"Pourquoi j'ai décidé d'arrêter la politique"

"Pourquoi j'ai décidé d'arrêter la politique"

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En 2012, ils étaient sur tous les fronts… aux côtés de François Hollande, pour la campagne présidentielle, et dès son entrée à l’Élysée, sur le terrain de leur circonscription pour se faire élire pour la première fois à l’Assemblée nationale. Au total, il y a cinq ans, ce sont 133 primo-députés socialistes qui ont ainsi fait leur entrée dans l’hémicycle. En 2017, au moins une trentaine d’entre eux ont décidé de ne pas se représenter. Un seul mandat, et puis s’en va. La règle du non-cumul y est sans doute pour beaucoup. Dorénavant, il faut choisir : un exécutif local ou un mandat de parlementaire. Mais les départs les plus étonnants sont ceux de jeunes députés qui ont décidé de tout arrêter, c’est-à-dire de quitter purement et simplement la politique. Parmi eux, deux élus socialistes, Laurent Grandguillaume, 38 ans et Émeric Bréhier, 45 ans. Nous les avons rencontrés, pour les interroger sur ce choix surprenant : pourquoi s’arrêter après un seul mandat, surtout quand cette élection venait récompenser plusieurs années de militantisme et d’engagement où rien n’importait vraiment plus que la politique ?

Propos recueillis par Anne-Sophie Beauvais (promo 2001)

Laurent Grandguillaume, député socialiste de Côte d'Or, élu en 2012

Laurent Grandguillaume, député socialiste de Côte d'Or, élu en 2012

Émeric Bréhier, député socialiste de Seine-et-Marne, élu en 2012 

Émeric Bréhier, député socialiste de Seine-et-Marne, élu en 2012 

C’était maintenant ou jamais

Laurent Grandguillaume comme Émeric Bréhier ont en commun d’avoir consacré, jusque-là, l’essentiel de leur vie à la politique. La politique est un parcours du combattant, reconnaît le premier : « Il faut montrer patte blanche pour y entrer, on vous fait passer ensuite un brevet du bon militant, il faut 10 ans environ pour cela, et une fois que vous avez passé toutes les étapes, que vous êtes entré dans le moule, vient le parcours d’élu. » Un parcours qui demande des sacrifices : impensable de mener une vie professionnelle normale avec des mandats électifs. Celui de député exige plus 40 heures par semaine, nous dit Émeric Bréhier… et lorsque vous avez deux enfants, comme lui, « vous avez envie de passer du temps avec eux, c’est tout bête ! » La quarantaine n’y est sans doute pas pour rien non plus. Nos deux députés le reconnaissent, s’ils ne changent pas de vie maintenant, ils auront le sentiment de ne plus pouvoir le faire après. Émeric Bréhier le dit sans ambages : « Si tu ne le fais pas à 45 ans, tu es mort ! Si j’étais reparti pour un mandat, à 50 ans, c’était fini ! Tu ne te réinventes pas une vie professionnelle à cet âge-là ! »

Arrêter, pour faire quoi après ? 

Se réinventer une vie professionnelle, c’est précisément ce qu’il faut faire lorsqu’on a mis sa carrière entre parenthèses pendant dix ou quinze ans, et que l’on n’est pas, comme le souligne Émeric Brehier, fonctionnaire, avocat ou médecin. Aucun des deux ex-parlementaires ne semble vraiment inquiet pour la suite. Laurent Grandguillaume a pris le temps de réfléchir à ce qu’il voulait faire, a fait un bilan de compétences, et a repris des études (un executive master au CELSA) : « Je tourne une page, j’en écris une autre. Ce n’est pas un enterrement. » Quant à Émeric Brehier, il n’a rien voulu demander au Premier ministre ou au président de la République, alors même qu’il a laissé au parti socialiste une belle circonscription, plutôt acquise à la gauche (lui-même a été élu en 2012 avec plus de 60 % des voix), et dans laquelle se présente aujourd’hui une des anciennes ministres du gouvernement de Manuel Valls, Juliette Méadel. Docteur en science politique, Émeric Brehier songe à l’enseignement : « Ça ne ferait pas de mal aux étudiants d’avoir dans leurs cours de droit ou de science politique des profs qui ne font pas que de la théorie, mais qui apportent aussi du vécu. »

Quant à la perspective de retrouver, en entreprise, un vrai patron et une hiérarchie… Laurent Grandguillaume en sourit : « La Ve République, c’est un peu une démocratie brutale ; les pouvoirs sont malgré tout aussi déséquilibrés… »

Un départ qui n’a rien à voir avec la politique de François Hollande

La question est vite évacuée, par l’un comme par l’autre : ils sont fiers, tous les deux, de cette mandature et de leur travail de parlementaire. Émeric Bréhier est direct : « Je n’ai pas de déception sur la politique menée, je ne me suis jamais bouché le nez pour voter un texte, même celui relatif à la déchéance de la nationalité ! » Ils n’ont donc pas de regret… si ce n’est, quand même, pour Laurent Grandguillaume d’être passé, au Parti socialiste, « d’un débat sur les idéaux à un débat sur les ego ».

Le non-cumul des mandats : une réforme inachevée

Dès qu’ils ont été élus députés, avant même que la loi sur le non-cumul soit votée, Laurent Grandguillaume et Émeric Bréhier avaient abandonné leur mandat local respectif. Pour eux, cette loi a fait du bien à la politique. « Avec le cumul, on retrouvait toujours les mêmes partout ! Mais il faut aller plus loin », pour Laurent Granguillaume, « vers le non-cumul dans le temps ». Ce dernier propose en effet deux mandats consécutifs, pas plus. Quant à Émeric Brehier, il souligne qu’il y a un impensé dans la loi du non-cumul : « Les moyens affectés aux parlementaires sont insuffisants pour faire correctement son travail ; je ne parle pas de l’indemnité du député, mais des moyens dédiés aux collaborateurs. Lorsque vous n’êtes plus en position d’exécutif, vos seuls collaborateurs sont vos deux ou trois assistants parlementaires ; et puisque vous n’avez justement plus de mandat local, vous allez avoir tendance à renforcer votre ancrage dans votre circonscription en les y envoyant, affaiblissant ainsi le soutien dont vous avez besoin pour mener à bien votre travail parlementaire. » Et autre problème soulevé par Émeric Brehier : l’organisation même du travail à l’Assemblée. Pour lui, cela n’a aucun sens de couper sa semaine en deux : au Parlement, du mardi au jeudi, pour le travail en commission et les séances de questions au gouvernement, et dans sa circonscription du vendredi au lundi. L’ancien député prend l’exemple de l’Allemagne, qui a mis en place une alternance hebdomadaire : une semaine au Parlement, et une semaine en circonscription.

Le statut de l’élu : inutile pour les parlementaires !

La question du statut de l’élu est réapparue dans cette campagne présidentielle, notamment avec François Fillon qui, dans le cadre de sa conférence de presse du 6 février sur le Penelopegate, s'est prononcé pour sa création, afin d’encadrer l'exercice du mandat parlementaire. Cette idée n'est pas nouvelle… mais ni Laurent Granguillaume ni Émeric Brehier n’y souscrive. Pour ce dernier, c’est surtout à l’élu local qu’il faudrait s’intéresser et mieux protéger : « Un maire qui exerce son mandat pendant 20 ans ne cumule que très peu de points de retraite ; et quand vous êtes adjoint au maire, vous touchez au mieux 1 100€ d’indemnité, alors que vous sacrifiez forcément une partie importante de votre travail pour répondre à toutes vos obligations d’élu. » Laurent Grandguillaume insiste lui sur la seule nécessité à ses yeux qui consiste, pour les élus, à mieux penser et accompagner la transition entre leurs mandats électifs et leur retour dans le monde du travail. Il cite l’exemple du groupe Michelin qui s’est engagé à réintégrer dans l’entreprise, à un poste équivalent, tout salarié qui aurait occupé un mandat d’élu. L’ancien député souligne aussi que l’Assemblée nationale ne propose aucun accompagnement spécifique pour un parlementaire qui aurait décidé de ne pas se représenter ou qui serait tout simplement battu.

À quoi ressemblera le Parlement dans dix ans ?

« Il y aura la parité, pas de cumul de mandat, ni en nombre ni dans le temps, un parlement plus fort, qui évaluera mieux le gouvernement et les politiques publiques, plus ouvert (avec de l’open data) et qui bénéficiera d’une coconstruction des lois avec la société civile… » voilà la promesse de Laurent Grandguillaume.

Le prisme déformant des médias

Contrairement à certains de leurs collègues, ces deux parlementaires socialistes n’ont pas couru derrière les médias pendant leur législature. Émeric Bréhier assume cela : « Je n’aime pas les médias. Le travail de fond ne les intéresse pas. Ils ne s’intéressent qu’aux petites phrases assassines. Parler du fond, ça les oblige à bosser. Envoyer à un journaliste un rapport parlementaire, ça l’ennuie. En revanche, une phrase qui va dézinguer le président de la République, il saute dessus… » Sur l’usage des réseaux sociaux en politique, Émeric Bréhier est tout aussi catégorique : « Une idée en 140 caractères, je n’ai jamais vu ça ! »

La politique n’est pas une tour d’ivoire, au contraire…

Émeric Bréhier aime la politique, il le dit ainsi. Et quand on lui demande pourquoi, sa réponse est presque inattendue : « Contrairement à l’image d’Épinal, la politique ne vous enferme pas, c’est même l’engagement par excellence qui vous permet de sortir de votre milieu social. Sans la politique, je n’aurais jamais pu faire toutes ces rencontres d’hommes et de femmes si différents ! » Reste à savoir si la politique est un métier… puisqu’après tout, elle semble exclure toute autre vie professionnelle. Laurent Grandguillaume est catégorique : « Être élu est un engagement et non pas métier ! La preuve, je ne quitte pas la politique. Je vais continuer à en faire, au sens de défendre des idées. »

Propos recueillis par Anne-Sophie Beauvais (promo 2001)

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