Analyse - La présidentielle de 2017 : une élection par défaut ?
L'élection présidentielle se présente sous le signe de l'indécision et de la fragilité de l'électorat. Luc Rouban, directeur de recherches CNRS au CEVIPOF, considère même la présidentielle 2017 comme une élection par défaut. Il détaille sa thèse, chiffres à l'appui, dans un article initialement publié sur le site The Conversation.
La question du renouvellement du personnel politique et du débat démocratique constitue l’un des points d’ancrage de la campagne de l’élection présidentielle de 2017. Mais au-delà des rengaines sur le « renouveau » venant souvent d’un personnel politique professionnalisé, il faut bien reconnaître que le marché électoral s’est déréglé. Tout se passe comme si l’offre politique ne correspondait plus à la demande des électeurs dont on ne sait plus trop comment prévoir le choix.
En effet, celui-ci peut soit résulter d’un compromis entre plusieurs policy mix plus ou moins insatisfaisants (le vote pour le « moins pire »), soit d’un calcul stratégique pour le second tour, soit enfin et plus simplement d’un moment aléatoire de prise de décision dans l’isoloir. On n’est donc pas à l’abri d’un « coup de cœur » de dernière minute voire d’un « pourquoi pas ? », ou plus simplement d’une résignation sceptique – ce qui pourrait finalement réduire la démocratie à peu de choses.
La vague 12 bis de l'enquête électorale française du Cevipof (réalisée du 31 mars au 4 avril 2017) nous apprend que 43 % environ des électeurs sont encore indécis alors qu’ils sont également 80 % à s’intéresser à l’élection (qui a dit que les Français n’en ont « plus rien à faire » ?) Mais cette enquête montre également que le vote va souvent s’organiser par défaut et que la conviction ne joue que pour quelques candidats.
Le vote par défaut touche surtout Emmanuel Macron
La vague 12 bis de notre enquête pose la question de savoir si le choix du candidat mentionné par l’enquêté se fera par adhésion ou par défaut. Le résultat moyen est que 56 % des enquêtés vont voter par adhésion alors que 44 % vont le faire par défaut. La distribution de cette moyenne change cependant assez fortement d’un candidat à l’autre (tableau 1).
Tableau 1 : le vote d’adhésion ou par défaut selon les candidats ( %)
En fait, seuls Jean‑Luc Mélenchon, Benoît Hamon, François Fillon et, dans une moindre mesure, Marine Le Pen attirent à eux une majorité d’électeurs qui votent par adhésion à leur programme. Tous les autres ont des électorats fragiles qui considèrent que leur candidat est un second choix par rapport à un idéal qu’ils n’ont pu trouver. Le cas le plus visible est celui d’Emmanuel Macron qui attire 57 % d’intentions de vote par défaut alors même qu’il se trouve en tête des intentions de vote.
Les électeurs par défaut s’intéressent à l’élection présidentielle (notes de 7 à 10 sur une échelle de 0 à 10) à hauteur de 76 % contre 89 % des électeurs par adhésion. Leur choix n’est pas stabilisé, ce qui explique que 61 % d’entre eux disent pouvoir encore changer d’avis alors que c’est seulement le cas de 24 % des électeurs par adhésion. Mais cela veut dire également que 39 % des électeurs par défaut estiment avoir fait un choix définitif et donc que 17 % des 14 000 enquêtés constituent un électorat frustré ayant finalement choisi un candidat qui ne lui convient pas vraiment.
Les électorats potentiels les plus solides sont à droite
En croisant les deux questions, on a donc quatre groupes de comportements électoraux : l’adhésion définitive, l’adhésion incertaine, le défaut définitif et le défaut incertain. L’adhésion définitive est évidemment la marque d’une solidité politique puisque les électeurs soutiennent vraiment leur candidat et n’ont pas d’états d’âme qui pourraient jouer lors des législatives. Cependant, la proportion de chacun de ces groupes n’est pas la même d’un candidat à l’autre et révèle un paysage politique caché.
C’est à droite et à l’extrême-droite que la proportion d’électeurs à la fois adhérents et certains de leur choix est la plus importante : 56 % des électeurs potentiels de François Fillon et 51 % des électeurs potentiels de Marine Le Pen. Vient ensuite, mais loin derrière, l’électorat potentiel de Jean‑Luc Mélenchon mais avec 43 % d’adhérents fermes dans leur choix. C’est ici que l’on trouve les trois noyaux durs de l’électorat.
Pour les autres candidats, les sables sont bien plus mouvants. Emmanuel Macron ne réunit que 33 % d’électeurs adhérents et dont le choix est définitif, alors que 36 % d’entre eux sont à la fois des électeurs par défaut et incertains de leur choix. C’est bien lui qui dispose de l’électorat le plus instable parmi les « grands candidats ».
Tableau 2 : la solidité des électorats par candidat ( %)
Quels seraient, alors, les autres choix de ceux qui affirment voter par défaut et ne pas être certains de leur choix ? Cette question permet de dresser la carte des rivaux immédiats de chaque candidat, en se limitant ici aux principaux d’entre eux.
L’électorat incertain de Jean‑Luc Mélenchon choisirait le vote blanc, nul ou l’abstention (BNA) à hauteur de 26 %, Benoît Hamon également à 26 % et Emmanuel Macron à 24 %. L’électorat incertain de Benoît Hamon irait en priorité vers Jean‑Luc Mélenchon à 38 %, vers Emmanuel Macron à 34 % et vers le BNA à 16 %. L’électorat incertain d’Emmanuel Macron irait vers Benoît Hamon à 24 %, vers le BNA à 22 %, vers Jean‑Luc Mélenchon à 20 % et vers François Fillon à 19 %.
L’électorat incertain de François Fillon irait vers Emmanuel Macron à 43 %, à 20 % vers Marine Le Pen, à 19 % vers le BNA et à 11 % vers Nicolas Dupont-Aignan. Quant à l’électorat incertain de Marine Le Pen, il irait à 24 % vers Emmanuel Macron, à 22 % vers le BNA, à 16 % vers François Fillon et à 16 % également pour Jean‑Luc Mélenchon, enfin à 12 % vers Nicolas Dupont-Aignan.
La solidité des votes tient à l’âge, au genre et à la religion
Les différences entre les électorats les plus solides et les moins solides de chaque candidat ne jouent pas ou peu sur le terrain socioprofessionnel ou le niveau de patrimoine. En revanche, et de manière très régulière, trois facteurs différencient les deux groupes : les jeunes, les femmes, les catholiques sont toujours les variables les plus discriminantes.
Chez Jean‑Luc Mélenchon, la proportion de moins de 35 ans est de 28 % chez ses électeurs adhérents et certains contre 37 % chez ses électeurs par défaut et incertains. La proportion de femmes est de 47 % dans le premier groupe contre 52 % dans le second et la proportion de catholiques passe de 34 % à 44 %.
Chez Benoît Hamon, les moins de 35 ans composent 27 % du premier groupe et 35 % du second, les femmes 58 % contre 63 %, les catholiques 37 % contre 42 %. Chez Emmanuel Macron, les électeurs du premier groupe ont moins de 35 ans à hauteur de 23 % contre 33 % dans le second, sont des femmes à 46 % contre 58 % et des catholiques à 53 % contre 58 %.
Chez François Fillon, les électeurs du premier groupe ont moins de 35 ans à concurrence de 11 % contre 24 %, sont des femmes à 54 % contre 60 % et des catholiques à 84 % contre 73 %. Chez Marine Le Pen, ces différences perdurent mais sont moins accentuées : pas d’influence de l’âge mais 46 % de femmes dans le premier groupe contre 48 % dans le second et 63 % de catholiques contre 67 %.
Au total, la fragilité des électorats renvoie à la fragmentation d’une « démocratie de l’entre-soi », peu ouverte aux jeunes, aux femmes, voyant ressurgir les effets centrifuges des communautés religieuses.
Même si les électeurs deviennent stratèges, il demeure que la présidentielle 2017 aura bien confirmé la dislocation de l’espace politique français.