L'infiltré - Un gouvernement de droite et peut-être de gauche
"On ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment". La maxime bien connue du Cardinal de Retz servait de viatique à Francois Mitterrand. Emmanuel Macron aurait dû s'en souvenir.
À trop vouloir dire, on s'enferme. À trop vouloir être clair, on s'expose.
"Je ne gouvernerai pas avec ceux qui ont gouverné". Cette phrase, prononcée jeudi soir sur France 2 par Emmanuel Macron, risque de lui poser plus de problèmes à l'avenir qu'elle ne lui apporte de solutions aujourd'hui.
Lui qui reste volontairement flou sur tant d'autres points, il a posé des conditions particulièrement claires à la formation de son futur gouvernement qui risque du coup de tourner au casse-tête.
D'abord donc, pas d'anciens ministres. Il aurait dû ajouter : surtout s'ils sont de gauche et encore moins s'ils ont été membres des gouvernements de François Hollande. L'hypothèse Le Drian, un temps évoqué pour Matignon, semble révolue. L'intéressé en a plein les Rangers. Il veut rentrer au port de Lorient.
En toute fin d'émission, Emmanuel Macron a reconnu qu'il pourrait y avoir quelques exceptions. "Deux ou trois pas plus".
On songe naturellement à Jean-Paul Delevoye, ancien ministre de Jacques Chirac, dont le travail à la tête de la commission d'investiture d'En marche ! a été encensé par le patron. Lui qui a été dans ses dernières fonctions médiateur de la République pourrait aisément devenir Garde des sceaux.
On pense également bien sur à François Bayrou qui ne pourrait être intéressé que par un poste prestigieux. Dans ce cas, ce seraient les Affaires étrangères sinon rien.
Pour l'économie, le nom de Renaud Dutreil revient avec insistance. Il est vrai que tout le monde a oublié qu'il a été ministre de Jacques Chirac.
Autre règle imposée : pas de casier judiciaire. C'est bien le moins que l'on puisse faire pour retrouver dignité et exemplarité en ces temps troublés. Mais, mine de rien, ça exclut du monde !
Selon Emmanuel Macron, son premier gouvernement comportera 15 membres dont la moitié sera issue de la société civile. L'autre moitié sera composée de "politiques". Emmanuel Macron a, pour préciser sa pensée, parlé de grands élus locaux, maire ou présidents de région. On imagine dans ce cas qu'ils devront être autant de droite que de gauche.
Pour les grand maires, Gérard Collomb a le privilège de l'antériorité. Il a soutenu Emmanuel Macron avant que lui-même sache qu'il allait être candidat. On pourrait lui confier la réforme de l'Etat, histoire de tester la capacité de résistance des fonctionnaires au changement...
Du temps de Georges Frêche et compte tenu du caractère légèrement soupe au lait de son maire, la ville de Montpellier n'a jamais été récompensée au niveau national à la hauteur de son rayonnement méridional. On dit que Philippe Saurel, qui a expérimenté le ni droite ni gauche depuis 2014, rêverait de monter à Paris...
Concernant les "grands" présidents de région (on suppose qu'en employant cette expression Emmanuel Macron voulait parler des présidents de région de droite...), il est encore trop tôt pour en parler. Cela dépend d'une éventuelle recomposition politique post-présidentielle.
On notera cependant que le candidat d'En marche ! a rencontré Christian Estrosi samedi dernier avant son meeting à Marseille et que Jean-Paul Delevoye a été chargé de le revoir secrètement cette semaine dans un café du XVème arrondissement. Ça cause, ça cause...
Autre président élu avec des voix de gauche contre le FN, et même contre Marine Le Pen herself, Xavier Bertrand qui s'est fait aussi silencieux que possible depuis quelques mois. Impossible de savoir s'il a encore le 06 de François Fillon. Et puis Emmanuel Macron est d'Amiens... alors forcément ça crée des liens....
En évoquant ces hypothèses audacieuses, on touche du doigt la difficulté dans laquelle Emmanuel Macron risque de se trouver s'il est élu.
Une grande partie de la droite, persuadée désormais de la défaite de François Fillon mais archi-prête au combat pour les législatives, rêve d'une cohabitation.
Pour tuer dans l'œuf cette perspective et couper l'herbe sous le pied de tous ces quinquagénaires de droite qui espèrent être le chef de fil des Républicains pour les législatives, qu'ils se nomment Baroin, Wauquiez ou Le Maire, il lui faudra impérativement choisir une personnalité de droite pour être Premier ministre.
Il a dit espérer pouvoir nommer une femme. Quitte à froisser définitivement la gauche qui risque de toute façon de se retrouver légèrement éparpillée après l'élection présidentielle..., il pourrait choisir alors Laurence Parisot qui l'a rejoint il y a quelques temps déjà. L'ancienne patronne des patrons a du sens politique, plus en tout cas que Pierre Gattaz, du punch, du métier et de la notoriété.
Et puis gouverner aujourd'hui c'est surtout suivre les sondages. La présidente d'Ifop qu'elle a été le sait mieux que personne. Elle a donc de sérieux atouts.
Il faudra bien quand même quelques personnalités politiques de gauche pour intégrer ce premier gouvernement Macron.
Richard Ferrand, député socialiste du Finistère, devrait logiquement en être pour récompenser son engagement du premier jour et pour adresser un signe de reconnaissance à la Bretagne qui s'apprête à porter en triomphe le soft power macroniste.
Autre engagé de la première heure, le porte-parole du candidat, Benjamin Griveaux, pourrait occuper bien des postes, lui qui a été élu local en Bourgogne, collaborateur de Marisol Touraine à la Santé et membre d'un grand groupe du CAC 40.
On l'imagine par exemple succédant à son ancien ami Matthias Fekl, comme lui biberonné au strauss-kahnisme mais devenu depuis ministre du commerce extérieur puis de l'intérieur et surtout porte-étendard de l'anti-macronisme de gauche. La passation de pouvoirs s'annoncerait glaciale.
À moins que le choix pour la place Beauvau ne se porte sur un homme de la maison. La présence de l'ancien patron du Raid Jean-Michel Fauvergue aux côtés du candidat
est un indice qui ne trompe pas, comme on dit dans la police.
Emmanuel Macron a même dit qu'il souhaitait nommer si possible un médecin à la santé et un agriculteur à l'agriculture. On n'aura pas la cruauté de lui rappeler les exemples fameux d'échecs politiques de ces ministres qu'on disait spécialistes. Mais c'est vrai, j'oubliais, la politique ne doit plus être une profession.
Dans ce cas, je propose de nommer un jeune romancier à la Culture. Lui au moins devrait savoir qui est Modiano... Il s'appelle Quentin Lafay et vient de publier chez Gallimard un roman intitulé "La place forte". C'est l'histoire d'un ministre qui démissionne au bout de six jours pour s'opposer à la sortie de la France de l'Union européenne. Toute ressemblance etc...
Parmi les personnes remerciées, un certain "Emmanuel M." De qui peut-il bien s'agir ?
Enfin, reste le plus gros ministère et sans doute le plus sensible quand on veut réformer la France : l'Education nationale. Il faut une personne de confiance, si possible une enseignante et je ne vois qu'un nom : Brigitte Trogneux.
Car, parmi toutes les règles édictées, Emmanuel Macron n'a pas retenu l'interdiction des emplois familiaux au gouvernement.