Correspondance politique - Une campagne au climat si délétère...
Cette semaine, notre plume de gauche, John Palacin, répond à Erwan Le Noan qui, dans sa dernière lettre, qualifiait Benoît Hamon de candidat de la « fin du travail et des libertés ».
Cher Erwan,
Je doute que lorsque nous avons commencé ces échanges nous aurions pensé que cette campagne présidentielle serait aussi imprévisible et aussi incertaine. Que le climat serait aussi délétère.
Parfaitement dans l’air du temps, vous vous êtes lancé dans une longue série de jugements définitifs et d’insinuations sur le prétendu « islamo-gauchisme » de Benoit Hamon, sur la laïcité, les discriminations, sur l’Islam, les Juifs, la Palestine et les manipulations électorales de la gauche. Grosses ficelles. Je regrette vraiment ces facilités. Il existe bien sûr un problème de communautarisme en France : mon ami Julien Landfried a écrit sur le sujet il y a bien des années déjà. De même, le racisme est une triste réalité sociale contre laquelle il faut lutter, et la droite s’illustre parfois dans ce domaine (« le bruit et l’odeur », les « Auvergnats », etc.) mais il ne faut se laisser aller à trop de facilité, je veux croire qu’il s’agit d’une minorité. Pour votre part, vous procédez par glissements contestables (les militants pro-palestinien sont des antisémites qui font le jeu des islamistes qui votent pour les socialistes qui cherchent à les amadouer. Allez hop, à l’échafaud médiatique !) vous allez loin mais vous ne pouvez pas, sans prêter à rire, penser démontrer que Benoit Hamon cautionne l’oppression des femmes. Allons, allons… Ne tombez pas dans les travers de l’époque : mépris pour la vérité, approximations, dérision et caricature permanente, un cas particulier devient une généralité et la vérité n’est qu’un cas particulier de discours. Ne montez pas les choses en épingle pour vous offrir un contre-feu facile, ne cédez pas à l’hystérie de l’instant. Le complotisme se nourrit de telles tensions, de telles facilités et de telles confusions.
Dans l’affaire Meklat, les tweets incriminés sont inacceptables et doivent être condamnés par tous. Il ne faut ni transiger ni excuser. Mais l’embrasement du débat a fini par opposer ceux qui, au prétexte de lutter contre l’islamophobie, deviennent aveugles à la compromission et pensent devoir encore justifier l’injustifiable, et ceux qui, voulant laver plus blanc que blanc, les grands procureurs de la laïcité, dénoncent la compromission généralisée et des complots secrets. L’honnêteté et la rigueur voudraient que l’on ne se résigne pas au simplisme ou à la caricature. Refuser la culture de l’excuse et promouvoir la responsabilité est louable, nécessaire. Mais nous ne pouvons renoncer à comprendre les causes. Tony Blair avait dit « Tough on crime, tough on the causes of crime. » Voilà l’équilibre. Comprendre et agir de façon ferme et juste. Chacun, chaque individu doit assumer ses responsabilités : dans l’affaire Théo L., si violence il y a eu de la part d’un représentant des forces de l’ordre, elle doit être sanctionnée (laissons la justice faire preuve de sévérité s’il y a lieu) mais de même, rien ne peut excuser les insultes faites au travail et aux sacrifices de ces mêmes forces de l’ordre prises dans leur ensemble. Le débat en est venu au point où il faudrait que s’opposent ceux qui exigent que la justice pour Théo L. et ceux qui défendent le travail des policiers. Mais enfin, qu’est devenu le débat public pour que l’on en vienne à de telles caricatures ?
Ni excuse, ni simplisme. Aucune compromission et aucune caricature. Fermeté et justice. Equilibre et lucidité. Vous évoquez la laïcité : la loi de 1905 est une loi de protection et d’équilibre qui prohibe l’intrusion du religieux dans la sphère publique tout autant que l’intrusion du politique dans la liberté de culte. Il me semble que nous pouvons nous en tenir là. Depuis que les attentats ont été perpétrés, la République et ses plus hauts responsables, des hommes de gauche, ont été à la hauteur ; ils ont maintenu cet équilibre. Intransigeants sur l’antisémitisme, refusant toute stigmatisation des musulmans sur notre territoire, soucieux de l’unité nationale, ils ont tenu l’équilibre républicain : je crois que nous devrions nous en réjouir.
Je voudrais en revenir à la réalité économique et sociale du pays. Vous trouvez ironique que la désignation de Benoit Hamon dans une campagne dont l’enjeu est le travail. Pourquoi donc ? Il s’intéresse à la réalité du travail, (la réalité du travail, monsieur Fillon, vous entendez ?), à ses évolutions contemporaines, à ses dérives comme le burn out (Monsieur Fillon, la définition de ce terme se trouve ici ). Hamon ne prédit pas la fin du travail : il promeut le revenu universel comme l’accompagnement du déclin du salariat qui n’est pas le travail. Vous confondez peut-être le travail et ses formes sociales (l’esclavage, le servage, le salariat, etc.). Tout ceci est chez Marx qui fait précisément ce même reproche à Adam Smith (tout est bien expliqué ici si cela vous intéresse dans l’article de François Vatin « Marx et le travail : acte créateur et instrument d’aliénation »).
Puisque j’évoque la vérité du travail, je ne m’étendrai pas sur l’affaire Fillon : en effet, la justice s’est saisie de l’affaire et le cœur de l’électorat de droite serre les rangs malgré la gêne. L’affaire n’est pas juridique, ou pas seulement, elle touche à ce que George Orwell désignait pas la common decency : il y a des choses qui se font et d’autres qui ne se font pas. Or, en l’espèce, c’est l’avidité extrême qui peut choquer : payer une jeune femme et un jeune homme plus de 3500 € au sortir de leurs études au moment où le Gouvernement proposait de payer les jeunes en dessous du SMIC (NB : le salaire médian doit aujourd’hui s’élever à un peu plus de 1770 € par mois). Et Madame. Et les indemnités de licenciement. Etc. Quelques mois après, la chocolatine à 15 centimes d’euros de Jean-François Copé, cela fait beaucoup. Comment peut-on avoir un rapport aussi distancié à la réalité ? Sur le plan de la décence l’affaire est entendue. Laissons la justice faire son travail.
Parallèlement aux reproches faits à Benoit Hamon sur son approche du travail, vous exprimez votre rêve d’une société libérale débarrassée de l’Etat (cette obsession ne vous quitte jamais) où s’épanouiraient enfin les particules élémentaires, les individus poursuivant leur existence faite de hasards et d’heureuses rencontres enrichissantes, d’opportunités et d’aventures. Une société où la prise de risque est heureuse : vous reprochez à la gauche de vouloir des protections, des assurances et d’abolir le hasard, de gâcher votre rêve. Qui peut penser que le hasard et le risque ne peut revêtir que des réalités heureuses ? L’histoire séculaire des sociétés humaines n’est qu’un lent progrès pour protéger l’existence humaine des risques et des dangers. Vous voulez des fluctuations ! Il ne peut pas s’agir des fluctuations des petites retraites. Vous voulez du hasard ? Il ne s’agit pas du hasard de cette poutrelle qui a glissé sur un chantier et qui vous a broyé la jambe. Personne ne peut abolir le hasard et les aléas de la vie. La gauche souhaite limiter les événements malheureux et offrir à chacun les moyens de la pursuit of happiness comme le dit si joliment la Constitution américaine. Le mieux que nous ayons trouvé s’appelle la Sécurité sociale (elle protège et garantit la subsistance, vous voulez la détruire). Seuls ceux qui ne sont jamais malades se plaignent de payer une assurance maladie.
Au fond, vous exprimez au grand jour, une vision absolument idéologique peu originale, rabâchée depuis des décennies au mépris de la réalité, l’idéologie du libéralisme total. La mondialisation idéologique sans frein creuse les inégalités, déchire les sociétés et les territoires. Le néolibéralisme a déjà fait tant de mal. Et en ces temps de trouble, plutôt que de lois justes ou de réglementation, vous rêvez de la disparition de l’Etat et de l’anomie. Vous craignez que l’Etat ne contraigne vos libertés. Vous en faites même des cauchemars. Mais qu’est-ce que la gauche française a bien pu faire à votre liberté pour que vous soyez ainsi focalisé sur ce point ? Allons… Vous craignez « un Etat qui récence, qui vérifie, qui surveille ». Mais alors, voulez-vous plus ou moins de police et de militaires après les attentats ? Vous pensez aux contrôles d’identité et aux patrouilles de nos soldats dans les lieux publics pour nous protéger j’imagine. Longtemps la droite française a dénoncé l’idéologie d’une partie de la gauche et défendu le sens des réalités : il semble qu’aujourd’hui, l’aveuglement idéologique et le déni de réalité ait changé de camp.
PS : dernière nouvelle, François Bayrou soutiendrait Emmanuel Macron. Voilà quelqu’un qui surprend (Macron, pas Bayrou). Moins de 40 ans, christique, affranchi. Sans programme. Soutenu par Alain Minc. Quel romanesque ! Je serais curieux de savoir comment vous voyez ce phénomène depuis l’autre rive. Avez-vous vu ce détournement d’une affiche de Jean Lecanuet publiée sur Cpolitic ? Avouez, vous aussi elle vous a fait sourire.