La gestion des RPS et des situations sensibles dans les organisations : à quel moment faire intervenir un médiateur ?

La gestion des RPS et des situations sensibles dans les organisations : à quel moment faire intervenir un médiateur ?

Le 23 avril dernier, le groupe professionnel Ressources humaines de Sciences Po Alumni a organisé une conférence sur la médiation en entreprise comme réponse aux situations de conflit. Compte-rendu.

Durant la crise du Covid-19, le Médiateur des entreprises a recensé plus de 9 600 sollicitations, uniquement pour l’année 2020. (Crédits : Andrii Yalanskyi/Shutterstock)

Après une introduction d’Agnès Pauquet, co-présidente du groupe RH de Sciences Po Alumni, les membres du bureau du groupe RH de Sciences Po, Isabelle Aoustin-Hercé, médiatrice expérimentée en entreprise et médiatrice judiciaire, auteure de « Stratégie de médiation pour les entreprises » (Ed Hermann), et Caroline Ferté, avocate associée spécialiste en droit social au sein du cabinet Fidal et médiatrice, sont intervenues sur ce sujet passionnant avec leurs invités : Franck Raimbault, directeur juridique social d’Air France, et Régis Aubert, Médiateur interne au sein du Secrétariat général de la Mission nationale de soutien et de médiation d’Orange.

Isabelle Aoustin-Hercé qui participe au développement de la médiation au sein d’entreprises, évoque les mutations du monde du travail, dont elle est une observatrice aguerrie du fait de sa pratique de médiatrice au quotidien : « les entreprises connaissent une profonde transformation de la qualité de vie et des conditions de travail, mais aussi des relations interpersonnelles entre les collaborateurs. L’incertitude provoquée par des situations complexes et mouvantes accroît le nombre de situations sensibles. »
Selon elle, la digitalisation a modifié les rapports au travail avec :

-         Une temporalité qui s’accélère, il s’agit de trouver les réponses immédiates à toute question qui se présente ; impatience de chacun à obtenir les réponses attendues, urgence devenue règle,

-         Un alourdissement des processus et des tâches administratives, pour se rassurer sur un travail contrôlé,

-         L’apparition du télétravail, collaborateurs comme entreprises disent avoir trouvé une meilleure qualité de vie et des conditions de travail plus favorables (avc une moyenne actuelle de 2 jours de télétravail par semaine en France dans les entreprises).

Cette course après le temps, au-delà de l’exacerbation de l’impatience et des frustrations des uns et des autres, produit une double conséquence :

-         Une recherche de résultats à court terme au détriment de la créativité et des innovations,

-         Un collectif qui peine à exister. Les solutions individuelles sur mesure restent plus rapides et faciles à mettre en place que des solutions collectives, toujours plus difficiles à organiser.

« L’incertitude provoquée par des situations complexes et mouvantes accroît le nombre de situations sensibles. »
— Isabelle Aoustin-Hercé

Dans le même temps, l’individu ne parvient plus à trouver de solutions satisfaisantes à ses difficultés. Il reste en quête de sens et de reconnaissance : comment se sentir utile et reconnu, en sécurité dans ce contexte d’incertitude et de changements rapides, où le soutien collectif n’existe plus ? Comment s’appuyer sur les autres, s’ils ne nous comprennent pas quand les relations souvent épisodiques provoquent des incompréhensions, des sentiments complexes, puis conflictuels ? Comment tenir compte des autres, s’adapter en permanence et trouver un bon équilibre professionnel et personnel dans son entreprise ?

Pour prévenir les situations sensibles et les conflits, le manager doit rester vigilant aux signaux faibles. Cela ne lui est pas facile quand il n’a pas le temps de percevoir les difficultés des collègues, ou quand il n’est plus en présence des uns et des autres ; chacun se sent impuissant face à la souffrance lorsqu’elle est exprimée. Les managers, les responsables de ressources humaines, comme les représentants du personnel peinent à gérer les situations sensibles, les RPS et les conflits au sein des équipes, à faire vivre le collectif, et à répondre aux demandes et aux injonctions paradoxales des uns et des autres. Par exemple, alors que davantage de relations du manager et de son équipe permettrait de mieux anticiper les situations sensibles, renforcer les échanges pourraient aussi exposer le manager à des risques d’allégations de RPS, selon la perception qu’en aura son interlocuteur.

Les risques psycho-sociaux n’ont jamais été aussi importants et aussi nombreux, (tensions interpersonnelles, conflits avec le manager ou au sein des équipes, épuisement professionnel, harcèlement, discrimination, et autres risques psycho-sociaux…), alors que, dans le même temps, l’entreprise essaie de les prévenir et de les maîtriser. Les incivilités sont également en augmentation.

Pourtant les entreprises n’ont jamais été autant à l’écoute, soucieuses de gérer au mieux les situations difficiles, elles déploient autant que possible les outils de gestion des risques psycho-sociaux et cherchent les bons équilibres dans une amélioration continue de la qualité de vie et des conditions de travail.

La gestion des Risques Psycho-Sociaux (RPS) reste une préoccupation majeure : en cas de mal-être ou de difficulté relationnelle, l’équilibre des relations au travail est rapidement rompu : frustrations puis conflits et souffrances apparaissent.

Se réinventer pour répondre aux risques psycho-sociaux

Dans ce contexte, une alerte sur les risques psycho-sociaux pourrait apporter au collaborateur des solutions, d’autant que les souffrances dénoncées, qualifiées de « RPS », peuvent s’expliquer par les actions d’une ou de plusieurs personnes dans son environnement professionnel. Les uns et les autres cherchent des solutions à ces situations délicates, puis les faits et l’enquête appellent une reconnaissance du statut de victime, et surtout, en termes de résultat, la désignation d’un ou plusieurs responsables de la souffrance endurée. Logique ensuite pour les acteurs d’attendre réparation de l’entreprise ou d’un collègue. Mais quelle déception lorsque le résultat de l’enquête n’aboutit pas au résultat escompté par chacun : la présumée victime et/ou le collègue ou manager mis hors de cause en appellent en retour à la reconnaissance de leur préjudice, et réclament justice. Après cette démarche d’enquête, il devient complexe et difficile de progresser dans la compréhension de l’autre, de se rapprocher pour trouver ensemble des solutions, poursuivre la relation professionnelle, que chacun ait tort ou raison. La question du sens au travail revient, ainsi que celle de la reconnaissance recherchée. Le collectif peine à apporter le soutien attendu. Les réponses aux questions posées à partir des seules perceptions, sans prendre parti d’un côté ou de l’autre sont peu audibles. Finalement les ressentiments s’étendent au sein de ce collectif déjà fragile.

À travers toutes ces situations sensibles et complexes, l’entreprise comme les individus ont besoin de nouveaux outils pour retrouver des équilibres indispensables à la vie quotidienne et éviter le cortège de souffrances inhérent à toute situation vécue difficilement par tous, collaborateurs, managers, IRP, RH, directions… L’énergie dépensée lors de ces situations et conflits, les souffrances endurées et leur coûts directs et indirects sont devenus insupportables à tous.

Si une enquête peut permettre d’établir des faits et des responsabilités, le travail sur la relation reste indispensable à tout moment en cas de situations sensibles et de RPS, dans le cadre collectif incontournable de l’entreprise.

La médiation dans ce contexte est le seul moyen d’établir ou de rétablir la relation entre les personnes, afin de leur permettre de trouver des solutions adéquates selon leurs situations. Et surtout, la médiation reste le seul moyen, par ce travail au niveau des relations entre les personnes, de permettre si possible de continuer à travailler ensemble. Il s’agit en médiation de définir, au cas par cas, le périmètre du conflit selon la situation, d’en identifier les acteurs, (médiation interpersonnelle ou collective, parfois de très nombreuses personnes sont impactées). Puis de travailler grâce à une écoute active sur les perceptions et les certitudes de chacun. Chacun redevient acteur de sa situation et surtout des solutions à construire, plutôt que de laisser l’entreprise ou un juge décider de solutions qui pourraient ne pas convenir à tous, ou qui ne seraient pas pérennes.

La posture du médiateur, impartiale et neutre, lui permet d’accompagner avec distance chacun dans ses difficultés selon ses intérêts et besoins. Les règles de la médiation lui permettent de sécuriser les échanges, permettant ainsi une parole plus libre, efficace, et équitable. Si chacun reste libre de venir ou de ne pas participer à une médiation, la confidentialité des échanges restera la règle, sauf exception consentie par tous. Dernier pilier de la médiation, le processus structuré conduit par le médiateur lui permettra d’aider chacun à avancer rapidement. Le médiateur, quant à lui, pourra utiliser des outils et techniques de communication qui lui permettront d’écouter et d’aider les personnes concernées à clarifier les sujets de désaccord, comme les éléments qui peuvent rapprocher les acteurs.

Le médiateur s’appuie sur les personnes qu’il va rencontrer, à partir de convictions humanistes. Il travaille, grâce à son approche systémique qui sied à l’appréhension de toute situation complexe et sensible, avec chaque acteur sur les problématiques individuelles, mais aussi collectives. Il s’agit bien de permettre aux personnes de trouver, ou de retrouver des solutions qui leur conviennent et un équilibre au sein de leur organisation.

Le droit comme appui au salarié

Caroline Ferté, avocate associée, spécialiste en droit social, qui accompagne les entreprises sur leurs problématiques sociales, restitue le cadre juridique de la gestion des risques psychosociaux (RPS), préoccupation majeure pour l’entreprise, soucieuse du bien-être de ses salariés et de sa responsabilité sociale. Elle souligne la place émergente de la médiation qui offre un cadre structuré pour résoudre les conflits et favoriser un environnement de travail sain et productif au bénéfice de toutes les parties prenantes.

En matière de RPS, l’employeur est tenu d’une obligation de prévention qui est désormais depuis 2015, une obligation de moyens renforcée ; l’enquête interne, consécutive à un signalement, en fait partie.

Sous l'impulsion du droit européen, le droit français a évolué, d'une logique de réparation, vers une logique de prévention en matière de santé et de sécurité au travail. L'employeur est, au titre de l’article L.4121-1 du Code du travail, tenu de « prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Il a été précisé à l’article L.4121-2, quels devaient être les neuf principes de prévention que l’employeur doit suivre pour élaborer son dispositif de prévention. Les mesures nécessaires incluent la prévention des risques professionnels, l'information et la formation des travailleurs, ainsi que l'adaptation de l'organisation et des moyens de travail.

Dans cette démarche, la sensibilisation à la médiation est essentielle, mais elle ne suffit pas toujours à protéger immédiatement les salariés victimes de harcèlement moral. En effet, l'employeur est également tenu de mettre en place des mesures conservatoires, comme l'a souligné une décision de la Cour d'appel de Douai en 2009 (CA Douai, 20 février 2009, n°07/3114). Le Code du travail réglemente déjà certains recours à la médiation, notamment dans les conflits collectifs ou les cas de harcèlement moral.

Depuis 2015 - un arrêt de la chambre sociale de la Cour de Cassation du 25 novembre 2015 n°14-24444 concernant Air France -, la jurisprudence prend désormais en compte les efforts de prévention des entreprises dans l'appréciation de leur responsabilité. Les enquêtes internes sont, pour cette raison, devenues obligatoires suite à un signalement de harcèlement (par exemple, Cass. Soc. 6 décembre 2017 n°16-10885, Cass. soc. 27 novembre 2019 n° 18-10.551).

En pratique, l’employeur se heurte souvent à des difficultés concrètes illustrées par un arrêt topique de la chambre sociale de la Cour de cassation du 6 juillet 2012 (n°21-13631) assez emblématique d’écueils à éviter :

La Cour de cassation valide l’analyse des juges du fond en reconnaissant que le licenciement pour inaptitude d'une responsable d'équipe était sans cause réelle et sérieuse, en raison de plusieurs manquements de l'employeur à son obligation de sécurité vis-à-vis de cette manager mise en cause.

Ces manquements comprenaient :

-         Des suspicions immédiates sans enquête approfondie,

-         Une enquête confiée au N+1 ayant des relations tendues avec la manager,

-       L’utilisation d'un rapport d’un consultant externe non spécifique, sans lui demander d'identifier de façon individualisée les déclarations recueillies ni de donner des exemples concrets pour illustrer les accusations de maltraitance psychologique,

-         Une annonce prématurée de la sanction envisagée aux membres du CODIR sujette à ébruitement,

-         Et une absence d'antécédents disciplinaires de la manager ancienne dans l’entreprise.

La mise en cause humiliante de la manager, sans précautions suffisantes, constituait un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité rendant le licenciement pour inaptitude sans cause réelle et sérieuse.

Par ailleurs, un entretien téléphonique tendu d’une salariée en télétravail avec son supérieur hiérarchique constitue bien un accident du travail selon une décision rendue le 8 mars 2024 par la Cour d'appel de Grenoble (RG n°22/02819).

La salariée en télétravail avait demandé par téléphone à son manager une répartition plus équitable de la charge de travail au sein de l'équipe. L'entretien s’était mal passé et la salariée avait ensuite déclaré à son employeur avoir été victime d'une agression verbale de la part de son supérieur, conduisant à un état traumatique en raison des propos humiliants tenus.

Elle avait fait une déclaration d'accident du travail, après avoir alerté à plusieurs reprises son responsable sur la surcharge de travail conduisant même à un cas de burn-out dans l’équipe. Malgré ses demandes répétées et la détérioration continue des conditions de travail, aucune action corrective n'avait été entreprise. Lors de l'appel téléphonique où elle avait demandé une répartition équitable de la charge de travail, elle avait été mise en cause de manière humiliante (« toi, ça ne va jamais »), ce qui avait conduit à un état de crise et finalement à un burn-out, comme l'avait constaté son médecin.

La médiation, outil de QVTC

Les initiatives de médiation ont émergé dans divers contextes, notamment à travers des accords collectifs d’entreprise abordant la qualité de vie au travail et encourageant le recours à la médiation interne. Afin de soutenir les salariés face à des situations dites sensibles, certaines entreprises ont mis en place un dispositif de résolution de ces situations avec possibilité de choisir la médiation comme mode de régulation.

Dans ces accords d’entreprise, les situations sensibles sont celles qui présentent un facteur de risque de dégradation de l'intégrité physique ou psychologique ou encore des conditions de travail des salariés : conflits avec le manager, tensions interpersonnelles, situation particulière d'un collègue (charge de travail exceptionnelle, maladie grave, salarié aidant, suicide ...), état de santé dans le cadre de l'activité professionnelle, retour après une longue absence, harcèlement sexiste et/ou moral, agissements sexistes, discrimination.

Le dispositif de résolution des situations sensibles permet de donner la parole aux parties prenantes (collaborateur, manager/animateur d'équipe, HRBP/RRH et représentants du personnel), d'assurer l'écoute et d'engager des actions en réponse aux difficultés soulevées.

Même à l'échelle mondiale, des accords comme celui du groupe Orange sur l'égalité professionnelle du 17 juillet 2019 intègrent des dispositifs de médiation pour résoudre les problèmes de sexisme, de harcèlement et de violence.

La médiation au service de la RSE et d’une gouvernance durable

Comment définir la RSE ? En s’appuyant sur la norme ISO 26000 qui identifie 7 dimensions de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), parmi lesquelles la thématique des relations et conditions de travail, c’est-à-dire notamment, la santé et la sécurité au travail ainsi que le développement du capital humain.

La médiation est envisagée comme un outil de RSE, responsabilisant les parties prenantes, favorisant l'écoute et le dialogue, et incitant à la résolution des difficultés de manière constructive et pacifiée, aboutissant à des solutions créatives, équitables et durables.

La médiation encourage ainsi un environnement social favorable aux relations humaines. Elle rétablit la motivation des acteurs impliqués tels que les employeurs, les salariés et les partenaires. En optimisant les relations humaines et sociales, elle renforce le capital humain, essentiel pour relever les défis économiques et sociaux. Ainsi, la médiation devient un levier de performance incontestable pour l'entreprise.

La CSRD (corporate sustainability reporting directive) qui va imposer, à certaines entreprises, à partir de 2025 et de façon progressive, un rapport de durabilité sur la base de critères ESG (concernant l’environnement, le social et la gouvernance), va encore contribuer à renforcer l’intérêt pour la médiation au service de la gouvernance durable.

Ce rapide panorama juridique témoigne d’un développement croissant de la médiation et de ses différents usages. Certaines entreprises ont été pionnières dans le recours à la médiation.

L’exemple d’Air France

Franck Raimbault, directeur juridique social d’Air France, a ensuite expliqué comment sa direction a mis en place en 2018 un dispositif inédit de médiation conventionnelle des litiges individuels du travail, dispositif qui a rencontré un grand succès – interne et externe – et qui est aujourd’hui un exemple concret des avantages de la médiation.

Air France a su instaurer un programme de médiation ambitieux, pour répondre aux contentieux entre ses salariés (Crédits : Laurent ERRERA/Wikimédia)

Air France était confrontée à une forte conflictualité sociale. Après avoir longtemps œuvré à réduire la grève, Air France a constaté dans les années 2000 et 2010 une augmentation des contentieux prud’homaux. En tant que société de services et premier employeur d’Ile de France, l’entreprise a souhaité mettre en place un dispositif de médiation, afin de lui permettre de régler les difficultés relationnelles avec certains collaborateurs, de manière à diminuer le nombre de ses contentieux avec ses propres collaborateurs.

Ce dispositif permet aux salariés en litige avec Air France de saisir l’un des médiateurs indépendants et tiers à l’entreprise, référencés sur le site intranet de l’entreprise. Comme le prévoit la charte de la « médiation conventionnelle », la médiation est gratuite pour le salarié qui peut être assisté dans les mêmes conditions qu’aux prud’hommes. Le salarié peut être assisté d’une personne. Du côté d’Air France, sont présents un juriste de la direction juridique sociale (avec délégation de pouvoirs) et/ou un manager ou RRH. Il est possible pour l’employeur comme pour le collaborateur de refuser des demandes de médiation, notamment en cas de violence. La médiation ne peut, en effet, en aucun cas, être imposée à une personne ou à son employeur.

Près de 6 ans après son lancement, ce dispositif est un vrai succès.

Le fait de proposer au salarié un espace de dialogue permet de régler beaucoup de litiges avant même d’utiliser la médiation. Sur 200 dossiers de médiation, 120 dossiers ont été réglés sur le champ, 66 ont fait l’objet d’une médiation avec un accord dans 80% des cas. Chaque dossier a fait l’objet d’une analyse juridique préalable. La médiation a permis d’importantes économies de charges. Mais surtout, elle a préservé la motivation et la qualité de travail, elle a restauré la relation des collaborateurs avec leur collègue, leur manager, leur RH ou leur employeur, ce qui est essentiel quand la question du sens du travail se pose.

La neutralité nécessaire du médiateur

Régis Aubert, médiateur interne au sein du Secrétariat général de la Mission nationale de soutien et de médiation ORANGE a présenté la Mission nationale de soutien et de médiation mise en place au sein du groupe en 2011, au sortir de la crise sociale interne. Au début, il s’agissait de régler des difficultés relationnelles de collaborateurs avec leur employeur (« médiation institutionnelle »). Les difficultés aujourd’hui concernent davantage des relations entre des collaborateurs, ou des difficultés entre plusieurs personnes qui sont gérées par le biais de médiations collectives.

Régis Aubert souligne les difficultés qui peuvent se présenter du fait de l’éloignement géographique des personnes, notamment lorsque le manager dispose d’un lieu de travail très éloigné de ses collaborateurs. Il est du reste parfois difficile du fait de l’éloignement géographique, ou du travail à distance, de percevoir les signaux faibles des conflits qui peuvent exister. Ainsi, quand les difficultés apparaissent, le conflit est déjà bien installé. Ces conflits peuvent alors faire l’objet d’allégations de harcèlement moral. Il est alors possible, si les acteurs le souhaitent, de choisir de recourir à la médiation, processus moins stigmatisant qu’une enquête interne.

Dans ce cadre, la médiation permet aussi aux personnes de renouer une relation, car si toute situation de souffrance au travail n’est pas liée à du harcèlement, tout signalement de harcèlement est l’expression d’une souffrance au travail.

La médiation est un processus qui libère beaucoup d’émotions, il n’est pas rare de voir des personnes submergées par une forte émotion, en pleurs. L’écoute est primordiale en médiation, être écouté permet d’enlever un poids aux personnes concernées. Le médiateur interne n’enquête pas, il travaille sur la relation, sur les ressentis, sur les attentes. Les réunions de médiation ne se tiennent jamais sur le lieu de travail, mais dans un lieu neutre pour permettre à chacun de prendre un peu de distance, de faire un « pas de côté » par rapport à la situation qui les fait souffrir. Il y a environ 50 médiations par an au sein du groupe Orange.

Par rapport aux managers, il faut éviter deux écueils :

-         Tout d’abord, le médiateur ne prend pas la place du manager, il restera impartial et neutre. Il ne faut pas que le manager prenne le médiateur pour un rival,

-         Par ailleurs, il est parfois difficile au manager de saisir la Mission de médiation, car il ne veut pas paraître en situation de désaveu, comme n’ayant pas réussi à régler seul le conflit apparu dans son équipe. C’est pourquoi des réunions de sensibilisation des managers à la médiation ont été mises en place par les médiateurs de la Mission de médiation

Si la gestion des conflits est une responsabilité managériale, le recours à la médiation est un acte de management responsable et positif. Cela sera d’autant plus vrai que la médiation permettra de régler positivement et à l’amiable les éventuels différends.

La médiation offre un temps d’apaisement, dont bénéficie les personnes en médiation et leur collectif de travail (collègues, ligne managériale, DRH).

Un changement de paradigme pour les entreprises

Ces échanges ont souligné l’importance du processus de médiation dans la restauration des relations de travail. Ils ont mis en exergue des facteurs importants.

« Écouter les travailleurs sur la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail et les relations sociales. »
— Le rapport sur les Assises du Travail

Premièrement, la médiation insiste sur la nécessité d’écouter chacun. Le Rapport sur les Assises du travail pour « re-considérer le travail » remis au Ministre du travail le 24 avril 2023 proposait d’ajouter un dixième principe général de prévention à l’article L.4121-2 du Code du travail : « écouter les travailleurs sur la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail et les relations sociales ». Avant de renchérir : « l’écoute que l’employeur accorde à la façon dont les travailleurs vivent leurs situations de travail […] renforce son dispositif de prévention des risques professionnels ».

Deuxième constat : le collectif est fragile, il peine à exister et à soutenir les individus face à la montée de l’individualisme et de son cortège de solitude. Or, en milieu de travail, l’interdépendance est partout. Chacun a besoin des autres pour être reconnu, soutenu et pour trouver un bon équilibre avec les autres et avec le collectif, éloignant ainsi les souffrances individuelles liées aux risques psycho-sociaux et aux situations sensibles.

La médiation permet des échanges apaisés et sécurisés pour tous les acteurs de l’entreprise qui acceptent cette démarche. La complexité et l’incertitude devenues quotidiennes dans les organisations nécessitent des adaptations permanentes de tous les acteurs.

La médiation humaniste et systémique est la réponse qui prend en charge les situations sensibles et permet ces adaptations, en tenant compte de l’autre, autant que du collectif et de la complexité des situations. Par ce travail sur la relation, la médiation permet à chacun de rétablir la communication malgré ses difficultés. Les personnes redeviennent acteurs et responsables de leur choix. C’est un changement de paradigme pour les entreprises.

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