La minute management - Étudier "IRL" ou "off line" ?
Dans cette nouvelle chronique, des enseignants de Sciences Po vous donnent des clés pour comprendre les évolutions du monde de l’entreprise. Francis Hintermann (promo 86), spécialiste mondial de la stratégie et du numérique, compare l’importance du distanciel dans la vie professionnelle et la sphère estudiantine.
Apprendre, enseigner, travailler en ligne ? Le choc de l’arrêt des cours en classe en plein milieu du semestre, lors de la crise du Covid, n’est pas complètement oublié, ni par les étudiants ni par les enseignants. La joie de pouvoir goûter à nouveau aux échanges en face à face (in real life, IRL) et le merveilleux cadre du campus Saint-Thomas ont fait le reste, les cours en ligne ayant été largement relégués au rang des épreuves surmontées et cadenassées dans un passé à oublier.
Et pourtant… La vie professionnelle a profondément changé depuis quatre ans et dans tous les pays. De nombreux cadres plébiscitent le travail à distance, à tel point que les entreprises multiplient les initiatives et parfois les contraintes pour les faire revenir au bureau, avec un succès limité. L’argument majeur des employés : ils sont aussi productifs chez eux, voire davantage, qu’en venant travailler. En plus du temps économisé en évitant des déplacements entre la maison et le bureau, les économies financières et la réduction d’empreinte carbone peuvent également être significatives et poussent à une pérennisation de ces nouveaux modes de travail.
Alors, y a-t-il un gouffre numérique entre la « vraie vie » estudiantine sur un campus, redevenue « comme avant » et la « vraie vie » professionnelle, transformée pour toujours et largement en ligne ? Et comment surmonter ce fossé, à l’aube de s’engager dans la vie professionnelle ?
La vie professionnelle en ligne a ses propres codes, qu’il faut maîtriser pour l’aborder de façon productive, positive et, osons-le, joyeuse. En voici quelques-uns, à la fois simples et pratiques…
Décoder les différences culturelles demande de la préparation ; il s’agit d’anticiper la façon dont des collègues d’autres pays peuvent penser et communiquer en ligne ; « Moteur, ça tourne, action ». La vie en ligne exige de manifester sa présence, qu’il s’agisse de la posture face caméra (flouter le décor à la maison, si besoin…), des expressions (pas de réunion sans faire un commentaire ou poser une question pour montrer son engagement) ou non verbales (l’écoute active est plus forte avec la caméra ouverte, qui aide à se prémunir contre la facilité du « multitasking »).
Pas de réunion en ligne sans assistant d’Intelligence artificielle, car le distanciel nécessite de se préparer encore plus soigneusement qu’en présentiel. À chaque réunion son objectif et son compte-rendu – maintenant préparé par un outil d’IA.
Inclusivité, j’écris ton nom… Une réunion en ligne, ce n’est pas un monologue ni même un dialogue entre deux ou trois personnes devant les autres. Au facilitateur d’utiliser un des nombreux outils disponibles pour s’assurer de la contribution active de l’ensemble des participants.
Small talk, big talk Pas de machine à café ou de couloir pour mieux connaître ses collègues ? Parler de sa vie personnelle et familiale est bienvenu dans les réunions en ligne, dans les limites culturelles acceptables de son environnement.
La confiance, quelle confiance ? À l’heure où celle-ci est considérablement remise en cause dans le management, est-il même possible de développer de la confiance mutuelle en ligne ? Les résultats contre-intuitifs de recherches récentes montrent que la confiance dans le management et le leadership n’est pas corrélée à la quantité de temps passé en présentiel. Développer de la confiance en ligne est possible, en ayant un leadership ouvert et inclusif.
Les étudiants de Sciences Po, sensibilisés aux enjeux du numérique et à la place de ce dernier dans le futur des entreprises et des organisations publiques, ont tous les atouts pour franchir avec succès l’obstacle de la transition vers une vie professionnelle largement en ligne. Leurs acquis en matière de relations interpersonnelles, d’analyse et de créativité les préparent particulièrement bien aux compétences qui seront de plus en plus demandées par les entreprises, notamment pour maîtriser les nouveaux outils technologiques.
Cet article a initialement été publié dans le numéro 30 d’Émile, paru en juillet 2024.