1924-2024 : Un siècle de Jeux à Paris

1924-2024 : Un siècle de Jeux à Paris

Nouvelle chronique : la rédaction d’Émile analyse un document provenant des archives de Sciences Po qui résonne avec l’actualité. Pour l’inaugurer, direction les Jeux olympiques de Paris en 1924.

Par Alexandre Thuet Balaguer

Première page du Programme des Jeux olympiques de Paris en 1924. (Crédits : Fonds de la famille Coubertin, COU 8 Dr3, Département archives, DRIS, Sciences Po)

En cet après-midi du 5 juillet 1924, les tribunes du stade de Colombes ont troqué les bérets de leurs fidèles spectateurs contre les têtes couronnées les plus prisées. À leurs côtés, les Franciliens distinguent la présence des principaux personnages politiques français, tout comme celle des princes de Galles, de Roumanie ou encore du shah de Perse. Et c’est devant cet aréopage de dirigeants que le président de la République Gaston Doumergue, élu quelques jours plus tôt, proclame « l’ouverture des Jeux olympiques de Paris, célébrant la huitième olympiade de l’ère moderne ». Le lendemain, la première version du Programme des Jeux olympiques (voir document ci-contre) est publiée. Ces quelques feuillets sont vendus quotidiennement pendant deux semaines à travers la capitale pour informer le public des résultats passés et des épreuves à venir. 

Pendant les mois qui ont précédé la cérémonie d’ouverture, les Jeux se sont progressivement installés dans le débat public, des grands journaux jusqu’aux conversations anodines du quotidien. La ferveur monte et avec elle, la peur, pour des raisons assez familières aux contemporains des JOP de 2024.

« Serons-nous prêts ? »

Alors que Paris traverse une crise du logement, le Comité olympique français (COF) craint que les hôteliers, face à l’afflux de touristes, augmentent leurs prix. Chez les habitants aussi, on se révolte contre cet événement aux conséquences sociales dramatiques. Le quotidien La Liberté prédit, le 4 mars, « plus d’étudiants à la rue ! », quand Le Siècle dénonce une France dépossédée, devenue « auberge du monde ».

Des Jeux jaillit une xénophobie latente. Rares sont ceux à percevoir les opportunités des retombées économiques, à l’instar de L’Intransigeant, qui titre, pour l’arrivée des sportifs américains : « Welcome ! ». Au contraire, cette immigration touristique et temporaire est dénigrée, puis discriminée. L’Homme libre rapporte ces plaintes de familles étrangères venues assister aux Jeux, mais qui se retrouvent arnaquées par des guides malintentionnés ou insultées dans des transports publics saturés.

L’esprit des Français n’est pas à l’ouverture ni à la réconciliation internationale. Avec le traumatisme encore vif de la Première Guerre mondiale, l’idée d’une trêve olympique est reléguée au second plan dans l’opinion publique. 

Lorsque Pierre de Coubertin propose que l’Allemagne puisse être réintégrée à la famille olympique lors de ces Jeux, Le Siècle s’offusque et l’attaque : « Il faut qu’il soit français avant d’être président d’une structure internationaliste. » Hors des vestiaires, la géopolitique apparaît déjà comme une source de discorde.

Des jeux « émouvants en leur simplicité »

Un siècle plus tard, néanmoins, la comparaison s’arrête en ce point. Si nombre de craintes se retrouvent, le phénomène olympique, à la fois social et sportif, a quant à lui explosé. Bien loin des 300 000 spectateurs attendus sur les bords de Seine pour la cérémonie d’ouverture du 26 juillet prochain, celle de 1924 n’en comptait que 700.

Parmi les athlètes, très peu sont rémunérés pour leurs performances, le professionnalisme n’étant encore qu’un projet lointain et brumeux. Et l’égalité, une douce utopie. À l’heure où Kipling prône la supériorité de l’homme blanc, le refrain du mythe colonial est joué à l’envi. Quarante-quatre nations participent à ces Jeux, mais seulement deux sont africaines et défendent les couleurs d’un continent toujours sous tutelle.

Sur les terrains, 135 athlètes sont des femmes – à peine 4 %. Interdites de s’inscrire aux disciplines phares, des figures d’avant-garde se rebellent. Alice Milliat, première présidente d’un club pour femmes en France s’était vue snobée par Pierre de Coubertin après avoir émis sa proposition d’inclure les femmes aux épreuves d’athlétisme de Paris. En 1922, elle orchestrait les premiers Jeux mondiaux féminins, comme une réponse à l’ostracisme ambiant. Fruit de cette lutte, un siècle plus tard, les Jeux olympiques de Paris seront, pour la première fois dans l’Histoire, strictement paritaires. 

Cet article a initialement été publié dans le numéro 30 d’Émile, paru en juillet 2024.

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