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Covid-19 : une opportunité politique pour Pékin?

Premier foyer de l’épidémie de Covid-19, la Chine s’érige désormais en modèle de gestion de crise sanitaire et communique activement sur l’aide apportée aux pays en détresse. Décrédibilisation des régimes politiques occidentaux, minimisation des responsabilités, envois de masques et personnels médicaux à l’étranger… la nouvelle stratégie de communication de Pékin pourrait-elle faire sortir la Chine gagnante de cette crise ? Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique et enseignant à Sciences Po, a répondu aux questions d’Émile.

Affichage gouvernemental sur lequel il est écrit "découverte précoce, rapport précoce, mise en quarantaine précoce, diagnostic précoce, traitement précoce" à Hefei, Anhui, Chine, le 8 février 2020 (Crédits : Zhou Guanhuai/ WikipediaCommons)

L’ambassade de Chine en France a vanté une gestion « particulièrement performante » de la crise par Pékin, ainsi que son « sens de la collectivité qui fait défaut aux démocraties occidentales » : la Chine tente-t-elle de décrédibiliser les régimes politiques occidentaux en mettant en avant un système autoritaire qui serait plus apte à juguler des crises telles que des pandémies ?

Les autorités de Pékin cherchent à transformer ce qui a commencé comme une crise sanitaire sur leur territoire en opportunité politique. En reconstruisant le déroulement de la crise, en minimisant les responsabilités, et en cherchant à faire oublier la censure et la répression, le régime cherche à vanter son succès dans la gestion de l’épidémie alors même que les pays occidentaux sont confrontés à une crise sanitaire sans précédent depuis un siècle.

Il faut évidemment reconnaître que des mesures fortes mises en œuvre à partir de fin janvier, comme le dépistage massif et ciblé, l’identification et l’isolement des cas déclarés ou encore la mobilisation générale pour la production d’équipements de protection, ont permis de contenir la crise, permettant notamment aux autorités de concentrer leurs efforts dans le Hubei et surtout dans la ville de Wuhan très lourdement affectée avec deux tiers des décès.

Cependant, il est fondamental de faire la différence entre sacrifices de la population, mesures techniques et modèle de gouvernance. Reproduire certaines mesures ne signifie pas devoir adopter un modèle de gouvernance. Ne pas faire la distinction reviendrait, in fine, à fragiliser nos systèmes démocratiques. Or, on voit bien que des pays autoritaires cherchent à justifier un contrôle encore plus accru des populations au nom de la sécurité sanitaire, et que des partis populistes en Europe cherchent à utiliser des exemples simplistes et des raccourcis afin de promouvoir une forme d’autoritarisme et de remettre en cause l’idée même de coopération européenne.

Beaucoup de spécialistes ont été contraints de rappeler que, par exemple, l’Allemagne et la France ont envoyé plus de masques que la Chine à l’Italie. La stratégie chinoise d’arborer une image de « sauveur des pays en détresse » convainc-t-elle ? Est-ce une stratégie de communication destinée principalement à la population chinoise ou au reste du monde ?

L’aide chinoise, sous forme de dons de masques entre autres, est évidemment la bienvenue. Mais ne nous trompons pas, elle est avant tout symbolique puisque si la Chine a offert 1 million de masques à la France, la France importe 2 milliards de masques de Chine… Or, la couverture médiatique considérable apportée à ces dons, tranchant avec la discrétion des dizaines de tonnes d’aide européenne envoyées à la Chine au mois de février, s’inscrit dans une stratégie de communication claire.

Comme le rappelait Josep Borrell le 23 mars dernier, la gestion de la pandémie inclut une composante géopolitique dans laquelle la Chine s’efforce, à travers une « politique de générosité », de faire passer le message que, contrairement aux États-Unis, elle est un partenaire responsable et fiable. C’est notamment dans cette logique de compétition sino-américaine que s’inscrit Pékin, envoyant le message aux pays européens mais surtout aux pays en développement que la Chine est non seulement exemplaire mais aussi un partenaire désormais incontournable.

Au-delà de l’Europe, la Chine vient en aide à près de 54 pays africains. Quelles sont les conséquences à prévoir de cette aide massive sur les relations sino-africaines qui étaient déjà en plein développement ?

La diplomatie sanitaire de la Chine est ancienne et débute justement en 1963 par l’envoi d’une équipe médicale en Algérie. Depuis, la santé est un thème important des relations bilatérales, en témoigne notamment la participation de la Chine dans la gestion de la crise Ebola en Afrique de l’Ouest en 2014-2015. L’aide apportée par le pays, et par des fondations privées comme la Fondation Jack Ma, est utile mais sa médiatisation à outrance vise à renforcer les relations sino-africaines et à réduire l’influence américaine et européenne.

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Or, c’est justement pour éviter une crise sanitaire et économique majeure sur le continent africain que les Européens, et notamment les Français par la voix du ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, le 25 mars dernier, s’engagent fortement pour apporter une assistance, notamment financière à ces pays. Si la Chine se présente comme le partenaire idéal, rappelons que l’Union Européenne reste un partenaire essentiel, tant sur le plan des échanges commerciaux que de l’aide publique au développement.

La stratégie de Pékin pourrait-elle faire sortir la Chine gagnante de cette crise, jusqu’à faire oublier que c’est sur ton territoire qu’est née l’épidémie ?

Il est encore trop tôt pour le dire et la réalité épidémiologique, celle d’un foyer initial à Wuhan, sera difficile à faire oublier. Mais clairement, les autorités chinoises se sont lancées dans une offensive sans précédent pour désinformer, en allant jusqu’à propager par l’intermédiaire du porte-parole de affaires étrangères des rumeurs comme celle que le premier foyer épidémique aurait été aux Etats-Unis.

Si faire des prédictions sur de soi-disant changements géopolitiques majeurs me semble bien trop risqué alors que nous manquons de variables-clé, comme la durée de l’épidémie ou l’impact économique à moyen terme, on peut souligner que la crise pourrait avoir des conséquences en termes de perceptions internationales. Alors que la crise économique de 2008/2009 avait façonné l’image d’un déclin des pays occidentaux et l’émergence de la Chine, cette crise pourrait convaincre certains que le modèle autoritaire chinois serait plus efficace que le modèle démocratique. Or, entre perceptions et réalité, il y a souvent une grande différence.

Dans quelle mesure cette politique d’assistance sanitaire peut s’inscrire dans le projet plus large de la Chine que sont les nouvelles routes de la soie ? Cette stratégie de communication a-t-elle surtout un objectif économique ?

Le projet chinois One Belt One Road initié en 2013 est protéiforme. Si beaucoup se sont concentrés sur les infrastructures de transports, la santé en est un volet essentiel depuis 2015. En janvier 2017, Xi Jinping visitait le siège de l’OMS et y signait un protocole d’accord à ce sujet. Surtout, Pékin accueillait en août 2017 une réunion à haut niveau sur la coopération sanitaire dans le cadre de One Belt One Road au cours de laquelle ont été signés 17 protocoles d’accord bilatéraux avec des pays mais aussi des organisations internationales comme l’ONUSIDA ou le Global Fund. La promotion par la Chine de sa diplomatie sanitaire au cours de la pandémie de Covid-19 s’inscrit donc dans une stratégie préexistante et mobilise des outils préexistants.

Il y a bel et bien une dimension économique qu’il ne faut pas sous-estimer. Les biotechnologies sont une des cinq industries prioritaires dans le 13ème Plan quinquennal (2016-2020), tandis que le plan Healthy China 2030 adopté en 2017 précise les ambitions du pays à l’étranger, notamment en termes de conquêtes de marché. Dans cette pandémie, cela passe par la mise en avant des géants de l’Internet chinois comme Alibaba qui propose aux systèmes de santé européens un outil de diagnostic du Sars-CoV-2 via l’interprétation de scanners thoraciques, d’entreprises de taille plus réduite dans les biotechnologies capables de produire des kits de dépistage, et même par la promotion de la médecine traditionnelle chinoise. Si certaines industries peuvent chercher à profiter de la crise pour accroître leur part de marché, rappelons toutefois que si la crise économique s’aggrave et se poursuit en Europe et aux Etats-Unis, l’économie chinoise en souffrira également.

Cette stratégie est-elle tenable sur le temps long de la crise du Covid-19, alors même que se profile une seconde vague du virus en Chine ?

Ce qui est sûr est que la communication internationale de la Chine a évolué depuis quelques années et que cette évolution s’est accélérée considérablement ces derniers mois. Les diplomates sont désormais plus offensifs voir agressifs dans leur communication, insultants ouvertement des médias et chercheurs comme c’est le cas à Paris. Les autorités chinoises cherchent à tout prix à « faire entendre la voix de la Chine ». Cette expression, tirée d’un discours de Xi Jinping d’aout 2013 consacrée à la propagande et à l’idéologie, indique que la Chine s’inscrit dans une « bataille des récits », une expression de Josep Borrell, i.e. imposer sa version et son interprétation des faits.

Dans ce contexte, une nouvelle flambée épidémique, qui est peu probable en Chine du fait des nombreuses mesures prises par Pékin mais ne peut toutefois pas être exclue, affaiblirait considérablement les arguments du régime sur la scène internationale mais également, et avant tout, nationale. Or, rappelons que c’est bel et bien cette dimension nationale qui est la priorité de Pékin.