Analyse - La loi sur l’immigration et l’asile voulue par Emmanuel Macron
Catherine Wihtol de Wenden (Promo 86) est directrice de recherche au CNRS (CERI) et docteur d'État en science politique. Spécialiste des migrations internationales, elle a été consultante auprès de l'OCDE, du Conseil de l'Europe, de la Commission Européenne et "expert externe" auprès du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés. Pour Émile, elle livre son analyse sur le très controversé projet de loi sur l'asile et l'immigration présenté par le Gouvernement cette semaine.
Le projet de loi venu en discussion en cette fin février 2018 sur l’immigration et l’asile constitue l’une des énièmes modifications de l’ordonnance sur l’immigration de 1945. En effet, si aucune loi n’avait été adoptée sur le sujet entre 1945 et 1980, les années qui ont suivi, jusqu'à aujourd'hui; se sont caractérisées par une frénésie législative qui n’a pas cessé. Tout nouveau gouvernement cherche à modifier le paysage législatif sur cette question depuis que l’extrême droite en a fait son thème fétiche, et a, peu à peu, imposée son prêt-à-penser dans la plupart des pays européens. Cette législation est avant tout faite pour rassurer l’opinion publique, inquiète par la lente progression de l’immigration en Europe, par les attaques terroristes et par le sentiment qu’il faut une loi de plus pour tout remettre à plat. Certes, le Président de la République n’a pas cherché dans sa campagne électorale, ni dans les mois qui ont suivi, comme l’avaient fait certains de ses prédécesseurs, à gagner des voix à l’extrême droite ni à céder au populisme en la matière. Il se présente comme un humaniste respectueux du droit d’asile et soucieux de maîtriser l’immigration. Il a assuré en novembre 2017, citant Michel Rocard, que « la France ne pouvait pas accueillir toute la misère du monde mais que chacun devait prendre sa part ».
Le projet de loi est donc binaire, comme certains analysent les positions du Président dont la formule « et en même temps » a fait florès. Il s’agit d’améliorer l’accueil des demandeurs d’asile et d’être ferme à l’égard du contrôle de l’immigration, ce qui correspond d’ailleurs aux sondages : si l’opinion française est favorable aux réfugiés pour plus de la moitié des sondés, en revanche elle est hostile à l’immigration. Cette dichotomie est d’autant plus surprenante que les réfugiés sont des migrants, parmi d’autres et qu’il est aujourd’hui de plus en plus difficile de « faire le tri » entre les demandeurs d’asile, et notamment entre ceux qui correspondent au profil individuel du persécuté aux termes de la Convention de Genève, et ceux qui, tout en cherchant à entrer pour le travail, ne sont parfois pas infondés à demander l’asile compte tenu de la situation de crise de leur pays d’origine.
Des points positifs sont ainsi à l’actif du projet de loi pour l’accueil des réfugiés dans un contexte d’amélioration de leur traitement depuis plus de deux ans : un traitement plus rapide de la demande avec un taux de reconnaissance du statut de réfugié qui a atteint les 40% parmi les demandeurs, une reconnaissance qui se fait davantage en première instance qu’après recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), une réduction des délais pour la demande, qui doit être traitée en six mois (contre onze en moyenne actuellement), une réduction de l’attente pour le dépôt de la demande à 90 jours au lieu de 120 actuellement, un délai de recours réduit à deux semaine pour engager un recours devant la CNDA, contre un mois aujourd’hui (ce qui inquiète les associations), afin d’éviter les camps de fortune, dans le contexte d’une amélioration déjà engagée des capacités d’accueil dans les centres pour demandeurs d’asile.
A l’inverse et « en même temps », les modalités de rétention ont été durcies pour expulser les sans papiers : une durée maximale de rétention étendue administrative pour les personnes expulsées passant à 90 jours afin de laisser le temps de négocier avec les pays d’origine souvent rétifs à reconnaître les expulsés comme leurs nationaux, avec un prolongement possible de 45 jours si l’étranger fait obstacle à son éloignement du territoire. Rappelons que certaines catégories d’étrangers ne peuvent faire l’objet d’une telle mesure : s’ils sont mineurs (en vertu de la Convention de 1989 sur les droits de l’enfant), s’ils sont atteints d’une maladie grave ne pouvant être soignée dans la région d’origine où ils doivent être reconduits, s’ils viennent d’un pays et d’une région en guerre en vertu de la Convention de Genève et, parfois, en raison de liens familiaux. Le texte prévoit aussi une durée de retenue en garde à vue de 24 heures pour les étrangers dont on demande à vérifier l’identité, avec trois ans d’interdiction du territoire pour ceux qui refuseraient les vérifications d’identité. Le fait d’entrer en France illégalement sans traverser par un poste-frontière est puni de 3 750 euros et d’une peine de prison d’un an (ces contrôles aux frontières ayant été prolongés à cause de l’état d’urgence jusqu’au 30 avril 2018). L’utilisation d’une fausse pièce d’identité est passible de 5 ans de prison au lieu d’un an aujourd’hui.
En revanche, un titre de séjour de 4 ans sera délivré aux apatrides et bénéficiaires de la protection subsidiaire quand ils n’entrent pas dans les critères de la Convention de Genève. Les étudiants étrangers pourront bénéficier d’une carte « recherche d’emploi » ou « créateurs d’entreprise » en prolongeant après leurs études leur séjour en France afin d’attirer des diplômés et des qualifiés et améliorer le rayonnement culturel et linguistique de la France pour qu’elle reste attractive dans la compétition que se livrent les pays développés pour attirer les compétences et talents. Un accompagnent renforcé des étrangers est destiné à mieux intégrer les nouveaux venus : cours de langue accrus ( de 400 à 600 heures de français), avec autorisation de travail des demandeurs d’asile au bout de 6 mois après le dépôt de leur dossier alors qu’ils s’étaient vus interdits de travailler depuis 1991 par crainte de l’effet d’appel qui, pensait-on était entretenu par l’accès au travail pour les demandeurs. Un rapport sur l'intégration du député Aurélien Taché prévoit en outre d’associer davantage la société civile à l’accueil des réfugiés pour ceux qui les hébergent chez eux à raison de 5 euros par nuit de crédit d’impôt.
En attendant l'examen de cette loi par le Parlement, les milieux associatifs, mais aussi certains députés de la La République en Marche, ont exprimé leur inquiétude face au rôle prépondérant du Ministère de l’Intérieur dans la gestion de l’immigration et à une gestion de l’immigration qui se réduirait à sa dimension sécuritaire.