Jérôme Sainte-Marie, chantre des idées du RN à Gap

Jérôme Sainte-Marie, chantre des idées du RN à Gap

Émile part en campagne ! À l’occasion de ces législatives anticipées, le magazine suit six candidats, passés par Sciences Po, qui représentent les principaux partis en lice. À Gap, nous rencontrons Jérôme Sainte-Marie (promo 90), analyste politique et sondeur, qui se présente pour la première fois sous la bannière du Rassemblement National.

Par Ninon Bonnet de Paillerets, Alessandra Martinez et Alexandre Thuet Balaguer

Le candidat Jérôme Sainte-Marie colle des affiches dans sa circonscription pour les législatives anticipées de 2024. Les visages de Marine Le Pen et de Jordan Bardella y prennent toute la place. Le contraste est frappant avec l’affiche de son opposante Renaissance Pascale Boyer, où ni Emmanuel Macron ni Gabriel Attal n’apparaissent. (Crédits : Jérôme Sainte-Marie)

« L’héritage du Front National ? Ce n’est pas si mal. Mis à part les choses bizarres dites sur l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale, ils ont été les premiers à faire certains constats », nous explique Jérôme Sainte-Marie, candidat dans la première circonscription des Hautes-Alpes. 

En ce dernier mercredi de campagne avant le premier tour des législatives, l’ancien sondeur se présente sur le marché de Gap, accompagné de son suppléant, Éric Sarlin, et d’une militante, qui nous lance : « Moi, je m’engage pour la première fois en politique. Je suis allée au RN parce que je suis fière d’être française. Mais sur l’immigration, les étrangers, je suis soft ».

Symbole d’un parti moins radioactif, les représentants du Rassemblement National sont accueillis chaleureusement par les passants. « Monsieur Sainte-Marie, c’est dommage, mais je n’ai votre livre qu’en numérique. Sinon, je vous l’aurais fait dédicacer », s’amuse un père devant ses deux enfants et son épouse enceinte. Il brandit sur son smartphone la couverture de l’essai Bloc contre Bloc de l’analyste politique.

Les quelques rares refus sont polis, mis à part deux passantes, qui invectivent le candidat. Elles dénoncent la violence de son parti. « C’est totalement faux. Dans cette campagne, le seul candidat qui a été agressé était Rassemblement National », leur rétorque-t-il.

Jérôme Sainte-Marie et son suppléant en campagne dans les rues du centre-ville de Gap. (Crédits : Alexandre Thuet-Balaguer)

« Contorsionniste professionnel »

Analyste politique au service d’information du gouvernement de Michel Rocard, puis sondeur, à Louis Harris et BVA, Jérôme Sainte-Marie a longtemps conseillé hommes et femmes politiques de toutes formations. De Lutte Ouvrière au Rassemblement National en passant par François Bayrou ou encore Nicolas Sarkozy, son activité multipolaire l’a ancré dans le monde politique. « J’ai des photos de nombreuses personnalités venues chez moi, y compris de gauche ! Je pense que ça ne leur ferait pas plaisir si je les sortais », s’amuse-t-il.

En 2023, lorsque l’école des cadres du RN « Campus Héméra » est fondée, Jérôme Sainte-Marie est en charge de la formation. Il y applique des recettes bien connues des mouvements de gauche, visant à doter les militants d’une méthode et d’un savoir communs. Une inspiration qui se comprend en examinant le parcours de l’intéressé : « Ma grand-mère était une résistante communiste », souligne-t-il. 

« À la maison, on lisait La Chine en construction [un mensuel produit par le Parti Communiste Chinois, NDLR], tous les ouvrages sur Mao, on organisait entre enfants des débats sur les modalités de la révolution », se remémorait déjà Jérôme Sainte-Marie dans l’ouvrage Le jour où mon père s’est tu, paru en 2008, de Virginie Linhart. Amie et camarade à Sciences Po du candidat, elle offre un témoignage marquant de l’homme, né en Algérie de parents qui se sont rencontrés à l’UNEF. Elle le qualifie de « contorsionniste professionnel ». Le militantisme à la Ligue Communiste Révolutionnaire de l’ancien analyste politique se perçoit toujours. « Je suis matérialiste », précise-t-il, invoquant Antonio Gramsci, membre fondateur du Parti communiste italien, qui fut emprisonné par le régime de Mussolini. Ce théoricien de « l’hégémonie culturelle » affirme que la conquête du pouvoir présuppose celle de l’opinion publique. Un concept repris par l’extrême-droite, qui a su imposer le concept de contre-révolution culturelle dans le débat public.

L’immigration comme obsession

La journée de campagne se poursuit. Après le marché, Jérôme Sainte-Marie et son suppléant ont rendez-vous au local du club des boulistes de la ville. Au travers des nuages de fumée de cigarettes, apparaissent aux murs des posters de Johnny Hallyday, des flyers pour des compétitions de pétanque et une affiche de campagne : « Vous remarquerez qu’ici, il n’y a qu’une seule femme, c’est Marion [Maréchal] », soufflent-ils, après avoir proposé malicieusement aux deux femmes de l’équipe d’Émile de s’asseoir sur leurs genoux car « on n’a pas assez de chaises »

Les membres du club servent généreusement l’apéritif au candidat qu’ils sont heureux et fiers d’accueillir. La raison première de leur soutien à Jérôme Sainte-Marie ? L’immigration et l’insécurité qu’elle engendrerait. « Ici, 80% des agressions, c’est les noirs. Enfin, les noirs… c’est pas méchant ! Je veux dire les personnes de couleur noire », glisse l’un des membres de l’assistance. Cette première allégation délie les langues des autres adhérents du club. « Il se passe des choses graves dans le bureau de tabac dans lequel je travaille, les noirs, ils sont là. Toute la journée ils sont là, à gratter leurs tickets, avec l’argent de nos impôts », lance un second, « la vraie violence, c’est eux, on la voit dans leurs yeux », renchérit un troisième.

Leur candidat approuve d’un signe de tête avant d’abonder à propos des TER dans la région : « Des migrants, passagers clandestins, venant de Lampedusa, ne payent pas leur ticket ». Ils sont, selon lui, « encadrés et briefés par des ONG. C’est ça que payent nos impôts ». Lorsqu’il est questionné sur les migrations climatiques, Jérôme Sainte-Marie explique : « Regardez au Mali, les femmes ont 7 ou 8 enfants, c’est ce qui fait que les ressources sont épuisées. Mais ça, ça n’était pas le cas avant qu’on [la colonisation européenne] y aille, et qu’on développe l’accès aux soins. » L’ancien sondeur reprend ici des arguments issus du néo-malthusianisme. Qu’importe qu’il soit incontestable qu’en raison du réchauffement climatique, de nombreuses ressources, notamment alimentaires, sont menacées par une accélération de l’aridification de la région. Qu’importe également que l’accès aux droits sanitaires et sociaux — notamment l’éducation des filles et l’accès à la contraception — permettent une réduction de la population et de la pauvreté. 

Fort de sa grille de lecture, la réponse de Jérôme Sainte-Marie est toute trouvée : « Il ne faut plus qu’ils viennent. » Prenant modèle sur l’Australie, il propose de mettre en place des « grandes campagnes de communication dans les pays de départ pour leur expliquer que c’est pas possible d’entrer » ou alors, de les installer dans « des centres… enfin, des camps où les gens sont bien traités ». Les membres du club de boulistes hochent la tête en signe d’approbation.

L’ancien professeur nous dispense une leçon, tandis que les militants boivent ses paroles, l’un d’eux lui lançant : « vous allez m’instruire ! ». L’immigration, comme cause de tous les maux : de la délinquance, du délitement de l’éducation… Une leçon dont la rhétorique prend racine sur des prémisses idéologiques, bien qu’elle prétende s’appuyer sur des faits. Selon Jérôme Sainte-Marie, le lien supposé entre l’insécurité et l’immigration s’explique par trois raisons : le « communautarisme », « l’envie face aux nombreuses ressources en France », et « l’anomie » [état de désorganisation, de déstructuration d'un groupe, d'une société, dû à la disparition partielle ou totale des normes et des valeurs communes à ses membres, NDLR]. Il déclare toutefois : « je ne suis pas culturaliste », tissant néanmoins paradoxalement le lien entre l’immigration et la délinquance, validant ainsi l'existence d’appartenances ethniques et nationales.

Le vernis de la dédiabolisation

Jérôme Sainte-Marie a été l’un des stratèges de la dédiabolisation du parti, accélérée par l’élection de Marine Le Pen comme présidente du parti en 2011. Face à nos questions, le sondeur se mue en professeur de sociologie : Bourdieu, Piketty, Mayer, Fourquet… en les consacrant ou les déconstruisant. Le name-dropping étaye sa pensée et articule son ethos intellectuel. Une réflexion basée sur une affirmation paradoxale : la négation de l’existence des classes au sein de la société française.

L’historien Nicolas Lebourg, dans un entretien au Monde, rappelait en 2021 que le RN porte le projet d’une nation « organisciste », à la communauté unie. Les sources de divisions externes (immigration) et internes (contestation sociale) y seraient bannies. Il n’empêche, « les classes populaires restent le cœur de notre électorat », selon Jérôme Sainte-Marie. L’analyste politique s’était d’ailleurs longuement focalisé sur celles-ci. Dans son essai Bloc contre bloc : La dynamique du Macronisme, paru en 2019, il théorisait l’opposition du « bloc populaire », électorat en grande partie captée par Marine Le Pen, au « bloc élitaire », représenté principalement par Emmanuel Macron, à suite de l’effacement du clivage gauche-droite.

« Aujourd’hui, je ne suis plus dans cette logique », nous confie-t-il. Devenu « interclassiste », le RN apparaît comme le défenseur de « la France des producteurs ». Car le parti a besoin du soutien des cercles économiques, administratifs et intellectuels. « La banalisation, ça sert à ramener des élites », précise-t-il. Récemment, de nombreux articles ont témoigné d’un basculement inédit de patrons ou de hauts-fonctionnaires vers le RN. Pierre Laberrondo, rédacteur en chef de la revue Acteurs publics, assurait sur France Culture qu’on « voit quand même des personnalités qui ces dernières années se sont déclarées, démasquées, et ont assumé un engagement public par rapport à des candidats comme Marine Le Pen ou Éric Zemmour ».

Comment Jérôme Sainte-Marie explique lui-même sa mue d’un communisme de jeunesse vers le RN, à l’aube de ses 60 ans ? « Je dirais qu’il y a deux tournants biographiques : le référendum de 2005 et les gilets jaunes », point d’orgue du sentiment de trahison du peuple par les élites. Mais l’homme ne cache pas ses ambitions : « J’ai fait des choix à certains moments qui n’étaient pas guidés par la passion intellectuelle, mais plutôt par l’envie de gravir les échelons supérieurs dans la hiérarchie », confessait-il déjà à Virginie Linhart. Artisan de la dédiabolisation du parti, le RN a pourtant créé une énième polémique en remettant en cause le rôle du président de la République en tant que chef des armées, pourtant clairement inscrit comme tel dans l’article 15 de la Constitution française. De quoi rappeler Baudelaire qui, dans son Spleen de Paris, faisait dire à l’un de ses personnages : « La plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu'il n'existe pas ! »



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