Rachel-Flore Pardo (Renaissance), en campagne "contre la brutalisation" de la vie publique
Émile part en campagne ! À l’occasion de ces législatives anticipées, le magazine suit six candidats, passés par Sciences Po, qui représentent les principaux partis en lice. Pour le premier épisode de cette série, rencontre avec Rachel-Flore Pardo (promo 17), candidate de la majorité présidentielle.
Par Alexandre Thuet Balaguer et Ninon Bonnet de Paillerets
L’avocate de 30 ans se présente sous l’étiquette « Ensemble pour la République » (majorité présidentielle) dans la 5e circonscription de Paris, dont le député sortant Julien Bayou s’est désisté le week-end dernier. Son crédo est clair. Ce samedi matin, juste après avoir déposé sa candidature à la préfecture, Rachel-Flore Pardo s’avance devant sa vingtaine de militants réunis à la terrasse d’un café du Xe arrondissement. Elle va droit au but : « nous devons nous battre pour un centre contre les extrêmes. Contre l’extrême-droite et face à une extrême-gauche sortie de l’arc républicain. Pour cette troisième voie modérée, responsable ».
Chez les partisans de la majorité présidentielle, depuis la « surprise » de la dissolution, ce vœu abonde la rhétorique de campagne jusqu’à en devenir l’argument central. Durant sa conférence de presse du 12 juin, le Président de la République a appuyé la pique, criant haro sur les baudets « d’alliances contre-nature aux deux extrêmes, [entre des partis] qui ne sont d’accord sur à peu près rien, sinon les postes à partager, et qui ne seront pas en capacité d’appliquer un quelconque programme ». Ni la droite – qui aurait « pactisé avec le diable » du RN – ni la gauche républicaine, alliée aux insoumis, ne constitueraient des alternatives. Emmanuel Macron défend l’espace qu’il a créé en 2017 comme l’unique réponse pour escamoter la crise politique.
Et éviter une fracture plus profonde. Lors du tractage, une sympathisante de la candidate nous confesse : « j’étais collaboratrice parlementaire d’une députée avant la dissolution. Certains installaient une ambiance qui devenait irrespirable ». Avant d’ajouter : « comme j’étais Renaissance, lorsque je croisais un assistant d’un insoumis dans les couloirs ou l’ascenseur, il refusait de m’adresser la parole ». Pour un autre militant, résidant du quartier, la « bordélisation de la vie publique », que Gérald Darmanin avait été le premier à qualifier ainsi, « est indéniable ». Au-delà des blocages de textes, de nombreux incidents ont émaillé la précédente législature. Il prend l’exemple de Thomas Portes, député LFI exclu 15 jours après avoir tweeté une photo de lui, écrasant de son pied un ballon fardé de portraits d’Olivier Dussopt, alors ministre des Comptes publics, durant la séquence de la réforme des retraites. Le récent déploiement à deux reprises, par Sébastien Delogu puis Rachel Kéké, du drapeau palestinien dans l’hémicycle a aussi cristallisé les tensions.
Protéger le contrat social
Cette stratégie de cliver afin de marquer le débat public inquiète les militants venus soutenir Rachel-Flore Pardo. Mais bien plus qu’une radicalité cloîtrée entre les murs du Palais Bourbon, c’est aussi la crainte de l’avènement d’une société « brutalisée », dans laquelle la violence s’exprime librement. Chantal, militante venant des Hauts-de-Seine, l’illustre par cette image : « la République, c’est une corde sur laquelle tirent les deux extrêmes ; et s’ils tirent trop, la corde rompra ».
Preuve s’il en faut pour la candidate et ses soutiens : le groupe se fait agresser, en notre présence, en pleine session de tractage rue du Faubourg Saint-Denis. Des individus masqués les ont tancés, bousculant certains militants, avant de leur jeter de l’eau et des bouteilles en plastique au visage. Une femme installée à la terrasse d’un café environnant leur hurle avec véhémence : « on ne veut pas de vous, cassez-vous ». Une seconde renchérit : « vous n’êtes pas chez vous, cassez-vous ». Certains les huent. Tous les autres se taisent, dans l’incompréhension et la stupeur. Pour beaucoup de soutiens alors présents, cet événement concrétise une rupture. « En 40 ans d’engagement, je n’ai jamais vécu ça », souffle, troublée, une ancienne adhérente du PS, qui a rejoint les rangs de la macronie en 2017.
Assis dans un restaurant, lorsque nous posons à la candidate une question sur la brutalisation de la vie politique, elle se désole : « j’ai vraiment besoin d’ajouter quelque chose après ce qu’il vient de se passer ? ».
Une « avocate, militante, citoyenne »
L’engagement de Rachel-Flore Pardo prend racine contre cette « brutalisation ». Témoin, puis militante, l’alumna de l’École de droit de Sciences Po le reconnaît : « j’ai vu les choses monter progressivement ». En 2017, alors qu’elle prépare le barreau, le mouvement MeToo éclate, libérant la parole des femmes sur la fréquence des agressions sexistes et sexuelles. « Bien évidemment, ça m’a influencée », avoue-t-elle. Durant le confinement, un autre phénomène se révèle à ses yeux : l’ampleur des comptes « fisha ». Sur les réseaux sociaux, les opérations de cyberharcèlement s’appuient sur ces profils qui divulguent des contenus à caractère sexuel des jeunes femmes ciblées. Elle comprend alors l’impuissance du droit pour réprimer la haine en ligne.
Dans les salles d’audience parisiennes, sa renommée croît à mesure de ses plaidoiries. Elle devient celle qui porte la voix des parties civiles victimes de cyberharcèlement, y compris dans des affaires médiatiques. La dernière en date : l’agente d’influenceurs Magali Berdah. Cette dernière fait appel à elle dans son procès qui l’oppose à 28 de ses cyberharceleurs, tous condamnés à des peines de prison historiques et des stages de citoyenneté.
Dans un portrait du Monde, elle estimait le droit comme « un outil de militantisme exceptionnel ». Féministe, elle prône activement la constitutionnalisation de l’IVG dans plusieurs tribunes, avant que celle-ci n’aboutisse en mars dernier. Dans le JDD, elle en publie une autre, co-rédigée avec sa consœur pénaliste Karen Noblinski, pour permettre aux plaignants d’être accompagnés par un avocat lors du dépôt de la plainte. En 2022, l’Assemblée nationale le grave dans le marbre des textes juridiques.
Ancré dans sa chair comme dans son prénom – hérité de sa grand-mère déportée à Auschwitz – un dernier combat la poursuit : la lutte contre l’antisémitisme. Un combat d’autant plus vital depuis les attaques terroristes du 7-octobre. L’avocate de victimes des attentats se consterne d’une haine envers les juifs « qu’elle ne soupçonnait pas », alors que le nombre d’agressions antisémites a bondi de 300 % en un an. En France, une partie de la gauche a acté sa rupture morale sur ce point. Sur la scène politique, le « ralliement du PCF, des Écologistes et du PS à LFI et au NPA » sonne comme une trahison de leurs valeurs. Une défection, dans ce qu’elle considère être une « NUPES II ».
Le saut dans l’arène
Début 2024, elle franchit le pas. Engagée chez Renaissance, elle participe à la campagne de Valérie Hayer, placée 21e sur sa liste, avant de se présenter aux législatives dans les 3e et 10e arrondissements de Paris.
La tâche ne s’avère pas aisée. Dans une circonscription de gauche – où Raphaël Glucksmann a emporté le dernier scrutin haut la main – les législatives de 2022 avaient abouti à l’élection de Julien Bayou, avec 59 % au second tour dans son duel qui l’opposait à Élise Fajgeles (Renaissance). S’il ne se représente pas, sur fond d’accusations de violences psychologiques à l’encontre de son ex-femme, son parti EELV a offert l’investiture du Nouveau Front Populaire à Pouria Amirshahi, ancien député de la 9e circonscription des Français de l’étranger entre 2012 et 2017, qui part favori.
Dans les échanges avec les militants, l’électorat populaire de la circonscription se sent trahi par la majorité présidentielle. « On y a cru à un moment… Macron, on n’y croit plus », résume un passant. Une dame d’une soixantaine d’années refuse à son tour de prendre un tract : « je suis de gauche. Je suis pour l’accueil et l’immigration des exilés, même illégaux ». Une autre, mère de deux enfants, accuse Emmanuel Macron d’avoir orchestré un face-à-face avec l’extrême-droite pendant sept ans. « C’est aussi la faute d’Emmanuel Macron d’avoir poussé Le Pen à ce niveau », incrimine-t-elle. À ces critiques, Rachel-Flore Pardo récuse : « ce sont les Français qui ont voté pour le RN », rappelant que le Président a fait barrage à l’extrême-droite aux dernières présidentielles.
Malgré tout, les questionnements percent aussi parmi ses soutiens. « On a quoi à proposer face aux deux autres ? », s’interroge une militante. Sur le pouvoir d’achat, la peur de déclassement ou encore la transition écologique, l’avocate ne rougit pas du bilan de la majorité et veut s’inscrire dans la continuité. Car la question fondamentale de ces élections réside ailleurs : dans la sauvegarde de « notre démocratie face aux extrêmes ». Députée, sa première proposition viserait à lutter contre la brutalisation, à l’ère du numérique. « Il faut savoir sécuriser Internet, en accord avec nos valeurs », nous répond-elle. Sur ce point, le Président de la République a déjà évoqué l’interdiction des smartphones pour les mineurs de moins de 11 ans et des réseaux sociaux avant 15 ans.
Mais la démocratie se tisse également dans le contact humain. Selon Rachel-Flore Pardo, les responsables politiques doivent « continuer à dialoguer avec les électeurs RN. Quand on échange avec les gens, on arrive au débat ».
Et dans son quotidien, cette proximité s’étale au grand jour. Avec ses sympathisants – la plupart rencontrés durant la campagne des européennes – une complicité s’est très rapidement formée. Ainsi qu’une admiration. Beaucoup se déplacent d’autres arrondissements, voire d’autres départements de la petite couronne, en militant exclusivement pour « Rachel », que tout le monde appelle par son prénom. Chantal, dans un sourire, nous glisse : « je suis heureuse de pouvoir la connaître. Elle est à tomber du ciel ! ».
De ses années rue Saint-Guillaume, la jeune femme en garde des souvenirs clairs. D’elles, des présences l’accompagnent toujours. Elle en est reconnaissante. Touchée, lorsque nous lui demandons ce qu’elle retient, l’émotion laisse place à un court silence. Qu’elle rompt, en convoquant « des amitiés qui me sont très chères et qui durent… C’est ça l’essentiel : des amitiés qui durent, malgré les désaccords ».