À Amiens, François Ruffin (Picardie Debout !) prône "une gauche joyeuse"

À Amiens, François Ruffin (Picardie Debout !) prône "une gauche joyeuse"

Émile part en campagne ! À l’occasion de ces législatives anticipées, le magazine suit six candidats, qui représentent les principaux partis en lice. Dans la première circonscription de la Somme, nous rejoignons François Ruffin, candidat Picardie Debout ! investi par la France Insoumise et le Nouveau Front Populaire. Face à un vote RN de plus en plus élevé, il part à la conquête d’un électorat populaire et rural.

NB : Après plusieurs tentatives, aucun alumni de Sciences Po, candidat à ces législatives investi par La France Insoumise, n’a répondu à nos sollicitations. Par souci de représentativité des principaux partis en campagne pour ces législatives, nous avons suivi François Ruffin, dont l’équipe de campagne est composée de plusieurs Sciences Po.

Par Alexandre Thuet Balaguer

Danielle voulait voir la mer. « À chaque fois qu’on a une victoire avec François, on fait un évènement pour fêter. Il nous a promis qu’on irait à la plage un jour. J’attends toujours », rouspète cette militante de longue date. Le candidat de Picardie Debout ! – son parti qu’il a fondé en 2017 – investi par le Nouveau Front Populaire et soutenu par la France Insoumise, est apprécié des militants qui le suivent depuis longtemps. « Moi, ça fait un peu plus de 20 ans que je le suis dans ses actions. On en a eu des luttes », se souvient-elle. La dernière en date ? Celle de l’usine MetEx et de ses 280 salariés, pour laquelle le groupe agro-industriel Avril a proposé une offre de reprise début juin. Symbole d’une « Europe passoire » selon François Ruffin, ses équipes et son parti s’étaient mobilisés pour faire le pied de grue au piquet de grève avec les ouvriers.

Une victoire contre le « dumping social » devenue un véritable argument de campagne. Avant les européennes, les têtes de liste Manon Aubry (LFI), Marie Toussaint (Les Écologistes) et Léon Deffontaines (PCF) s’étaient retrouvées sur le site pour se mobiliser ensemble. Une consécration pour François Ruffin, apôtre de l’union des gauches, qui appelait dès le soir du 9 juin à la constitution d’un « Nouveau Front Populaire » lors de ces législatives anticipées. Pari gagné seulement quelques jours plus tard, au travers d’un programme commun.

Le plaisir et la gauche

Parade d’une fanfare organisée par François Ruffin. (Crédits : Alexandre Thuet Balaguer)

En campagne, François Ruffin sait se faire entendre. En ce jeudi après-midi, il a organisé avec sa quarantaine de militants la parade d’une fanfare, pour éveiller les habitants de Flixecourt à la menace de l’extrême-droite et à l’importance du scrutin à venir. Sa stratégie est payante. Surpris par les airs de musique, ils descendent sur le pas de la porte de leur coron, où un tract leur est distribué par le député. Les échanges permettent au député-reporter de prendre des notes dans un carnet vert sur les problèmes pragmatiques de ses concitoyens. Des notes qu’il réutilise à l’envi dans ses discours, pour ancrer ses assertions dans le réel.

« À Picardie Debout !, on est plus qu’un parti »
— Un militant soutien de François Ruffin

Le soir même, un match de football est prévu entre l’équipe du village et celle de Picardie Debout !. François Ruffin, surnommé pour l’occasion « François Latouche », fait partie de la composition. Un militant nous détaille : « En fait, on est plus qu’un parti. Il y a une équipe de foot mixte, où tout le monde peut jouer. En ce moment, on essaye aussi de construire une équipe de volleyball ». Ses adhérents considèrent davantage le micro-parti comme « une association de soutien à François Ruffin ».

« Il faut qu’on arrive à redonner le sourire aux gens. On est cette gauche joyeuse, cette gauche généreuse », harangue le député-reporter. Dans son essai Quartier Rouge : le plaisir et la gauche, le philosophe Michaël Foessel avance que les partis progressistes ont sacrifié le bonheur dans leur programme sur l’autel de la technocratie ou – au contraire – du moralisme.

« L’artiste », comme le surnommait Jean-Luc Mélenchon, a conservé une part d’espièglerie. L’ancien journaliste, qui a fondé Fakir en 2009, s’est par la suite tourné vers la réalisation de documentaires sociaux, dont Merci Patron !, pamphlet cinématographique contre les délocalisations de LVMH, récompensé d’un César en 2016. Une militante d’une soixantaine d’années se remémore : « François, il a toujours été dans la provocation. Quand on avait soutenu les gars de Goodyear [une marque de pneus qui avait une usine à Amiens, fermée en 2014, NDLR], il était venu avec un tee-shirt « Vive Hollande ! ». On avait dû leur expliquer qu’il était de leur côté pour éviter qu’ils lui cassent la figure ».

Nouvelle provocation ou déclaration sincère, il disait en 2022 à Libération : « je m’emmerde avec les gens de gauche ». Spontané, il le reste aussi sur les ronds-points pour dénoncer « l’arnaque sociale » du Rassemblement National. Pourtant, dans la Somme, la liste de Jordan Bardella a réalisé un de ses meilleurs scores avec 42 % des suffrages exprimés. Dans la terre ouvrière de Flixecourt, elle a même été majoritairement plébiscitée, avec plus de 57 % des voix. Sur la première circonscription du département, largement favorable au parti de Marine Le Pen, un duel s’annonce avec Nathalie Ribeiro Billet, conseillère régionale RN, alors que Les Républicains n’ont présenté aucun candidat en face.

Vote RN : les raisins de la colère

À Amiens, préparation du convoi de François Ruffin à destination de Longueau. (Crédits : Alexandre Thuet Balaguer)

Durant le porte-à-porte du samedi matin à Longueau, trois profils se distinguent. D’abord, ceux qui sont convaincus de leur vote Rassemblement National et qui invectivent les militants de Picardie Debout !. La colère à l’encontre de la « trahison de la gauche » ou la perspective du « on n’a jamais essayé » reviennent bien plus que l’adhésion aux idées du RN. À l’opposé, certains habitants sont convaincus de leur vote pour le candidat du Front Populaire, à l’aune de « sa proximité avec les gens ». Puis, il y a les indécis, abstentionnistes hors-jeu qui ne s’intéressent plus à la vie politique ou électeurs du RN par désespoir. « C’est là qu’on essaye de convaincre. On ne juge pas ceux qui votent RN, on essaye de les comprendre », nous explique une organisatrice de la campagne.

Parmi ces profils, l’isolement face à la souffrance sociale est omniprésent : un jeune de 18 ans ayant quitté l’école sans diplôme à la suite de son décrochage scolaire, un coiffeur d’une vingtaine d’années qui s’est retrouvé un temps à la rue après le départ du domicile de ses parents, une mère de trois enfants d’une famille monoparentale.

Assise sur un banc en face de la mairie, cette dernière échange avec Lucie, une militante venue de Paris. Elle lui précise : « Je ne touche même plus la pension familiale du père. Il est "insolvable" comme ils disent. Aux dernières élections, j’ai voté Marine. C’est la seule qui me parle ». La militante reprend alors la rhétorique de François Ruffin : « le seul qui vous soutient réellement, c’est votre député sortant. Regardez, tous les patrons, tous les gens qui ont le pognon, ils soutiennent le RN », affirme-t-elle en référence au renoncement à une taxe sur les superprofits de la part du parti d’extrême-droite. La conversation semble avoir troublé l’électrice. « Je vais réfléchir alors », souffle-t-elle.

Cachez ce Mélenchon que je ne saurais voir

Perçu singulièrement à gauche, le fondateur de Picardie Debout ! s’émancipe des logiques politiques traditionnelles. Un habitant de Flixecourt nous lance une remarque déroutante : « À chaque élection, je vote RN. Sauf quand François se présente. Là, je vote François ».

« Il faut éloigner ma figure de celle de Jean-Luc Mélenchon. »
— François Ruffin

En personnalisant ainsi le scrutin, François Ruffin cherche également à se distinguer du leader de La France Insoumise, à l’aura écornée depuis quelques semaines. À ses militants, François Ruffin conseille : « il faut éloigner ma figure de celle de Jean-Luc Mélenchon ». Quelques jours plus tard, il abondera dans la presse en ce sens : « Lui, c’est lui. Moi, c’est moi », inspiré par la réflexion de Laurent Fabius, lorsqu’il était Premier ministre, sur sa relation avec François Mitterrand.

Faisant partie des derniers à maintenir une ligne dissidente au sein de LFI, François Ruffin a été épargné de la « purge » qui a frappé certains députés sortants du parti, comme Rachel Garrido ou Alexis Corbière. Ce constat fait, reste néanmoins que les liens se fracturent au fur et à mesure des mois. « Même pendant les européennes, lorsque Manon [Aubry] avait fait son meeting à Amiens, c’était tendu avec le service d’ordre », nous relate une militante, ancienne professeure de philosophie à l’université.

Sur fond de tensions – et d’ambitions –, Jean-Luc Mélenchon a acté l’antagonisme entre les deux hommes. En affirmant qu’il « est parti tout seul de LFI », le candidat malheureux à la dernière présidentielle tente de peindre d’égoïsme la stature que François Ruffin a cherché à bâtir tout au long de ces années : celle d’un homme politique pragmatique, prêt à se désister au profit de celui qui sera le mieux placé dans les partis du Nouveau Front Populaire.

Dans les sondages, en cas de victoire de l’alliance, le candidat picard serait le deuxième homme de gauche que les Français préfèreraient à Matignon, après Raphaël Glucksmann. Par sa stratégie de reconquête de l’électorat rural et ouvrier, il transcende auprès de ses électeurs les clivages classiques. De quoi laisser espérer à ses militants de revivre « les jours heureux » qu’il prône. Et à Danielle, de voir enfin la mer.



Jérôme Sainte-Marie, chantre des idées du RN à Gap

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