Jean Leonetti : "En matière de bioéthique, ce n'est pas la famille politique qui détermine notre vision des choses."
Le 25 septembre dernier, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a publié son avis sur la révision de la loi de bioéthique, se déclarant en faveur de la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes les femmes et des recherches sur l’embryon. Il réclame également le développement des soins palliatifs. Le projet de révision par le gouvernement de la loi de bioéthique est, quant à lui, attendu fin novembre. Une loi que Jean Leonetti connaît bien. Le vice-président des Républicains en a été le rapporteur lors de sa première révision, en 2011. Il livre à Émile son regard sur les évolutions de la bioéthique et les débats que cela soulève dans la société.
Propos recueillis par Anne-Sophie Beauvais, Maïna Marjany et Victoria David
La loi de bioéthique s’apprête à être révisée pour la deuxième fois. Pourquoi est-il nécessaire de réexaminer ce texte tous les cinq ans ?
La bioéthique doit être la source d’un débat régulier, car elle est constamment remise en cause. D’abord parce que les découvertes techniques nous poussent à nous poser la question de ce qu’il est souhaitable de faire, là où avant, nous nous demandions ce qu’il était possible de faire. Pour la première fois, tout ce qui est scientifiquement ou techniquement possible n’est pas humainement souhaitable. Aujourd’hui, on peut connaître son génome, sa carte génétique, et donc connaître ses chances de développer un cancer du sein ou de la prostate. Est-ce dans mon intérêt de le savoir ? À titre individuel, peut-être, mais pas forcément à titre collectif : il se peut qu’une assurance privée finisse par multiplier les montants de ses cotisations en fonction du risque de développer telle ou telle pathologie… Pire, ces nouvelles informations pourraient fausser notre vision de la réalité. L’infarctus du myocarde est, par exemple, moins déclenché par des facteurs génétiques que par des facteurs environnementaux.
L’autre remise en cause de la bioéthique vient de la société. C’est le cas de l’euthanasie. « On sait donner la mort depuis longtemps, mais se pose aujourd’hui la question d’un droit, d’une créance que je peux réclamer à la société. »
La fin de vie s’inscrit-elle dans les lois bioéthiques ?
C’est un sujet éthique, pas réellement bioéthique, puisqu’il n’y a pas eu d’avancée majeure de la science qui provoque une remise en question de la fin de vie. Mais, au fond, aujourd’hui, la demande de mort vient du triomphe de la médecine, capable de prolonger la vie, sans toujours le faire dans de bonnes conditions. De nouvelles questions se posent et nous ramènent à notre relation avec la vie et la mort, qui est différente de celle du siècle dernier. Est-ce que je dois arrêter l’acharnement thérapeutique ? À quoi me sert de m’être battu pour la vie si c’est une vie purement biologique et végétative ? Il y a 30 ans, des situations comme celles de Vincent Humbert ou Vincent Lambert n’existaient pas. Aujourd’hui, nous pouvons faire vivre des gens inconscients pendant des années.
Vous évoquez souvent un conflit de valeurs pour parler de la bioéthique…
J’aime bien l’envisager sous l’angle d’un conflit de valeurs, car il permet d’éviter de mettre les gentils d’un côté et les méchants de l’autre, les progressistes face aux moralisateurs. Nous devons sans cesse arbitrer entre deux valeurs, entre l’éthique d’autonomie et celle de vulnérabilité. L’éthique d’autonomie, c’est le fait qu’un individu dise « je », le fait qu’il dise « c’est mon corps, c’est mon choix, c’est ma vie ». L’éthique de vulnérabilité, elle, dit : « Nous te protégeons malgré toi. » C’est, par exemple, le Samu social devant un sans-abri qui refuse qu’on lui vienne en aide : doit-il le laisser dans le froid, alors qu’il risque de mourir, ou l’emmener de force ?
Les États généraux de la bioéthique se sont terminés en juin dernier. En 2009, vous aviez piloté une première consultation publique en vue de la révision des lois de bioéthique de 2011. Quel bilan tirez-vous de ces exercices en prise avec les citoyens ?
Ce sont des expériences modératrices, qui montrent l’utilité d’établir un triangle décisionnel entre le politique, les experts et le peuple. Car les gens parlent de ces sujets naturellement, cela touche à leur intimité. Les interroger, c’est aussi un moyen de confronter les experts aux interrogations de la population afin de faire avancer le débat. J’ai aussi beaucoup appris des missions d’information que nous avions organisées pour les parlementaires. La Chaîne Parlementaire avait même diffusé ces auditions, notamment celles d’Axel Kahn sur la vulnérabilité ou encore celle du philosophe André Comte-Sponville sur le droit à la mort, qui avaient fait des scores d’audience très élevés, preuve que ces sujets intéressent les citoyens. Cette année, j’ai l’impression que cela a été fait quelque peu a minima, peut-être trop rapidement. C’est une consultation qui nécessite beaucoup de temps. Nous avions mis un an et demi à l’organiser.
Ce processus de consultation a-t-il bousculé votre vision sur certains sujets ?
En tant que médecin, je croyais connaître la mort. Je me suis finalement rendu compte que je ne connaissais que la mort médicale, car le soignant a ce détachement qui lui permet de survivre. C’est la première mission sur la fin de vie, en 2005, qui m’a bousculé, comme la trentaine de députés que comptait la mission. Nous avions tous, au départ, des opinions, presque des certitudes, différentes. Au fil du débat, ces certitudes individuelles se sont effritées au profit d’un doute collectif. Chacun s’est remis en question, a dépassé sa vision personnelle, pour nous permettre de trouver les bonnes solutions. À la fin, l’opposition a accepté non seulement que nous écrivions une loi plutôt qu’un rapport, mais elle m’a expliqué qu’elle souhaitait la cosigner. Je crois que si toutes les lois étaient faites sur ce modèle, nous cesserions d’avancer sans réfléchir, et il n’y aurait plus de lois intempestives détruites immédiatement après par l’opposition devenue majoritaire.
Ces lois bioéthiques ne reposent donc pas sur un clivage droite-gauche ?
Absolument pas. En matière de bioéthique, le clivage est très différent des clivages traditionnels, car nos certitudes sont personnelles. Notre vision de la mort est liée à notre éducation, mais surtout à la mort intime, à celle de personnes que nous avons aimées. Soit cette épreuve s’est relativement « bien passée », et on pense alors qu’il ne faut rien faire de plus ; soit on a accompagné jusqu’au bout un parent qui a beaucoup souffert, et on estime alors qu’il aurait mieux valu qu’il meure avant.
Ce n’est pas la famille politique qui détermine notre vision des choses. Les lois bioéthiques ont été votées chapitre par chapitre, tantôt avec une majorité de droite et une minorité de gauche, tantôt avec l’inverse. Elles n’ont jamais été votées bloc contre bloc, et heureusement.
Vous évoquiez le fait que 80 à 90 % de personnes sont contre la PMA et la GPA, selon les résultats de la consultation citoyenne. C’est une opinion que vous partagez ?
Effectivement, je suis contre. La médecine s’adresse aux vulnérables ; elle sert à soigner les malades, pas à répondre à tous les désirs. La maladie est imposée, le désir est infini, et la médecine ne pourra jamais combler tous nos désirs. Ensuite, il s’agit de faire naître un enfant sans père. Il y a bien sûr des enfants qui vivent sans père, mais ils savent qu’ils en ont un. Certes, des enfants nés de PMA peuvent trouver un repère masculin ailleurs dans la famille. Toujours est-il qu’ils partent avec ce handicap.
Et puis, il y a l’effet domino. Depuis l’adoption du Pacs, les gouvernements ont systématiquement promis qu’ils n’iraient pas plus loin. Finalement, il y a eu le mariage, la filiation, et maintenant la procréation médicalement assistée pour toutes, qui constitue la porte ouverte à la GPA, car ces réformes sont adoptées au nom du principe d’égalité. Pourquoi un couple de femmes n’aurait-il pas le même « droit à un enfant » qu’un couple hétérosexuel ? Pourquoi, alors, deux hommes n’auraient pas le même droit que deux femmes ? Nous entrons à ce moment-là dans la GPA, qui pose davantage de problèmes.
Enfin, dernier point, les enfants issus de PMA ont tendance à chercher le donneur de sperme. Cela va à l’encontre de mes convictions. Je crois que nous sommes des produits de l’amour et du savoir qui nous sont transmis, pas des produits génétiques. Nos parents, notre famille, nos amis nous construisent, nous tirons notre humanité de l’autre. En France, l’éducatif prime sur le biologique. Or, la recherche du donneur va entraîner la fin du don anonyme et gratuit. Au Danemark, il est possible d’acheter du sperme en choisissant les caractéristiques du donneur, en disant : « Je veux que mon enfant soit brillant comme Mozart, Nadal, Mbappé, etc. » C’est une erreur qui se transforme en utopie décevante. Il ne deviendra pas Nadal parce que le donneur de sperme est un joueur de tennis classé.
La bioéthique est un domaine où les lobbies sont puissants, et les débats houleux. Pensez-vous avoir été influencé ?
J’ai été accusé sur les réseaux sociaux d’être à la fois un tueur en série et un tortionnaire de vieillards agonisants. Il y a toujours des oppositions et des lobbies. Mais nous faisons la loi pour tous, et non pas pour chacun. Plus nous entrons dans le détail, plus les situations individuelles apparaissent. La fin de vie d’un homme de 90 ans atteint d’un cancer avec métastases ne se pose pas dans les mêmes termes que celle d’un enfant que l’on ne réanime pas, car il est atteint d’une grave malformation. Pourtant, la loi est universelle. Essayons donc de légiférer sur les droits fondamentaux, plutôt que de répondre à chaque cas particulier, car nous n’y arriverons pas. Il est cependant nécessaire d’écrire des lois souples permettant aux hommes qui les appliquent de les interpréter humainement et, à ce moment-là, effectivement, en fonction de l’individu.
Pendant la campagne présidentielle, François Fillon avait déclaré qu’il était opposé à l’IVG, mais qu’il ne le remettrait pas en cause s’il était élu. Avez-vous, de votre côté, ressenti cette tension entre vos convictions personnelles et ce que l’on attendait de vous en tant que législateur ?
Pasteur disait : « Quand je rentre dans mon laboratoire, je suspends ma foi au portemanteau. » Le législateur peut avoir des convictions religieuses, mais il doit s’en extraire pour écrire une loi universelle et normative qui s’applique à tous. Il faut se dire que les normes que l’on s’applique à soi-même, on ne peut pas les imposer aux autres. C’est d’ailleurs le principe fondateur de la laïcité. Par ailleurs, plus un homme politique a de responsabilités, moins il doit livrer ses états d’âme. Un ministre parle au nom de la France, au nom d’un gouvernement, pas en son nom personnel. La parole doit être haute et rare. Elle doit l’être d’autant plus qu’aujourd’hui, les phrases sont décortiquées, redites, coupées. Dans l’information moderne, il faut dire le minimum de choses en touchant le maximum de gens. La bioéthique est un sujet complexe qui ne s’inscrit absolument pas dans ce cadre.
Vous êtes médecin de campagne de profession. Sur les bancs de l’Assemblée, votre profil semble peu à peu disparaître au profit de celui du jeune entrepreneur…
L’élection d’Emmanuel Macron et les législatives qui ont suivi ont été un séisme pour l’organisation politique en France. Pour autant, dans ma génération, il y a certes des personnes tombées dans la politique très jeunes, mais il y en a aussi qui se sont engagées beaucoup plus tard. Les deux cas de figure ont toujours existé. J’ai commencé à œuvrer localement en politique à l’âge de 45 ans. J’ai été médecin des hôpitaux, chef de service et élu local avant de faire de la politique à l’échelle nationale. Je viens donc de la société civile. Et lorsqu’un jeune chef d’entreprise est élu député En Marche, il n’est plus simplement membre de la société civile, il fait de la politique. En tout cas, je pense qu’il vaut mieux avoir eu une vie avant la politique, et si possible, une vie après.
Aujourd’hui vice-président des Républicains, vous avez connu l’UMP lorsqu’elle était une grande famille unie. L’évolution récente de la droite et du centre ne vous rend-elle pas malheureux ?
Dans la vie, ce qui est passionnant, ce sont les débuts. Quand nous avons créé l’UMP, il y avait des centristes, des libéraux, des gaullistes. En échangeant, nous nous rendions compte que nous nous retrouvions sur de nombreux sujets. Les gaullistes étaient moins anti-européens, conquis à la décentralisation, les centristes avaient compris les enjeux majeurs que représentaient l’autorité de l’État et la sécurité. Il y avait donc une vraie convergence qui rendait ce moment passionnant.
Puis le système a généré autre chose. Je crois que l’union se fait dans la diversité, c’est d’ailleurs la devise de l’Europe. Laurent Wauquiez sait très bien que je ne suis pas toujours sur la même ligne que lui, que je n’utilise pas les mêmes mots. Ne peut-on pas être complémentaires, élargir le spectre ? Ce matin, on m’a dit : « Dans le temps, on pensait tous pareil. » Lorsqu’il y avait Charles Pasqua et Simone Veil côte à côte, était-ce tout pareil ? Vous imaginez Simone Veil prononcer les phrases de Charles Pasqua et inversement ? Nous acceptions l’idée qu’il y ait des gens différents, des options philosophiques et politiques différentes. Nous travaillions tous dans le cadre de l’intérêt général.
C’est pour cela que je reste dans ma famille politique. Je me sens libre de dire ce que j’ai envie de dire. Je suis loyal, mais je dis mes désaccords. Il y a de nombreux sujets sur lesquels nous ne sommes pas en accord, sur l’Europe par exemple. On se le dit. On ne se précipite pas sur une radio de grande écoute pour critiquer ceux qui ne pensent pas comme nous. Je n’ai, par exemple, jamais dit du mal de Nicolas Sarkozy malgré les débats parfois vifs que nous avons pu vivre. Je pense qu’il me sait gré de lui avoir dit ce que je pensais, et je lui suis reconnaissant de pas m’en avoir tenu rigueur. La politique, c’est mieux comme ça.