Portrait - Suzanne Bidault-Borel, femme (de) diplomate
Dans les années 1930, Suzanne Borel devint officiellement la première femme diplomate française, à une époque où la gent féminine n’avait pas encore le droit de vote. Toutefois, son sexe l’empêcha d’exercer les fonctions qu’elle souhaitait et limita grandement sa carrière. Elle connut finalement une certaine notoriété due, non pas à sa vie professionnelle, mais à son mariage avec Georges Bidault, président du gouvernement provisoire de la République française en 1946 et président du Conseil sous la IVe République. Portrait d’une femme inspirante.
« Alors, vous vous entêtez ? », « Non, je persévère », répond-t-elle à l’examinateur du concours du Quai d’Orsay en 1930. Elle a 26 ans. Diplômée d’une licence de philosophie, élève des Langues Orientales puis de l’Ecole libre des sciences politiques, Suzanne Borel a déjà tenté le concours l’année précédente. Entre temps, le directeur de l’ELSP, René Seydoux, l’a autorisée à suivre un cours spécial pour s’y préparer. Elle persévère donc et, cette année-là, est reçue : Suzanne Mary Nancy Borel devient officiellement la première femme diplomate française. Aucune autre ne le sera avant 1945. Seulement, le décret qui l’autorise à passer le concours l’empêche aussi de gagner les horizons pourtant promis par une telle profession. Les femmes n’ayant pas le droit de vote, il paraissait incongru que ces citoyennes partielles représentent la France à l’étranger. Non seulement Suzanne Borel devra rester dans l’Hexagone, mais elle ne pourra pas accéder aux postes les plus stratégiques et prestigieux du Quai d’Orsay. Ni au salaire de ses homologues masculins.
« Alors commence ce que j’appellerai non pas son odyssée – car jamais il n’y eut moins de voyages que dans cette histoire – mais une magnifique épopée administrative » écrira Jean Giraudoux, diplomate et collègue de Suzanne Borel. De Dakar à Saigon en passant par Madagascar, la jeune femme a été élevée au gré des lieux de garnisons de son père, colonel de la Coloniale et polytechnicien. En devenant diplomate, elle espéraitretourner en Asie. Elle est cantonnée aux Œuvres Françaises, « une sorte de dépotoir », décrira-t-elle, où l’on s’occupe aussi bien des sports, de la presse, des associations que des œuvres de bienfaisances à l’étranger.
Madame Bidault-Borel
Le 18 mai 1944, la Gestapo tente de l’arrêter pour ses activités dans la Résistance depuis plusieurs mois. Suzanne Borel entre dans la clandestinité et n’en sortira qu’à la lecture d’un télégramme envoyé par un certain Georges Bidault, ministre des Affaires étrangères fraîchement nommé. Il a besoin d’elle, elle devient conseiller d’ambassade de 1ère classe. C’est la fin de la guerre, et pour elle, la fin d’une injustice. Dans son testament ministériel, Georges Bidault lui promet un poste à Kiev… mais ils se rapprochent. Et, coup de théâtre sous les ors du Quai d’Orsay, se marient. Il a 46 ans, elle, 41.
Le mariage est très médiatique. On raconte qu’un paparazzi se serait glissé jusqu’au prie-Dieu de la mariée. Suzanne Borel devient Mme Georges Bidault à une époque où femme de ministre est un métier. Elle quitte son poste et se met en disponibilité. « Si pendant quinze ans, elle avait été la première et la seule femme agent des services extérieurs, elle allait connaître, après son mariage, le sort que la Carrière réservait traditionnellement au sexe féminin : celui de femme de diplomate », constate Elodie Lejeune dans un DESS consacrée à cette « pionnière oubliée ». Voyages à l’étranger, réceptions, tournées électorales, mondanités, Suzanne vit au rythme des postes de Georges qui deviendra président du Conseil. L’encre coule, dans le Canard Enchaîné comme dans Paris Match, sur son statut de « femme de », ses ambitions supposées, son influence auprès de son mari.
N’y tenant plus, en 1952, elle reprend une activité à mi-temps à l’Office français de protection des Réfugiés et apatrides. Trois ans après, elle est nommée ministre plénipotentiaire. Là encore, première de l’histoire de France. Enfin un blanc-seing pour dépasser les frontières en son nom comme en celui de l’Etat français. Alors que son parcours aurait pu, si elle avait été un homme, avoir une toute autre allure, elle confiait en 1956 à Nathalie Sarraute, dans les pages du Monde Diplomatique : « Ma carrière n’a rien eu de bien fulgurant, vous savez ! »