po a reçu, en juin dernier, 80 étudiants pour une « European Week » dédiée aux transitions écologiques (CIVICA Engage Track-Bachelor). S’est également tenue, mi-octobre à Sciences Po, la conférence CIVICA Research, réunissant les acteurs scientifiques de l’alliance autour des projets de recherche soutenus.
Comment se répartit l’équilibre géographique au sein de cette alliance ?
Avec 10 membres, CIVICA assure une représentation de l’ensemble des grandes régions de l’UE. Le choix de notre partenaire britannique, la LSE, de rester malgré le Brexit est un signal positif important.
CIVICA a eu l’occasion de soutenir la Central European University (CEU) dans une phase de réorganisation de son activité de la Hongrie vers l’Autriche. Et grâce à la Warsaw School of Economics (Pologne) et en lien avec le gouvernement polonais, CIVICA a pu signer un accord avec la NAWA (l’agence pour la coopération académique polonaise) qui a permis de soutenir la participation d’étudiants et d’enseignants-chercheurs issus de cinq universités d’Ukraine à travers le programme « Civica for Ukraine ».
Comment s’organise la gouvernance ?
CIVICA a pensé une gouvernance agile et décentralisée, soucieuse de l’autonomie des partenaires. Chaque université est chargée d’un lot d’activités en tant que « leader », afin de jouer sur les avantages comparatifs des membres ; Sciences Po étant à la fois « coordinateur » et « partenaire » au sein du projet. Le représentant légal est le directeur de l’école et la directrice des affaires internationales de Sciences Po occupe la fonction de CIVICA Alliance coordinator.
Au niveau du consortium, un « presidents committee » rassemble les présidents une fois par an, et un organe exécutif, le « steering committee », est animé par Sciences Po dans une logique collégiale. S’agissant du pilotage opérationnel, CIVICA dispose d’une équipe dédiée à Sciences Po, placée au service du projet et des partenaires, le CIVICA Secrétariat, et d’une CIVICA Managing team réunissant les responsables de projet de chaque université membre.
Pour plus d’informations : www.civica.eu
Cet entretien a initialement été publié dans le numéro 29 d’Émile, paru en novembre 2023.