Olivier Véran : "Aucun pays ne peut se targuer d’être à l’abri d’une fièvre populiste."

Olivier Véran : "Aucun pays ne peut se targuer d’être à l’abri d’une fièvre populiste."

Neurologue de formation, Olivier Véran est l’un des rescapés de la « génération Hollande ». Aujourd’hui député La République en marche, il est le rapporteur de la loi sur les mesures d’urgence économiques et sociales, dite « loi gilets jaunes ». Pour Émile, l’élu isérois analyse la crise que traverse la France et les difficultés auxquelles sont confrontés l’exécutif et la majorité parlementaire.

Propos recueillis par Laurence Bekk-Day et Sandra Elouarghi
Photos : Elisabetta Lamanuzzi

Olivier Véran. Crédits photo : Elisabetta Lamanuzzi

Olivier Véran. Crédits photo : Elisabetta Lamanuzzi


En tant que député, avez-vous vu venir la crise des « gilets jaunes » ?

Je me doutais qu’il allait y avoir un catalyseur à un moment donné, qui allait donner lieu à une crise sociale importante. Je ne pensais pas que ce serait la taxe carbone qui allait mettre le feu aux poudres, parce qu’on était dans le cadre de la transition énergétique. De mon point de vue, la crise aurait pu arriver à n’importe quel moment, car de nombreux électeurs ne se reconnaissent plus aujourd’hui dans la parole des politiques. Quand on ne peut plus s’investir via les partis traditionnels, quand les corps intermédiaires sont au plus bas avec un taux de syndicalisme qui est très faible en France, les gens ne s’identifient plus à une catégorie politique ou syndicale qui peut porter leur voix, et ils vont eux-mêmes la porter. Mon inquiétude est la suivante : où cela va-t-il nous mener ? Quand on regarde l’histoire de la France, de Boulanger à Poujade, ou ce qui se passe autour de nous, avec l’Italie de Giuseppe Conte ou le Brésil de Jair Bolsonaro, nous n’allons pas aujourd’hui vers plus de démocratie et plus de social.

« Les gens ne s’identifient plus à une catégorie politique ou syndicale qui peut porter leur voix, et ils vont eux-mêmes la porter. »
— Olivier Véran

Pensez-vous que le président Macron a mal géré la crise des « gilets jaunes » ?

J’ai énormément de mal à parler des « gilets jaunes » comme d’un tout homogène, parce que je crois que s’il y avait une structuration politique du mouvement, nous aurions au moins autant de partis politiques différents que ceux qui existent aujourd’hui. Au-delà de l’absence d’homogénéisation sur le plan des idées, lorsque le président Macron est face à une problématique sociale ou sociétale, je pense qu’il a une démarche assez Sciences Po : se référer à la fois à l’histoire du pays et à la sociologie pour ensuite décliner son raisonnement. Je l’avais suivi durant sa campagne présidentielle, et je ne l’ai jamais vu se dire : « L’opinion est là » ou « les Français vont penser ça. » Pour lui, le mouvement des « gilets jaunes » tient moins à la nature du mouvement en lui-même qu’à l’explosion sociale qui couvait et qui trouve ses fondements dans bien des origines.

Peut-on espérer une sortie de crise par le haut grâce au grand débat national voulu par le président ? Ou sommes-nous face à un mal plus profond, que le politique ne saura pas résoudre ?

Je crois au débat. Pourtant, au début, j’étais dubitatif, mais j’ai été réellement étonné par l’engouement dans les territoires. Il y a une vraie appétence des gens pour aller débattre et discuter. Je suis certain que nous aurons des centaines de milliers, voire des millions de personnes qui y participeront. La question est plutôt de savoir ce que l’on en tire, comment on l’exploite, non pas avec une visée politicienne, mais pour faire émerger quelque chose.

Olivier Véran © Elisabetta Lamanuzzi

« La crise s’est produite durant la présidence d’Emmanuel Macron, mais elle aurait pu se produire avec n’importe quel président. »

— Olivier Véran

Crédits photo : Elisabetta Lamanuzzi

Il est certain que le mal est beaucoup plus profond : la crise s’est produite durant la présidence d’Emmanuel Macron, mais elle aurait pu se produire avec n’importe quel président. Certains théoriseront que c’est la fin des transcendances. Quand les oppositions disent que le problème est l’ISF, c’est une négation totale de ce qui est en train de se passer dans le pays ! Quand une autorité, quelle qu’elle soit, affirme quelque chose, vous avez maintenant systématiquement une partie non négligeable de la population qui va la remettre en question. Ce n’est pas uniquement cantonné au politique : regardez l’effondrement du syndicalisme, les critiques adressées aux médias, aux scientifiques ! C’est une défiance que je trouve assez inquiétante. Vous avez aujourd’hui dans la rue des gens qui ne trouvent pas leur place dans la société, qui estiment que toutes les solutions ont été essayées et qui sont pour la destruction de ce qu’on peut connaître aujourd’hui, quitte à ce qu’on ne sache pas ce qu’il y a derrière.

Les « gilets jaunes » ne se reconnaissent plus dans les représentants qui sont censés défendre leurs intérêts à l’Assemblée nationale, qu’ils considèrent comme des notables différents d’eux. Que répondez-vous à cette déconnexion qui vous est reprochée ?

J’en parlais avec un collègue, qui est élu depuis un an ; il est agriculteur à la retraite, et il touche 780 euros par mois. On ne peut pas dire qu’il roule sur l’or, puisqu’il est plus pauvre que la majorité des gens de sa circonscription qui manifestent. Lui aussi a été soumis à la vindicte populaire ! C’est vrai que le dernier ouvrier à l’Assemblée nationale, cela date des années 1990. Mais tout de même, en 2017, c’est la première fois qu’on a rajeuni, qu’on a féminisé et qu’on a diversifié les profils sociaux. Prenez Jean-Baptiste Moreau, député de la Creuse. Il est agriculteur ; quand il rentre chez lui le week-end, il s’occupe de ses vaches, il fait naître ses veaux lui-même !

Et parmi ceux qui font partie de l’ « élite », regardez Hervé Berville, qui a été élu dans les Côtes-d’Armor : oui, il a fait Stanford, oui, c’est un économiste de l’Agence française de développement, mais il est né au Rwanda, il a fui les massacres durant le génocide, et il est arrivé en France en tant que réfugié !

« Aucun pays ne peut se targuer d’avoir une stabilité politique et d’être à l’abri d’une fièvre populiste. »
— Olivier Véran

Alors ne serait-ce pas la démocratie représentative elle-même qui serait en question ?

Mais quel est le régime qui, aujourd’hui, rapporterait de la confiance, qui restaurerait de l’apaisement ? Une constituante ? Je demande à voir ce que cela va donner quand on va aborder des sujets bien précis, des sujets qui fâchent. Regardez la situation en Allemagne, au Danemark, où l’extrême droite progresse : cette poussée est synchrone dans des pays qui n’ont pourtant rien à voir. Aucun pays ne peut se targuer d’avoir une stabilité politique et d’être à l’abri d’une fièvre populiste.

Olivier Véran. Crédits photo : Elisabetta Lamanuzzi

Olivier Véran. Crédits photo : Elisabetta Lamanuzzi

L’un des déclencheurs de la crise est le faible niveau de revenus d’une grande partie de la population. Faut-il envisager un nouveau Grenelle des salaires ?

La lutte contre les inégalités sociales, c’est le paramètre qui me parle le plus, de par mes origines politiques et mes actions. J’étais rapporteur de la loi sur les mesures d’urgence. J’ai dit que je trouvais dommage qu’on augmente la prime d’activité et qu’elle ne concerne pas les temps partiels, par exemple. Il faut que nous ayons des gestes forts envers les gens qui n’arrivent pas à s’en sortir. ●



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