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Coup de foudre... à Sciences Po

Combien de couples se sont-ils formés sur les bancs de la Rue Saint-Guillaume ? Si aucune étude n’a été précisément réalisée sur le sujet, vous connaissez forcément des couples de Sciences Po. Peut-être même en formez-vous un… Alors, l’Institut mérite-t-il son surnom d’« école rose » ? Notre journaliste a enquêté sur l’amour au 27 et ses transformations, entre l’École d’hier et celle d’aujourd’hui, plus féminine, internationale et démocratisée.

Par Elisa Mignot

Illustration : Alice Des

« JE NE CHOISIRAI JAMAIS MON MARI À SCIENCES PO ! », S’ÉTAIT PERSUADÉE ALINE. ENTRÉE RUE SAINT-GUILLAUME EN 1994, GRÂCE À SA MENTION TRÈS BIEN AU BACCALAURÉAT, la jeune fille arrivée de Tours était une « provinciale issue de la méritocratie », fort différente du milieu qu’elle allait découvrir : « Très parisien, intellectuel, pour qui faire ces études-là était une évidence », décrit-elle. Aline avait été séduite par la palette de cours à sa disposition, mais aussi par l’absence de frais d’inscription qui lui était permise. Et puis, elle ne voulait pas être médecin comme on l’était dans sa famille. Elle se rappelle encore du discours d’accueil du directeur Alain Lancelot dans l’amphithéâtre Émile Boutmy. « Il nous racontait qu’à notre âge, il avait rencontré à tel rang du même amphi, celle qui deviendrait sa femme. Et je réalisais qu’il était là, toujours dans le même établissement, celui où il avait été formé, où il avait été professeur, où il avait rencontré son épouse. Ça posait la reproduction sociale. Que tout cela était conservateur ! Cela me faisait bouillir ! » Aline sourit avec franchise. Aujourd’hui, elle est mariée à Nicolas, ancien élève de l’Institut d’études politiques de Paris, ils ont trois enfants et vivent entre Grenoble et Chambéry. Elle codirige un orchestre tandis que lui travaille dans le secteur de l’énergie nucléaire. Leur passion commune pour la musique les a réunis dans une association sciences-piste, mais ils se sont mis en couple deux ans après l’obtention de leur diplôme. « Nous n’étions plus étudiants : je n’ai pas complètement perdu parole ! », dit-elle, non sans ironie. Sa sœur, diplômée de Sciences Po, est également mariée à un ancien et son cercle d’amis, elle le reconnaît volontiers, est issu de la même formation. « Est-ce à dire que l’on est rattrapé, malgré nous, par le mécanisme Sciences Po des couples ? », demande-t-elle faussement inquiète.

L’INSTITUT PROMÈNE DANS SON SILLAGE UNE RÉPUTATION D’« ÉCOLE DE MARIEURS », D’« ÉCOLE ROSE », ENTEND-T-ON PARFOIS. Aucune étude n’a été réalisée sur le nombre d’idylles nées sur les bancs des amphis, dans les couloirs, les allées de la bibliothèque et les cafés environnants depuis l’arrivée des femmes à Sciences Po, peu avant la Seconde Guerre mondiale, mais des couples, il y en a des centaines. Sans doute des milliers. Quelques-uns sont devenus mythiques : les Chirac, les Veil, l’ex-couple Hollande-Royal… Et la liste est loin d’être exhaustive. Faut-il y voir plus qu’une conséquence, somme toute logique, de la féminisation et de la démocratisation de toutes les études supérieures, ces soixante dernières années ? De jeunes adultes passant des années côte-à-côte à étudier, à mûrir, à partager des passions, des moments d’adversité et d’apprentissage, en médecine, en école de commerce ou bien à Sciences Po ont de fortes propensions à se mettre en couple.

L’homogamie éducative n’est pas une nouveauté. Elle aurait même tendance à régresser ces dernières années. Sur la base d’enquêtes sur l’emploi de l’Insee, Milan Bouchet-Vialat, doctorant en sociologie à Sciences Po, a observé que les Français choisissaient de moins en moins un conjoint au niveau d’étude similaire… à la seule exception des diplômés des grandes écoles qui convolent ensemble, toujours et de plus en plus ! C’est ce qu’il a nommé l’« ouverture d’ensemble » et le « repli des élites ». De là à dire, qu’hier comme aujourd’hui, l’on vient Rue Saint-Guillaume pour se trouver un « bon parti », il n’y a qu’un pas. Mais, faut-il le franchir ? « Cette petite musique est née avec le soupçon d’incompétence qui pesait sur les femmes dès leur entrée à Sciences Po, explique la sociologue Annabelle Allouch. Il faut rappeler que le premier examen d’entrée a été mis en place en 1942 pour gérer les craintes de “massification féminine”. Penser que Sciences Po était une école où les femmes cherchaient un mari est le reflet de la façon dont le système éducatif assignait alors une place inférieure aux femmes : intrinsèquement incompétentes, donc ici pour se trouver un mari. »

Christine n’est vraiment pas d’accord pour parler d’« école rose ». « C’était très sélectif et les études étaient stressantes. On travaillait énormément », raconte cette femme au regard bleu perçant. Elle n’était personnellement pas là dans l’idée de trouver un mari. Même si cela est bel et bien arrivé. Bernard est sorti de la section service public en 1962 et, après l’ENA, il a fait ce qu’on appelle une très belle carrière dans le secteur bancaire. Elle a été diplômée de Relations internationales un peu plus tard, en 1966 – elle était enceinte de leur deuxième enfant – mais ne les a jamais pratiquées : la fille de diplomate a travaillé dans le milieu social et associatif. Dans leur salon cossu du boulevard Saint-Germain, Christine et Bernard se rappellent leur rencontre à la bibliothèque. Celle du 2e étage, « plus laborieuse et silencieuse » que celle du premier, « plus snob et mondaine », souligne-t-il avec malice. Christine s’était trompée de fiche et consultait une thèse du prix Nobel d’économie Maurice Allais qui intéressait le Strasbourgeois. Ils se souviennent aussi de la tarte à l’orange du Basile, de l’effervescence dans la Péniche, des débats houleux sur la guerre d’Algérie et sur de Gaulle. « L’école était sociologiquement très marquée, très bourgeoise parisienne. Ça n’était pas évident pour les étrangers et les gens de province, se rappelle Christine. Il y avait des codes d’habillement, tout le monde allait à des rallyes et prenait le bus 63 pour rentrer chez soi… C’était un peu pesant. Ce qui me frappe maintenant, Rue Saint-Guillaume, c’est qu’on y parle plein de langues. Les gens ne sont plus dans le moule d’autrefois. La diversité des origines ne conduit sans doute pas à des comportements stéréotypés comme l’étaient les nôtres. »

L’école était certes socialement plus homogène dans les années 1960 qu’elle ne l’est aujourd’hui. Janine Mossuz-Lavau, diplômée en 1963, devenue spécialiste du genre et de la politique au Cevipof, évoque les « prototypes de jeunes filles à marier » : « En tenue standard, tailleur et carré Hermès. » Cependant, la chercheuse tient à nuancer. Il y a cinquante ans, toutes les histoires d’amour n’étaient pas permises au sein de l’Institution. « Il n’y avait pas de très grands écarts de richesse à cette époque, mais des différences de milieu tout de même, et les familles pouvaient s’en mêler. » Une anecdote a particulièrement marqué la jeune femme qui venait d’un milieu modeste et provincial : un fils de préfet de la très haute bourgeoisie et une jeune fille de commerçants prospères, tenanciers d’un restaurant, étaient follement amoureux. La mère du garçon a mis fin à la relation en une seule sentence : « On n’épouse pas une fille dont la mère donne à boire aux gens. » « J’en ai vu des couples craquer pour des raisons d’antagonisme social ! », lance Janine Mossuz-Lavau. Elle raconte qu’après l’année 1968, l’atmosphère a évolué doucement. Il y avait plus d’ouverture. Des couples se sont même formés entre élèves et professeurs « sans que cela ne pose aucun problème ». Elle est bien placée pour le savoir : elle-même s’est mariée à l’un de ses anciens professeurs. « Une forme de mixité, plaisante-t-elle. Même si aujourd’hui les mixités sont beaucoup plus diverses et nombreuses. »

Illustration : Alice Des

L’accroissement du nombre d’étudiants ainsi que l’évolution du recrutement et de la scolarité – de la 3e année à l’étranger obligatoire aux conventions d’éducation prioritaire (CEP) – ont profondément modifié la population estudiantine. Et par-là même, la formation des couples Sciences Po. À l’image d’Arnaud et de Margherita, 24 et 26 ans, ensemble depuis quatre ans. Arrivée de Bologne pour un échange de neuf mois, la jeune femme italienne partageait un cours de relations internationales en anglais avec Arnaud. Un jour, il n’est pas venu et lui a demandé, à la cafétéria, ses notes pour rattraper. Une soirée étudiante quelques jours plus tard a scellé leur histoire. Lui a ensuite fait sa « 3A » à Buenos Aires et un long stage au Pérou, elle est retournée dans son Italie natale entre son année d’échange et son master de marketing. L’année prochaine, elle reste à Paris, elle a trouvé un CDI… Tandis qu’Arnaud part en Angleterre suivre un cursus à la London School of Economy. « Depuis le début, notre couple vit ainsi », constate Arnaud. « En quatre ans de vie de couple, nous avons passé deux ans séparés », ajoute Margherita. Ce nomadisme de couple et cette liberté qui se joue des frontières, parfois des mers, leur permettent de jouir sans entraves et avec normalité de leurs ambitions et des opportunités qui s’offrent à eux. Le quotidien n’est pas toujours évident concèdent-ils, mais Sciences Po a été le carrefour de leur rencontre, leur tremplin vers d’autres horizons et leur ciment. Et si, de l’avis général, les étudiants étrangers ne se mélangent pas toujours aux Français – et vice-versa –, des ponts sont parfois jetés.

POUR AUTANT, EST-CE QUE LA DIVERSIFICATION DES RECRUTEMENTS A UN IMPACT SUR L’HOMOGAMIE SOCIALE ? La sociologue Annabelle Allouch répond par la négative. Chercheure associée à Sciences Po, elle a fait sa thèse sur les pratiques et les processus de sélection et de socialisation des milieux populaires dans les établissements d’élite, et notamment à l’Institut d’études politiques de Paris. « Les étrangers sont dans la majorité des cas issus de milieux favorisés et francophiles. C’est l’effet des partenariats entre filières sélectives ! Quant à l’arrivée des étudiants issus de ZEP depuis 2001, elle peut participer à un certain changement, mais il est avéré que ce changement est plus qualitatif que quantitatif, dans la mesure où le nombre d’étudiants issus de l’examen d’entrée a crû dans la même proportion que les entrées par la voie CEP. »

Quentin Giraud n’est pas chercheur, cependant l’ancien étudiant devenu journaliste à Libération a eu le sentiment que « Sciences Po ne brisait pas toutes les barrières ». Ce diplômé du master de journalisme a cofondé L’Imparfaite, en 2009, une revue érotique. Dans le premier numéro, était publiée une étude intitulée « Reproduction des élites, et après ? Le corps étudiant de Sciences Po : perpétuation d’un conservatisme sexuel ? ». Quelque 300 étudiants ont participé à un sondage en ligne sur leurs pratiques sexuelles. Résultat : les Sciences Po ne seraient ni plus conservateurs ni plus débauchés que la moyenne de la société. Dans ce questionnaire, il est également question d’homogamie scolaire. Et les réponses montrent que « les couples Sciences Po sont très nombreux », mais surtout que « 24,9 % de ceux dont les parents n’ont pas fréquenté Sciences Po sont en couple avec une personne extérieure à l’établissement ; quant à ceux dont au moins un parent a fréquenté l’établissement, ils sont 52,6 % à déclarer être en couple avec quelqu’un de Sciences Po ». L’article conclut quelques lignes plus loin : « Les relations amoureuses continuent à consolider des frontières symboliques et entretiennent des rapports de forces. » La mise en couple viendrait-elle renforcer la reproduction sociale ? À sa propre échelle, Quentin Giraud a remarqué qu’il était sorti avec des filles qui lui ressemblaient : pas parisienne, classe moyenne, plutôt fille de prof. Lui vient de La Rochelle, sa mère est bibliothécaire et son père photographe, passé par Sciences Po. « Je pense qu’avoir fait cette école peut rapprocher a posteriori, une fois qu’on en est sorti, remarque-t-il aujourd’hui, mais durant les études, je n’ai pas vu sortir ensemble un étudiant issu de ZEP et un enfant d’ambassadeur. Il n’y a pas vraiment de Roméo et Juliette ! Et encore, si eux ne venaient pas de la même famille, ils étaient du même milieu. »

Loin d’eux l’idée de se prendre pour des héros de Shakespeare, Constance et Brendon sont pourtant en couple depuis janvier 2014 et viennent d’horizons très différents : elle, fille d’expatriés, a grandi au Maroc et qualifie son milieu de « très privilégié », lui, écolier en ZEP, boursier, originaire d’un village près de Dreux, a deux parents peintres en bâtiment. Ils se connaissaient de vue dans les couloirs de l’École, mais c’est en Espagne lors d’un voyage en stop qu’ils se sont rapprochés. « Avec l’association “Stop and Go”, nous sommes partis jusqu’à Lisbonne. On a fait une étape ensemble, raconte Constance. C’est une façon de se découvrir plus originale, plus directe et personnelle. À Sciences Po, la rencontre est purement sociale. » Ils constatent en chœur que leurs différences de milieu ne jouent pas franchement dans leur relation car ils sont unis par des aspirations professionnelles communes. « Bien au contraire, poursuit Brendon. Nous jouons avec la mixité sociale de Sciences Po, qui est bien plus intéressante et enrichissante que le communautarisme de “classe” ou d’origine. » Le jeune homme ajoute que la « période de stigmatisation des étudiants ZEP », qui a pu exister au début de la procédure CEP, n’existe « pratiquement plus aujourd’hui ». Et d’évoquer les groupes d’intégration, les triplettes et la diversité de la vie associative pour y pallier. Lui veut intégrer le master Affaires internationales et elle celui de Droit économique. « Nous sommes persuadés tous les deux que notre épanouissement passera par notre réussite professionnelle », explique Constance avec détermination.

L’ÉPANOUISSEMENT DES ÉTUDIANTS EST ENVISAGÉ COMME PLURIEL À SCIENCES PO. SANS DOUTE ÉTAIT-CE LE MESSAGE DES DIRECTEURS QUI, D’ALAIN LANCELOT À FRÉDÉRIC MION EN PASSANT PAR RICHARD DESCOINGS, ont tous, dans leurs discours, au détour d’une phrase, mentionné les histoires d’amour Sciences Po. L’institution les provoquerait-elle ? « Je pense qu’il ne s’agit pas d’une revendication explicite de l’entre-soi scolaire, poursuit la maître de conférences en sociologie, Annabelle Allouch. On ne dit pas : “Sciences Po est une école où vous allez trouver un bon parti”, mais “Sciences Po est une école où vous allez pouvoir vous grandir intellectuellement mais aussi personnellement”. » Le discours est celui de l’épanouissement de l’individu, que l’on retrouve dans la plupart des grandes entreprises et des discours managériaux depuis les années 1970.

Il correspond également à une prise en charge plus globale du corps de l’étudiant par les grandes écoles : le but de la formation n’est plus seulement de “former” les cadres de demain mais de les “éduquer”. « Ce mouvement se retrouve dans la montée en puissance des associations. Il faut sans doute y voir l’influence des modèles venus des grandes universités américaines, note-t-elle. Un profil d’élite de la nation se dessine alors : quelqu’un de complet dont l’équilibre personnel fait désormais partie de l’idéal de vie professionnel. » Charles ne renierait sans doute pas cette définition. Pendant ses études Rue Saint-Guillaume, le jeune homme a eu l’impression d’être dans un « cocon confortable pour forger son identité ». Il y a rencontré Antoine, son compagnon depuis février 2010. « Je connais beaucoup de gens qui se sont révélés à Sciences Po, témoigne Charles. Des gens qui y sont entrés et en sont sortis très différents. Moi, ça m’a permis de m’affirmer et de le faire auprès de mes parents ensuite », poursuit-il avant de citer le slogan de l’association LGBT à laquelle il appartenait : « T’es jeune et sois toi. » Professeur d’histoire dans le secondaire et coordonnateur d’une prépa Sciences Po en banlieue parisienne, Charles a le souvenir d’une école ouverte, propice aux rencontres, à toutes les rencontres. Avec Antoine, ils racontent le « dynamisme et le progressisme » des années Descoings, l’ouverture de la chaire consacrée au genre, la première Queerweek en 2009. Ils n’ont jamais eu aucun problème à s’afficher ensemble à Sciences Po ou à poursuivre leurs activités militantes avec un drapeau arc-en-ciel et une assiette de préservatifs à la permanence de l’association Plug n’Play. Au contraire, il y avait un vrai soutien de l’administration. Pour les deux garçons, cette ouverture est intrinsèquement liée à une ouverture plus globale, des conventions ZEP aux boursiers. « Cette diversité, c’est merveilleux pour eux, mais c’est surtout merveilleux pour tout le monde ! Et notamment pour moi qui avait grandi à Paris !, s’exclame Charles. Plus qu’un ascenseur social, Sciences Po est une machine à laver… où se laver de certaines idées reçues. » Il est encore difficile de savoir ce que leurs années Sciences Po auront de structurantes dans leur couple, mais déjà ils y ont forgé une identité professionnelle et intime solide, une bande d’amis communs à la vie à la mort, une émulation et une envie d’avancer ensemble.

APRÈS VINGT ANS DE MARIAGE, SOPHIE ET ANTOINE RIENT ENCORE DE LEUR « ESPRIT SCIENCES PO ». Difficile de décrire ce fameux esprit « clair et structuré, qui permet de s’en sortir sans connaître à fond un sujet, sans pour autant tromper son monde », précise Sophie, diplômée en 1987 du cursus « EcoFi ». Avec son mari, ils partagent encore des plaisanteries d’étudiants sur le droit constitutionnel ou le « poly Pébereau », du nom du haut fonctionnaire, professeur à Sciences Po. « Le côté généraliste a fait de nous des éponges face à beaucoup de savoirs et on se sent souvent à même de restituer clairement des problématiques, explique cette ancienne de Morgan Stanley, de la BNP ou du Crédit lyonnais, devenue mère au foyer. Dans un couple, ça aide aussi à prendre des décisions. On fonctionne pareil : on va à l’essentiel sans se complaire dans les détails. D’avoir appris cette gymnastique ensemble crée une complicité et une égalité. » À la naissance de son deuxième enfant, Sophie a décidé de lever le pied. Elle s’est intéressée à l’horticulture, a passé un concours pour devenir guide de Paris. Ses deux enfants seront bientôt adolescents et elle aimerait éventuellement se remettre à la finance. Elle est heureuse de s’être entièrement consacrée à leur éducation, mais « c’est un sacrifice, il faut être honnête ». Parfois le regard des autres, en société, est dur. « Mais je ne me dis pas que je suis inférieure à mon mari. Nous avons fait les mêmes études, j’ai déjà gagné plus d’argent que lui, occupé des postes très difficiles. » L’égalité salariale et la gestion des carrières est d’ailleurs aujourd’hui encore un combat d’actualité à Sciences Po. Une référente égalité femmes-hommes est désormais en poste à l’école. Deux ans après leur sortie, les étudiantes gagnent 15 % de moins que les hommes ; un écart qui a tendance à se creuser davantage par la suite. Sophie, elle, ne sait pas encore si avec son mari Antoine ils pousseront leurs enfants à suivre leurs traces à Sciences Po. Elle a le souvenir d’une école « peut-être trop généraliste », pas suffisamment professionnalisante et adaptée à la dure réalité du marché du travail actuel. « Mais il faut que je me renseigne, il paraît que cela a changé… »

Illustration de Alice Des.

Catherine voit ce changement à travers son fils Victor (les prénoms ont été changés à leur demande). Elle est sortie en 1976 de la section Service public tandis que lui vient de terminer sa 4e année du master Affaires publiques. Ils ont en commun des souvenirs dans la Péniche et dans l’amphi Boutmy, au Basile et au Bizuth, à près de 40 ans d’écart. Mais Catherine n’a pas connu les fêtes étudiantes, les stages, la diversité des nationalités, les afterwork, la mixité sociale, la 3e année à l’étranger, cite-t-elle pêle-mêle. « Une vraie dichotomie », dit l’élégante femme qui s’est mariée par deux fois à des alumni – le dernier étant le père de Victor. Non pas que cela ait été un critère de choix, sourit-elle, mais ça n’est pas complètement un hasard non plus. « On se reconnaît entre Sciences Po. Il me fallait quelqu’un qui ait un sens de la chose publique dans la cité, un humaniste. Et je revendique d’avoir transmis à mon fils cette haute idée de la politique, de la citoyenneté, des valeurs républicaines, depuis qu’il est tout bébé. » Victor a voulu entrer à Sciences Po dès sa classe de première au lycée. C’était une évidence. Aujourd’hui, il veut tenter l’ENA pour plus tard participer aux grandes décisions de politiques publiques. Impossible de démêler l’influence de ses parents de son inclination personnelle. À quoi bon ? « Le débat sur la reproduction sociale est éternel ! », dit-il, lucide. En études comme en amour. Le Sciences Po d’aujourd’hui lui offre plus de possibilités de rencontres, il en a conscience ; pour autant, un passage à l’École ne constitue pas un critère de choix amoureux. « Si ça doit arriver, ça arrivera, mais ce sera une corrélation logique d’événements plus qu’une recherche, imagine-t-il. On évolue dans le même microcosme, on a les mêmes débouchés. J’en recroiserai forcément, des Sciences-Po… »


Cet article a été initialement publié dans le numéro 2 du magazine Émile (Été 2015)


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