L'infiltré - Seul au volant
À dix jours du premier tour, les sondages indiquent clairement un resserrement des positions des principaux candidats. Ils ne sont plus que quatre à pouvoir réellement prétendre au second tour.
C'est comme si cette élection devait se jouer jusqu'au bout sur un fil, dans la fameuse marge d'erreur que les instituts de sondage prennent soin désormais de rappeler à chaque fois, échaudés par leurs erreurs répétitives (et pour le coup pas marginales) lors du Brexit ou de l'élection de Trump. La taille du mouchoir de poche étant de l'ordre de 3%, autant dire que tous les quatre peuvent se qualifier.
Seul Benoit Hamon semble définitivement sorti du jeu, miné par les défections successives de son camp.Les dernières en date, celles d'Arnaud Montebourg et de Ségolène Royal, après la trahison de Manuel Valls, ont montré que, même au sein de ce qu'on pourrait appeler la gauche du Parti, sa campagne ne prend pas.
Lors d'un déplacement en Saône-et-Loire sur le sujet du nucléaire, Arnaud Montebourg lui a quasi-publiquement signifié son désaccord. Sans un adieu et sans un je-t'aime, les deux hommes se sont séparés sur un parking au Creusot et le chantre du Made in France, grand défenseur de l'industrie lourde, est remonté seul sur Paris. Drôle d'endroit pour une séparation.
En voiture, il a envoyé au candidat un SMS de rupture définitive : "Tu as mis par terre vingt années de travail politique pour permettre une transition énergétique en douceur. Décidément, tu aurais dû faire mouvement après la primaire plutôt que de t'enfermer dans une campagne sans espoir". Le coup était rude.
Quant à Ségolène Royal, fidèle à son habitude qui consiste, depuis 2007, à rendre au Parti socialiste les marques de déloyauté dont elle a souffert pendant sa propre campagne, elle a pris tout le monde à revers en proclamant qu'il fallait "faire de preuve de passion en politique" et que Jean-Luc Mélenchon, lui, en avait pour la France. Et vlan !
Mais, la véritable angoisse des grands chefs à plume de la rue de Solferino, ce n'est pas que leur candidat finisse en dessous de 10%, c'est que Benoit Hamon jette l'éponge. Ce serait pour eux l'assurance d'une défaite cuisante aux législatives dans les circonscriptions qu'ils se sont réservés.
Et puis, surtout ils ont fait leur compte : si la campagne s'arrêtait maintenant, impossible de se faire rembourser les dépenses déjà engagées. On parle de 15 millions d'euros. Pire que la faillite politique, ce serait la faillite financière. Ce sera donc le prix de la disparition de la gauche au second tour.
Car, même si la dynamique bolivarienne de Jean-Luc Mélenchon semble forte en ces dernières semaines de campagne, ses réserves de voix sont sans doute déjà attribuées.
La gauche, avec sa cohorte de candidats petits ou grands et la voiture balai du post-hollandisme que constitue le mouvement En Marche !, a une offre suffisamment diverse pour avoir déjà contenté ses supporters.
Il faudra tout le génie des communicants cachés derrière Jean-Luc Mélenchon pour rythmer sa dernière semaine de campagne. En tout cas, c'est le seul qui aura pleinement profité des débats à la télévision, les trois autres candidats principaux ayant, à la vérité, passé plutôt de sales quart d'heures.
La favorite, Marine Le Pen, a réussi l'exploit d'inverser toute seule la courbe de ses intentions de vote, grâce sans doute à la multiplication des affaires qui concernent le FN et qui mettent à jour, au fur et à mesure des révélations, un véritable système de financement politique. Son récent dérapage sur la responsabilité de la France lors de la rafle du Vel d'Hiv a fait le reste.
À bien y regarder il ne semble pas que sa campagne soit un modèle du genre. C'est aussi ce qu'on s'était dit après les régionales dans le Nord-Pas-de-Calais.
Le jeune prodige Emmanuel Macron a, quant à lui, étrangement embourbé sa voiture de course à l'approche du sprint final et semble dangereusement patiner depuis quelques jours. Il s'épuise dans des meetings aux quatre coins de la France (on annonce quatre meetings le même jour, jeudi prochain) sans toujours parvenir à faire entendre ses propositions.
S'il est élu président, on n'est sûr que d'une chose c'est qu'il supprimera la taxe d'habitation. Ça ne suffira pas pour tenir cinq ans.
Mais, évidemment, le plus cabossé reste encore François Fillon. Son bolide des 24 heures du Mans ressemble de plus en plus à une vieille guimbarde entièrement désossée. S'il passe la ligne d'arrivée, il est probable qu'il n'aille pas plus loin : empêché par le spectre des affaires qui ne cessera de le poursuivre (qu'il le veuille ou non), attendu au tournant par une gauche qui lui fera payer à chaque réforme le prix de sa victoire et surtout privé de l'assistance professionnelle de Pénélope qui ne pourra, elle, bénéficier de l'immunité présidentielle.
Le rejet dont il fait l'objet, notamment chez les électeurs âgés de province attachés aux valeurs et qui se réuniront dimanche autour de l'agneau pascal entouré de ses traditionnels haricots de saison, ne l'empêche pas de continuer à espérer. Il est lui aussi dans la marge d'erreur et il disposerait, selon les sondeurs, d'un vote caché.
Parlons plutôt d'une réserve de voix qui s'ignore. On ne sait jamais tellement ce qu'il se passe dans l'isoloir. Ce qui est sûr c'est qu'il était largement au-dessus des 30% après sa désignation à la primaire. Ces électeurs-là existent encore et font sans doute partie de ceux, très nombreux, qui se disent indécis.
S'ils empruntent le chemin de la miséricorde ou s'ils se pincent le nez suffisamment fort, Fillon a ses chances. On a vu de plus spectaculaires résurrections.
Joyeuses Pâques à tous !