Les maires, ces élus au plus près des crises
Mouvement des Gilets jaunes, Grand débat national, malaise des élus… L’année qui vient de s’écouler a mis à mal la politique de cohésion des territoires du gouvernement. À l’approche des élections municipales, Émile a souhaité rencontrer ceux qui font vivre, au quotidien, la démocratie locale de notre pays. Pour ouvrir ce grand dossier consacré aux enjeux du scrutin de mars 2020, nous avons réuni les maires de quatre petites et moyennes communes, tous passés par Sciences Po, pour confronter leurs regards sur les nouveaux défis auxquels ils font face.
Propos recueillis par Sandra Elouarghi, Maïna Marjany et Nicolas Scheffer
Photos : Manuel Braun
Comment résumeriez-vous vos principales missions de maire ?
Vincent Chauvet, maire d’Autun : Sans faire la promotion du gouvernement, je dirais que le nom de la loi « Engagement et proximité » résume bien notre travail. On est à 100 % sur le terrain et proches des préoccupations des administrés. Et pour répondre concrètement sur le cœur de mon mandat, je dirais que la question du stationnement est centrale dans ma mission de maire… J’ai dû doubler les effectifs de la police municipale !
Hélène de Comarmond, maire de Cachan : L’important, c’est la vie quotidienne des habitants, la cohésion sociale et territoriale, et puis l’écologie, au plus près de nos concitoyens. On a aussi pour rôle de traduire au niveau local les grands engagements nationaux et d’assurer les services publics de proximité. Finalement, on est dans l’interaction permanente entre les problèmes du quotidien et les grandes questions de société. On passe de problématiques de stationnement à celle du logement des familles modestes… être maire, c’est changer la vie au plus près des réalités des habitants.
Rémy Dick, maire de Florange : Il y a aussi les compétences régaliennes qui incombent à la mairie par la loi et une partie purement administrative avec la gestion de l’état civil. Le maire doit gérer la question de la cohésion de son territoire : le stationnement, l’urbanisme, le développement et la dynamisation de la commune. Et puis il y a tous les tracas du quotidien des gens ! Ils viennent voir le maire à sa permanence pour tout un tas de sujets et on ne peut pas leur dire « ce n’est pas mon affaire ». Notre travail est de les accompagner, de les rediriger au bon endroit.
Valérie Palmer, maire de Dampierre-en-Yvelines : Dans ma petite commune, je dirais que mon rôle est un peu différent. Je dois surtout la faire évoluer, la moderniser tout en conservant son identité rurale. Je dois réussir à maintenir les commerces de proximité et les services en général, développer la ville tout en préservant son patrimoine environnemental et bâti. Le maire doit avoir une vision stratégique, dialoguer avec différents acteurs et être sur le terrain, aller parfois ranger une salle par manque de personnel…
Bios express
Vincent Chauvet : Il se définit comme un « maire geek ». C’est surtout un élu surdiplômé (licence d’Histoire à Paris IV, Sciences Po, HEC, après une prépa à Louis-Le-Grand) issu du monde des start-up. Il prend la direction d’Autun (Saône-et-Loire) en 2017. Encore étudiant, il s’était fait remarquer en 2010 en poursuivant le gouvernement devant le Conseil d’État pour faire appliquer la loi sur le CV anonyme dont les décrets d’application n’avaient toujours pas été publiés huit ans plus tard. En 2012, il écrit une partie du programme économique de François Bayrou. En 2014, il devient maire adjoint de la commune d’Autun, 13 000 âmes, avant de remplacer le maire Rémy Rebeyrotte, élu député LREM lors des législatives de 2017.
Hélène de Comarmond : La première femme maire de Cachan (Val-de-Marne) a des airs de pionnière, une tradition puisque sa grand-mère fut la première femme à siéger au conseil d’Ajaccio. Haut fonctionnaire, inspectrice générale de l’Agriculture et conseillère départementale du département du Val-de-Marne après en avoir été la vice-présidente, Hélène de Comarmond a eu le loisir d’observer les arcanes des décisions politiques au cours de son parcours. Elle était membre du cabinet du ministre de l’Agriculture avant de devenir, en avril 2018, maire de Cachan, ville de 31 000 habitants, aux portes de Paris. Attachée à la mise en place d’une politique participative dans sa commune, elle est également très investie sur le plan environnemental.
Valérie Palmer : Le parcours de la jeune femme est intimement lié à Sciences Po. Quelques années après un master en relations internationales, elle revient rue Saint-Guillaume pour y travailler, de 1998 à 2000, en tant que manager du département de Finance et d’études économique. Elle poursuit ensuite sa carrière dans le domaine des ressources humaines, en devenant notamment DRH chez Alcatel. Désormais consultante freelance en management, elle est également maire de Dampierre-en-Yvelines, une petite commune de 1 050 habitants. Elle a été élue par le conseil municipal à la suite de la démission, en 2018, du maire Jean-Pierre de Winter.
Rémy Dick : Il a 22 ans lorsqu’il accède à la fonction de maire de Florange (Moselle). Ce jeune militant, qui a grandi dans une famille ouvrière de gauche, a rejoint la droite par admiration pour Nicolas Sarkozy. Le conseil municipal le choisit, en 2016, pour prendre la succession de Michel Decker, qui a démissionné à la suite du douloureux dossier des hauts-fourneaux. Arrivé à Sciences Po par le biais des Conventions d’éducation prioritaires, il n’a pas encore passé son Grand oral qu’il doit déjà administrer cette ville de 12 000 habitants, entre deux cours. Il avoue avoir complètement raté son premier discours. Aujourd’hui, il est aussi à l’aise avec les finances locales qu’avec le renouvellement des candélabres.
Maire, est-ce un métier comme un autre ?
H.d.C. : Être maire, ce n’est pas un métier, c’est une fonction. On est élu pour un temps et on s’inscrit dans un processus démocratique. Un métier, c’est autre chose. Il faut être dans cet état d’esprit permanent par respect de la démocratie. Si beaucoup de maires jettent l’éponge ces derniers temps, c’est parce que ce mandat a beau être l’un des plus beaux, la charge est lourde et suppose de faire des choix parfois difficiles. Il est très compliqué d’être maire tout en conservant un métier à côté. J’ai la chance d’être fonctionnaire, donc une fois mon mandat terminé, je peux retrouver mon travail, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Il faut se demander comment faire pour que chacun puisse devenir maire, peu importe sa condition sociale et le métier qu’il exerce, cela renvoie forcément à la question du statut de l’élu.
V.C. : Ce discours de maire qui n’est pas un métier, on peut le tenir quand on est fonctionnaire. Quand on vient du privé, que l’on a été entrepreneur et qu’on démissionne pour effectuer son mandat, on n’a plus de sécurité. Je m’investis donc dans la fonction de maire à plein temps, à la manière d’un dirigeant d’une structure qui a 14 000 clients, 300 salariés, 25 millions d’euros de chiffres d’affaires. Je pense que c’est un vrai job, qui demande par conséquent un certain nombre de compétences.
Mais la rémunération d’un maire et celle d’un chef d’entreprise ne sont pas les mêmes…
V.P. : C’est un peu tabou, mais la dimension pécuniaire est problématique. En parallèle de mon mandat, j’exerce une activité censée être compatible avec mon engagement : je suis consultante en ressources humaines, à mon compte, pour de grands cabinets et j’enseigne aussi à l’université. Mais j’ai de moins en moins de temps à consacrer à mon activité professionnelle. Se pose la question de ma subsistance d’un point de vue matériel. La loi « Engagement et proximité » prévoit quelques mesures [voir l’interview de Sébastien Lecornu p. 32, NDLR] qui sont loin d’être suffisantes. Cela pousse au cumul des mandats. De nombreux petits maires demandent des missions auprès de présidents de syndicats intercommunaux pour finir les fins de mois. S’il existait un véritable statut d’élu rémunéré, cela irait mieux. En Allemagne par exemple, un élu qui arrête son exercice professionnel pour se consacrer pleinement à son mandat reçoit temporairement le statut de fonctionnaire.
R.D. : Bien sûr, la question du statut de l’élu est importante, mais dans les villes de plus de 10 000 habitants, le maire reçoit quelque 1 900 euros net par mois, cela permet de vivre confortablement. Mais c’est plus compliqué dans les communes de moins de 1 000 habitants où l’indemnité tombe à environ 1 200 euros brut, ce qui ne permet pas de vivre.
V.C. : L’élu doit pouvoir se consacrer à sa mairie à plein temps. Effectivement, si l’on a un enfant à garder alors qu’on est en réunion, cela peut coûter très cher. Les transports aussi alourdissent le budget. La loi « Engagement et proximité » répond, au moins, assez bien à ces problématiques très concrètes.
Un maire sur deux ne souhaite pas se représenter alors que 60 % des Français aimeraient que leur maire sortant soit de nouveau candidat. Comment expliquer ce paradoxe ?
V.P. : À l’heure où nous parlons, je ne sais pas encore si je vais me représenter. D’un côté, un certain nombre de projets importants pour une petite commune sont au milieu du gué et mon rôle est de les accompagner jusqu’au bout. De l’autre côté, il peut y avoir rapidement une forme d’usure tant les sacrifices professionnels et personnels sont importants. Et encore, je n’ai pas effectué un mandat complet puisque je n’ai été élue qu’il y a deux ans après la démission de mon prédécesseur qui était proche… du burn-out.
H.d.C. : La vie personnelle est totalement affectée par la fonction car on est maire tout le temps : le jour, la nuit, dans la rue, en faisant nos courses… Pour positiver, le fait qu’un maire sur deux ne se représente pas, cela permet aussi le renouvellement. C’est aussi un signe de notre temps de dire que l’on n’est pas maire toute sa vie, c’est compréhensible de faire autre chose.
V.C. : Il faut vraiment relativiser un effet de démission des maires. On se rend compte dans l’enquête du Cevipof que les chiffres sont assez similaires à ceux d’il y a six ans. Et si 60 % des citoyens souhaitent que leur maire se représente, cela s’explique très bien. Personne ne voudrait faire notre job ! C’est pour cela que les administrés nous adorent [Rires].
H.d.C. : Il y a une crise du bénévolat au sens traditionnel du terme, mais l’engagement citoyen se transforme. Il n’est plus nécessairement associatif, il peut être ponctuel, se focaliser sur une initiative ou intervenir en réaction à une décision politique. À Cachan, les citoyens sont très impliqués et ils ont par exemple porté le projet de composteurs partagés, mis en place avec un budget participatif.
V.P. : Quand on est maire d’une petite ville, on ne dispose pas de services municipaux, mais on peut mobiliser plus facilement des habitants sur des projets collectifs. À Dampierre-en-Yvelines, je pratique la « mairie ouverte » : je fais appel au volontariat, y compris pour prendre en charge des dossiers de A à Z. Et ça marche ! Même avec des personnes qui n’ont pas les mêmes idées que nous.
Les citoyens vous apprécient et pourtant, beaucoup de maires témoignent d’un manque de reconnaissance. Vous faites le même constat ?
R.D. : Quand on travaille 60 heures par semaine et qu’on se fait critiquer sur les réseaux sociaux pour une décision qui découle simplement de l’application de la loi, par exemple, c’est particulièrement usant : certains citoyens considèrent que leurs desiderata doivent être appliqués comme s’ils étaient au supermarché. Florange est proche du Luxembourg. Des habitants y travaillent et n’ont pas le temps de s’engager mais réclament toujours plus de services. Le président du Sénat, Gérard Larcher, les appelle les « citoyens-consommateurs ». C’est exactement cela.
V.C. : La crise de l’engagement se retrouve partout : dans les associations, les syndicats… Plus personne ne veut être bénévole, tout le monde veut être client ! Mais le service public, ce n’est pas quelque chose que l’on peut uberiser et où chacun est consommateur.
V.P. : Dans ma commune, ce sont surtout les néo-ruraux qui ont des exigences qui posent parfois problème. Ils viennent habiter à la campagne tout en réclamant les mêmes services qu’à la ville.
H.d.C. : Il y a une crise du bénévolat au sens traditionnel du terme, mais l’engagement citoyen se transforme. Il n’est plus nécessairement associatif, il peut être ponctuel, se focaliser sur une initiative ou intervenir en réaction à une décision politique... À Cachan, les citoyens sont très impliqués dans la vie publique.
Comment expliquer qu’à l’heure actuelle seuls 16 % des maires soient des femmes ?
H.d.C. : Comme dans de nombreux domaines, mais encore plus dans le milieu politique, dès qu’il s’agit de responsabilités de premier plan, les femmes sont confrontées à un plafond de verre. Elles sont largement minoritaires dans le paysage politique français : c’est vrai dans la représentation nationale comme dans les mandats locaux. Les femmes en politique sont souvent jugées, leurs compétences sont interrogées et elles subissent parfois même des propos sexistes. Je peux en témoigner. Et il y a aussi la question de la compatibilité de la vie politique avec la vie professionnelle et familiale. Pour entrer en politique, c’est toute la famille qui doit interroger son fonctionnement et la répartition des tâches.
V.P. : Les difficultés sont similaires à celles que rencontrent les grandes entreprises, je peux le voir avec mon ancienne casquette de DRH. Mais je pense que cela va évoluer rapidement. D’autant qu’être une femme est plutôt avantageux lorsqu’on est élue locale : cela inspire une forme de sympathie voire d’admiration, notamment d’hommes issus d’une génération où les femmes n’avaient pas leur place en politique. Dans ma petite commune, tout le monde me connaît, si je vais dans un café je croise toujours un administré pour prendre ma défense. La seule condescendance que j’ai pu rencontrer est venue plutôt de la part des hauts fonctionnaires alors que bien souvent, on vient des mêmes bancs d’école, ceux de l’amphi Boutmy !
V.C. : Il existe certainement une forme d’autocensure. Pour former ma liste pour les prochaines municipales, j’ai eu du mal à trouver de jeunes candidats ainsi que des femmes. Quand je démarche des femmes qui pourraient être pertinentes sur ma liste, elles me répondent souvent qu’elles vont demander à leur mari. Aucun homme ne m’oppose qu’il demandera l’avis de son épouse !
R.D. : Au départ, lorsque nous avons constitué notre liste, nous pensions qu’il serait compliqué de remplir l’obligation de 17 hommes et 17 femmes et finalement, contrairement à mon collègue Vincent Chauvet, on est très agréablement surpris ! Au début, il y a eu un phénomène d’autocensure chez les femmes qui ne voulaient pas trop s’engager. Puis, au fur et à mesure des ateliers et du travail de préparation, on sent qu’elles sont plus à l’aise et s’investissent davantage. En définitive, il y a même un meilleur niveau de compétence chez les femmes que je recrute que chez les hommes.
H.d.C. : Malgré l’obligation d’avoir des équipes paritaires, les têtes de liste restent le plus souvent des hommes. D’autant plus que les délégations confiées aux femmes dans les exécutifs municipaux sont plus souvent celles qui concernent les champs du social ou de la famille, alors que les finances ou l’urbanisme restent le plus souvent dévolus aux hommes. Cela suppose un changement de paradigme. Quand je vois la capacité des jeunes à réinterroger ces questions, je suis optimiste.
Pour emmener les citoyens à la politique, faut-il plus de démocratie participative ?
H.d.C : Il faut impérativement repenser la démocratie locale. Les représentants légitimes traditionnels ont toute leur place, mais ils doivent laisser la parole ouverte aux citoyens. Le plus dur, c’est de faire venir ceux qui ne se sentent pas autorisés à parler, ceux qui sont invisibles dans la vie politique et qui peuvent se retrouver notamment dans le mouvement des Gilets jaunes. Quand on s’engage dans cette démarche, il faut accepter de réinterroger les projets avec les citoyens, qui sont souvent porteurs de critiques mais aussi de solutions.
R.D. : J’ai du mal avec l’idée de la démocratie participative qui enlève du pouvoir au conseil municipal, alors qu’il est lui-même déjà constitué de citoyens. Dans les villes de taille moyenne, les élus ne sont pas forcément des notables, ce sont souvent des ouvriers, des infirmières, des employées de crèche, des instituteurs… La personne qui est dix-neuvième sur une liste et qui se déplace une fois par mois simplement pour donner son avis, c’est déjà peu. Mais si on la court-circuite au prétexte qu’une instance de démocratie participative n’est pas d’accord, à quoi bon être élu ? Un de mes prédécesseurs avait voulu faire beaucoup de votes citoyens sur ses projets, dans le cadre du mouvement lancé par Ségolène Royal dans les années 2000. Ça a fini dans de la politisation à chaque vote, qui se sont d’ailleurs en général très mal passés…
H.d.C. : Il ne faut pas opposer démocratie représentative et démocratie participative. La décision des élus n’est pas remise en question, puisqu’au final les décisions se prennent au conseil municipal. Mais développer des champs de débat, de discussion, voire de codécision avec les citoyens, cela permet de relégitimer la politique, le maire, l’équipe municipale. Par exemple, j’ai lancé un budget participatif. Les propositions qui ont été faites, nous n’y avions pas pensé nous-mêmes, elles ont apporté un vrai plus à la commune. Les habitants ont un avis d’usager, de résident d’un quartier.
Pour les municipales de 2020, le développement durable apparaît dans les sondages comme étant la première ou la deuxième préoccupation des électeurs, selon les communes. L’échelon municipal est-il le bon pour innover et mettre en place des politiques de développement durable efficaces ?
R.D. : En théorie, oui. Nous avons des armes pour agir à l’échelle communale. Par exemple, dans la révision de notre Plan local d’urbanisme (PLU) à Florange, nous travaillons sur la gestion des eaux pluviales à la parcelle. On peut ainsi exiger des promoteurs immobiliers de ne plus imperméabiliser l’ensemble des terrains pour en laisser 40 à 50 % en captation d’eau pluviale. On peut aussi agir sur l’extension des parcs publics. Mais les électeurs sont contradictoires entre leurs préoccupations quotidiennes et leur béatitude environnementale. Il y a, en réalité, plus d’intérêt pour les tracas du quotidien que pour l’environnement. Ceux qui nous demandent, pour des raisons écologiques, de changer tous les candélabres de la ville en LED sont souvent les mêmes qui nous réclament du macadam sur les espaces verts pour créer des places de parking !
V.P. : Dampierre-en-Yvelines fait partie d’un parc naturel régional, donc on baigne dans les questions environnementales avec un certain nombre de règles que l’on doit observer. Ensuite, il faut commencer par être exemplaire : faire en sorte que les bâtiments municipaux soient bien isolés, favoriser les énergies alternatives… Mais je ne pense pas que notre échelle soit la plus déterminante. Par exemple, l’un des grands sujets est l’isolation de l’habitat, or les dispositifs déployés par l’exécutif sont insuffisants ou méconnus. Et pour les communes classées au patrimoine, comme la mienne, il y a une contrainte supplémentaire. Certains habitants voudraient avoir des panneaux photovoltaïques sur leur toit, mais les Architectes des bâtiments de France, qui doivent donner leur autorisation, n’en veulent pas toujours.
R.D. : Oui ! La préservation du patrimoine n’est pas nécessairement compatible avec l’isolation des bâtiments. L’isolation intérieure est contraignante pour le particulier, donc très peu acceptée. Mais le mur d’isolation extérieure n’est pas très esthétique et les architectes le boudent…
H.d.C. : Si à l’échelle de nos villes nous disposons de leviers d’actions, le cadre global doit être structuré par les États qui ne sont pas à la hauteur de l’enjeu du réchauffement climatique. Le fait que le président de la République ne se soit pas rendu à la COP25 est un message négatif envoyé aux jeunes générations qui marchent régulièrement pour le climat.
Les arrêtés anti-pesticides pris par les maires, en particulier celui de Langouët, témoignent de ce que nous pouvons faire à notre échelle. Je les ai d’ailleurs soutenus en prenant un arrêté similaire qui a été suspendu par le tribunal administratif sur demande du préfet… preuve que les collectivités locales n’avancent pas au même rythme.
À Cachan, les municipalités successives ont pris très tôt à bras-le-corps le défi de la transition énergétique. Ainsi, la géothermie alimente en chauffage près de 70 % des foyers et des panneaux solaires sont en cours d’installation sur le toit d’une école dans le cadre d’un projet porté par une coopérative citoyenne. Nous avons la chance de voir les transports collectifs se densifier avec l’arrivée de la ligne 15 d’ici cinq ans. Nous favorisons aussi le développement de la nature en ville avec la mise en place de permis de végétaliser, le développement d’espaces verts gérés sans pesticides, le développement de l’écopâturage ou de jardins partagés… Oui, à l’échelon local, il est possible d’agir. En réalité toutes les politiques municipales devraient être pensées dans le souci de préservation de l’environnement.
Une mesure emblématique du quinquennat d’Emmanuel Macron sera la suppression de la taxe d’habitation, l’une des principales ressources des communes. Dans vos mairies respectives, comment avez-vous accueilli cette réforme ?
V.C. : Je vois beaucoup de maires qui ont besoin d’être formés à la fiscalité locale. On a eu la chance d’avoir cette formation à Sciences Po, mais beaucoup de nos collègues sont perdus. Ils ne font pas la différence entre autonomie fiscale et autonomie financière, ils ne comprennent pas les finances locales et les systèmes de péréquations extrêmement complexes ! C’est pour ça que le président veut revenir sur l’autonomie fiscale et financière avec une réforme constitutionnelle en voulant faire, comme en Allemagne, une dotation annuelle.
D’un côté, on paie aujourd’hui des consultants très cher à faire des dossiers et des demandes de subvention. De l’autre, on dépense beaucoup d’énergie à recevoir et arbitrer des demandes de subventions. Sur chaque micro-projet il y a de nombreuses strates administratives : la communauté de communes, le département, la région, parfois l’Europe, et l’État. Au total, on retrouve quatre ou cinq financeurs par projet. Le système actuel infantilise les maires. On suppose que les maires ne sont pas suffisamment matures pour choisir les investissements importants pour leur commune. Je suis favorable à ce que l’on donne aux élus une somme forfaitaire annuelle fléchée depuis l’État qu’ils ne pourraient pas dépasser et qu’on accorde une autonomie de gestion et pas une autonomie factice.
H.d.C. : Donner une enveloppe forfaitaire à un maire, ce n’est pas le responsabiliser, c’est le mettre sous tutelle ! Ce n’est pas à l’État de nous dire que notre budget doit être de tant ou de tant ! Comment d’ailleurs ? Au nombre d’habitants ? En fonction de la situation sociale ? Parce qu’il y a des jeunes ou des vieux ? C’est à nous d’avoir l’autonomie financière qui s’entend dans les recettes comme dans les dépenses, et la capacité de mettre en œuvre les politiques publiques qui nous ont valu notre élection. D’autant qu’on n’a pas tous les mêmes orientations : j’investis dans le logement social, mais tout le monde ne le fait pas.
R.D. : À chaque fois que le citoyen profite d’un service public, il doit le payer en partie et c’est normal, sinon cela aggraverait le problème du « citoyen-consommateur ». Le système fiscal d’après-guerre visait à responsabiliser les citoyens ; on le détraque par mesure électoraliste avec la suppression de la taxe d’habitation. À partir du moment où l’on vit dans un lieu, il semble normal d’y financer le service public, les trottoirs, l’accès au réseau, les candélabres… Et tout cela est payé par la taxe d’habitation. On désorganise ce système fiscal en mettant en avant l’injustice de la taxe : il y a des villes où avec un même revenu, on ne paie pas le même montant de taxe. Mais entre une ville qui investit et une qui ne le fait pas, forcement la taxe d’habitation n’est pas la même. C’est cela que le gouvernement appelle une injustice.
Cette suppression a-t-elle eu un impact sur vos budgets ? Est-elle compensée comme l’avait promis le gouvernement ?
R.D. : C’est compensé à l’euro près mais de manière totalement absurde avec un calcul très complexe qui mélange trois coefficients sur la taxe foncière. Mais il n’y a plus de logique dans la taxe. La redistribution est exactement la même que celle votée par le conseil municipal initialement, mais pas en raison des mêmes coefficients. On ne peut plus utiliser la taxe comme un moyen de mettre en place une politique cohérente.
H.d.C. : Le problème de la compensation de la taxe d’habitation, c’est qu’elle est déterminée à un instant T. Donc l’année où elle est conçue, cela ne pose pas de problème, mais cinq ans plus tard, elle ne correspond plus à la dynamique que l’on a souhaité porter pour la ville. À Cachan, j’ai un objectif de construction de 160 logements par année, ce qui mécaniquement augmente la recette fiscale sans changer le taux d’imposition. Si demain je continue de construire des logements, j’aurai un budget figé alors que la population augmente et les besoins de service public avec.
V.P. : On n’a aucune visibilité sur le lendemain, le système est figé. En revanche, je suis d’accord sur le fait que le fonctionnement actuel des subventions est malsain et inégalitaire. Cela entretient un système clientéliste : quand j’ai besoin d’argent, je prends mon bâton de pèlerin et je vais quémander auprès du président du département, du sénateur… Personnellement, je sais le faire, mais tous les maires ont-ils les moyens d’être à l’aise dans l’exercice ? Il y a un malaise dans ce système.
R.D. : Dans la région Grand Est, un amoncellement de règles a été conçu pour objectiver les subventions et finalement, les élus du conseil régional n’avaient plus aucun pouvoir. En définitive, le fonctionnaire directeur du pôle des services de la région avait plus de pouvoir que les élus ! On a eu des cas où des projets n’entraient pas exactement dans le cadre du dispositif qui permettait d’obtenir un pécule, il a fallu qu’on aille jusqu’au président de la grande région et que ça passe par des délibérations exceptionnelles dérogatoires pour obtenir des subventions. Et on a réussi à avoir gain de cause avec la volonté du président de sortir d’un cadre extrêmement contraint !
Anticipez-vous le même « dégagisme » en 2020 que celui que l’on a constaté en 2017, pendant la présidentielle et les législatives, ou bien remarquez-vous que LREM a du mal à s’implanter dans les territoires ?
R.D. : J’ai face à moi une liste LREM, j’insiste sur la confrontation [Rires]. Il y aura certainement une forme de résistance des territoires à la vague LREM, mais au profit de qui ? Dans ma région, l’enjeu est plutôt de savoir combien de villes le RN gagnera. On sera également très attentifs au sort de Paris. Mais ce n’est que le 15 et le 22 mars au soir que l’on pourra commenter les nouveaux rapports de force.
H.d.C. : Je ne suis pas certaine que la politique que l’on nous a proposée depuis 2017 soit véritablement nouvelle. Ces élections seront une occasion pour les citoyens d’interroger l’ancrage dans les territoires de candidats dont certains ne se sont jamais impliqués avant, et de donner leur avis sur l’action municipale des équipes sortantes. Elles doivent donc permettre un débat projet contre projet. Naturellement, cela renvoie à des étiquettes : je rassemble la gauche et les écologistes et mon projet porte sur les questions écologiques, la solidarité sociale, la démocratie participative… qui répondent à des revendications citoyennes. Au-delà, je considère qu’un contexte où l’on se félicite d’abolir les étiquettes partisanes conduit à un affrontement du RN contre LREM.
V.P. : Mais dans une petite commune, avoir une étiquette ne fait pas sens. Les programmes, sur le fond, ne sont pas très différents d’une liste à l’autre, les problématiques s’imposent d’elles-mêmes. J’espère, d’une manière générale qu’il n’y aura pas de dégagisme en France dans la mesure où il est nécessaire d’avoir une continuité des politiques municipales. Certains projets en cours nécessitent d’être conduits à leur terme.
R.D. : Oui, il ne faut pas trop politiser le local. L’essentiel des débats de politique à notre échelle ne sont pas véritablement politiques. Même s’il y a quelques sujets têtes d’affiche : le logement social, la sécurité, la vidéo-protection… Et encore, même les mairies communistes se mettent aujourd’hui à la vidéo-protection ou à la police municipale. Au final, le trou dans la voirie, les écoles, la gestion du service public, ce n’est ni de droite ni de gauche !