Enquête - La Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique en question

Enquête - La Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique en question

Après une campagne présidentielle marquée par les affaires, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, créée à la suite de l'affaire Cahuzac, est amenée à prendre de plus en plus d'importance dans le paysage des institutions françaises. Elle est chargée notamment de publier les déclarations de patrimoine des élus, mais aussi, depuis le 3 juillet, d'enregistrer les déclarations des lobbyistes qui entretiennent des relations avec des hommes politiques. Compétences, enjeux et perspectives de cette institution forte en symbole mais qui manque encore de moyens.

Enquête réalisée par Anna Lecerf et Clémence Fulleda

Quand a été créée la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique  (HATVP) ? Combien de personnes représente-t-elle aujourd'hui ?

Photo HATVP

Photo HATVP

La HATVP a été créée en janvier 2014, suite à l'affaire Cahuzac, par les lois sur la transparence de la vie publique voulues par le président François Hollande. Elle a remplacé la Commission pour la transparence financière de la vie politique, dont les pouvoirs et les ressources étaient limitées et insuffisantes pour les nouvelles compétences qui lui était confiées. Lors de sa création, cette nouvelle autorité administrative indépendante (AAI), ne comptait que six agents... près de quatre ans plus tard, elle en compte 50. Ce sont principalement des fonctionnaires qui viennent d'administrations diverses comme le ministère des Finances, celui de la Justice, ou de l’Intérieur, etc. Un chiffre, qui augmente chaque année depuis 2014 et qui va continuer à croître ces prochaines années.

« Nous allons je pense, monter en puissance au vu de ce qui se prépare dans le paysage politique, du “choc de confiance” que le gouvernement veut provoquer avec les dispositions législatives qui vont être débattues prochainement », indique Jean-Louis Nadal, le président de la Haute Autorité, ancien procureur général près de la Cour de cassation, en faisant référence au projet de loi sur la moralisation de la vie publique.

La pérennisation et la montée en puissance de la HATVP est actée. Mais qu'en est-il des moyens qui lui sont alloués ?

15 800 déclarants (tous responsables publics, qu’ils soient élus ou agents publics) sont aujourd'hui contrôlés par la HATVP, un chiffre conséquent. Les agents de l’institution sont à l'étroit dans leurs locaux près des Grands Boulevards à Paris, et le budget reste modeste. Il est pour 2017 de 6 152 344  euros, selon son site internet.

« Évidemment, on est partials quand on dit que notre service n'a pas encore les moyens, mais si l'on se compare à nos homologues étrangers, on voit bien qu'on est encore tout petits », détaille le secrétaire général Guillaume Valette-Valla.

Avec la loi Sapin 2, entrée en vigueur début juillet, qui demande aux lobbyistes de s'inscrire sur un répertoire en ligne avant de rencontrer des hommes politiques ou des ministres, beaucoup de travail s'annonce... mais seulement dix personnes ont été embauchées pour cette nouvelle mission. À titre de comparaison, une autre institution indépendante, la commission informatique et liberté, la CNIL, compte 200 membres.

Quelles sont les compétences de la Haute Autorité ?

La Haute Autorité recueille les déclarations de patrimoine des responsables publics, notamment les membres du gouvernement à deux reprises : quand la personne prend ses fonctions et quand elle les quitte. Sa mission est de vérifier la cohérence de la déclaration et de détecter un éventuel enrichissement illicite. Pour ses contrôles, elle fait appel aux ressources de la direction générale des finances publiques (DGFiP). Aujourd'hui la HATVP passe systématiquement par la DGFiP, mais Jean-Louis Nadal espère pouvoir bientôt simplifier les démarches :

« Nous auront prochainement accès à certaines bases de la direction générale des finances publiques (FICOBA ou PATRIM par exemple) mais nous demandons un droit de communication autonome, c’est-à-dire que nous puissions procéder par nous-mêmes à certaines recherches et, à certaines investigations, que ce soit en matière de cadastre, ou en matière d'actes notariés, etc. Cela accélérerait le traitement des déclarations et des contrôles, et enlèverait une certaine ambiguïté. »

La Haute Autorité est également chargée de prévenir les conflits d’intérêts. Lorsqu’elle détecte une situation de conflit d’intérêts dans les déclarations d’intérêts qu’elle reçoit, elle peut intervenir et recommander des solutions pour y mettre fin. Chaque responsable public peut également lui demander un avis – confidentiel – s’il a une interrogation d’ordre déontologique. Par ailleurs, d'autres compétences qui relèvent aujourd'hui du bon vouloir des gouvernements en place, gagneraient à être inscrites dans les compétences officielles de la HATVP. Dans le rapport « Renouer la confiance publique », remis en 2015 à François Hollande, Jean-Louis Nadal préconise ainsi de procéder à certaines vérifications avant la nomination d’un gouvernement,  et ainsi de pouvoir éviter des affaires embarrassantes. « Cela n'a pas été mis dans le texte et je le déplore. Toujours est-il que François Hollande lors des remaniements suivants nous a soumis des noms », explique Jean-Louis Nadal.

« Un usage républicain » qui a perduré depuis, et Emmanuel Macron a fait de même lors de la nomination de ses gouvernements. Une bonne pratique mais qui reste suspendue au bon vouloir des uns et des autres tant que cela n'est pas inscrit officiellement.

« Cela nous a permis de dresser quelques drapeaux rouges ou oranges sur des personnes pressenties à ces fonctions. Après, si elles n'ont pas été nommées au final, on ne peut pas savoir si c'est à cause de ce drapeau orange ou non », souligne Guillaume Valette-Valla.

Les limites de cette vérification sont aussi très vite palpables : le temps de vérification est très court de quelques jours à quelques heures, et certaines données ne sont pas consultables pour la HATVP. En somme, cela permet d'éviter une affaire comme celle de Thomas Thévenoud, mais pas une affaire comme celle de Jérôme Cahuzac, qui avait caché ses comptes en Suisse et qui demandait une enquête poussée.

Comment sont nommés les membres de la Haute Autorité ? Quelle déontologie s'appliquent ceux qui y travaillent ?

La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique est une institution administrative indépendante, c’est-à-dire qu'elle agit au nom de l'État et dispose d'un réel pouvoir sans pour autant dépendre du gouvernement. Le président de la Haute Autorité est nommé par décret du président de la République. Jean-Louis Nadal est un ancien magistrat, ancien procureur général près de la Cour de cassation (2004-2011). Les autres membres du collège, au nombre de huit sont deux conseillers d’État, deux conseillers à la Cour de cassation, deux conseillers-maîtres à la Cour des comptes, élus par leurs pairs ; ainsi que deux personnalités qualifiées nommées respectivement par le président de l’Assemblée nationale et celui du Sénat. Les six membres élus le sont selon les principes de la parité femme-homme. Le mandat est de six ans, non renouvelable. Les membres du collège sont soumis à un devoir d'impartialité. Aucune prise de position publique personnelle n'est autorisée. Et surtout, les membres de la Haute Autorité ne peuvent pas prendre part aux délibérations et aux contrôles concernant une personne qu'ils connaissent et qui peuvent représenter un intérêt pour eux.

« C'est une exigence déontologique, au début de chaque collège nous faisons la liste des personnes qui doivent quitter la salle, et avec le secrétaire général, nous présentons ces déports pour chaque dossier. Il nous arrive même d'en rajouter des nouveaux. », indique Jean Louis Nadal.

« C'est même plus que cela », ajoute Guillaume Valette Valla, « cette honnêteté a été imbriquée dans le système informatique ». « Par exemple, je n'ai pas accès aux dossiers de toutes les personnes que je peux connaître via le système informatique, et je mets à jour cette liste chaque semaine. »

Quelles perspectives pour la HATVP ?

Deux axes majeurs de réflexion vont être développés par la HATVP dans les prochaines années. Premièrement : le lobbying, l'influence du secteur privé sur le secteur public et dans la décision publique notamment lors de l'élaboration d'une loi. 

« Vu le background de certains élus de la nouvelle majorité, évidemment que cette question va se poser prochainement », souligne Guillaume Valette-Valla.

Deuxièmement : plus généralement, la Haute Autorité souhaite s'intéresser aux conflits d'intérêts de manière plus générale.

« De quelle manière s'opèrent les passages du public et au privé et du privé au public, comment le passage de l'un à l'autre peut se faire de manière la plus transparente possible ? », indique le secrétaire général.

Plus encore, la Haute Autorité veut continuer d'insuffler d'une manière générale une « culture déontologique » aux élus et aux responsables publics, comme elle le fait depuis sa création :

« Il faut que les ministres et les responsables publics qui sont désignés aient sur eux une exigence supplémentaire, c’est-à-dire, malgré les apparences d'une légalité qui ne m'expose pas car je suis “clean”, suis-je d’un point de vue déontologique en mesure de faire face à d'éventuelles tempêtes ? », précise Jean-Louis Nadal.


Guillaume Valette-Valla, photo HATVP

Guillaume Valette-Valla, photo HATVP

Guillaume Valette-Valla, un ancien de Sciences Po Paris, devenu magistrat, est le secrétaire général de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. « Sciences po Paris m’a offert une formation généraliste de haut niveau en sciences sociales (histoire, économie, droit, science politique, sociologie) indispensable pour lire le monde contemporain. Cela m’a été particulièrement utile pour comprendre les enjeux et défis d’un responsable public qui doit d’animer une Autorité, nouvelle et exposée, intervenant dans le champ du politique. Quelle meilleure formation que Sciences Po Paris pour appréhender la question de la régulation du lobbying, de la transparence de la vie publique ou de la prévention des conflits d’intérêts ? »

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