Philippe Douste-Blazy : faut-il autoriser le recours à l’hydroxychloroquine ?

Philippe Douste-Blazy : faut-il autoriser le recours à l’hydroxychloroquine ?

Professeur de médecine, ancien ministre de la Santé, Philippe Douste-Blazy s’est beaucoup exprimé tout au long de la crise sanitaire que nous traversons pour déplorer les carences de la doctrine française. Rédacteur du premier plan de pandémie grippal en 2004, il a pris position ces dernières semaines pour le protocole du Professeur Raoult en lançant une pétition en faveur de l’usage de l'hydroxychloroquine dans la lutte contre le Covid-19. Quel regard porte-t-il sur la gestion de la crise en France ? Que penser des mesures annoncées par le Premier ministre pour préparer le déconfinement ? Entretien.

Propos recueillis par Maïna Marjany

Cardiologue et épidémiologiste, vous avez lancé le 3 avril dernier une pétition en faveur de l’hydroxychloroquine dans la lutte contre le Covid-19. Pour quelles raisons ?

Plusieurs fois ministre (Culture, Santé, Affaires étrangères), Philippe Douste-Blazy a été secrétaire général adjoint des Nations unies (2008-2017), et conseiller spécial du secrétaire général des Nations unies. (Crédits : Guillaume Paumier/Wikimedi…

Plusieurs fois ministre (Culture, Santé, Affaires étrangères), Philippe Douste-Blazy a été secrétaire général adjoint des Nations unies (2008-2017), et conseiller spécial du secrétaire général des Nations unies. (Crédits : Guillaume Paumier/Wikimedia Commons)

Je me permets de vous donner quelques précisions médicales pour que vous compreniez ma position sur la question de l’hydroxychloroquine.

Nous apprenons à connaître progressivement cette maladie, le Covid. À ce stade, nous avons constaté qu’elle était composée de deux phases : la première, située entre le 1er et le 7e jour, est une phase virale ; la seconde, entre le 7e et 14e jour, est une phase plus immunologique, avec une réponse immunitaire et parfois un « orage cytokinique ». Si on doit donner des anti-viraux, cela doit être fait dans la première phase, lorsque la charge virale augmente.

En Chine, là où a débuté l’épidémie, des médecins ont dit avoir utilisé de l’hydroxychloroquine en raison des ses effets effet antiviraux. Le Professeur Raoult, qui est un infectiologue extrêmement reconnu et respecté dans le monde, a ajouté à cela un traitement antibiotique, en administrant à ses patients de l’azithromycine. Très souvent, lorsqu’il y a une infection respiratoire grave, on donne un antibiotique de ce type, un macrolide. Le Professeur Raoult savait que l’azithromycine a, de plus, un effet antiviral. L’association de l’hydroxychloroquine et de l’azithromycine lui a donc semblé intéressante. Il a fait des tests en laboratoire et s’est aperçu que, in vitro, en 5 jours, il n’y avait pratiquement plus de virus. 

« Face à l’urgence de la situation, il y avait deux solutions : traiter uniquement la fièvre, les douleurs et les céphalées avec du doliprane, ou bien mettre un antiviral. »

Face à l’urgence de la situation, il y avait deux solutions : traiter uniquement la fièvre, les douleurs et les céphalées avec du doliprane, ou bien mettre un antiviral, ce qu’a fait le Professeur Raoult. Il a donc administré de l’hydroxychloroquine et de l’azythromycine à ses patients. Sur plus de 3 000 cas, il n’y a pas eu un seul accident, pourquoi ? Parce que l’hydroxychloroquine est un médicament que l’on connaît bien et qui n’a pratiquement pas d’effet secondaire, en tout cas sur une période limitée à dix jours, ce qui correspond à la durée du traitement en cas de Covid. Les principaux effets secondaires d’un tel traitement sont d’ordre cardiologique : ils peuvent provoquer des torsades de pointe (des troubles du rythme cardiaque très graves), et cela se voit surtout chez des patients qui ont une baisse de potassium dans le sang, le plus souvent en raison de médicaments hypotenseurs (diurétiques). Il faut donc faire particulièrement attention aux patients hypertendus, qui, lorsqu’ils prennent ce type de traitement, peuvent avoir un problème de potassium. Il est donc indispensable de réaliser un électrocardiogramme avant, pendant, et après le traitement. Une fois que vous avez pris ces précautions, le risque disparaît. 

Ensuite, afin de constater l’efficacité de ce traitement, regardons les statistiques. Pour éviter tout biais épidémiologique, je vous propose de comparer le taux suivant : le nombre de personnes hospitalisées sur le nombre de personnes décédées à l’hôpital. Il s’agit d’un taux qui peut être comparé d’une région à l’autre. En effet, les médecins hospitalisent les cas en fonction de leur gravité où qu’ils soient, et non pas en fonction du nombre de personnes dépistées. En prenant les chiffres du Ministère de la Santé, c’est à dire ceux des Agences Régionales de Santé et de l’Agence Santé Publique France, on voit que ce taux est beaucoup plus bas dans les Bouches-du-Rhône. Il faut souligner que le traitement prescrit par le Professeur Didier Raoult est administré à la fois dans le service des maladies infectieuses de l’APHM (l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille), comme à l’IHU Mediterranée ainsi que dans les deux ou trois hôpitaux autour de Marseille, correspondant à environ 80 % des malades traités dans le département. Ce taux est également bas en Algérie, au Maroc et au Sénégal, où les patients sont traités selon le protocole Raoult. Plus récemment, une série, en Italie, de plus de 1 050 patients atteints de Covid-19 a montré que l’hydroxychloroquine administrée tôt permet de faire chuter le taux d’hospitalisation de 30 à 5 %. Baisser le taux de la charge virale dans la phase précoce de la maladie a donc un effet extrêmement positif. 

Pays où l’hydroxychloroquine est recommandée dans la lutte contre le Covid-19. (Source : https://www.mediterranee-infection.com/coronavirus-pays-ou-lhydroxychloroquine-est-recommandee/)

Pays où l’hydroxychloroquine est recommandée dans la lutte contre le Covid-19. (Source : https://www.mediterranee-infection.com/coronavirus-pays-ou-lhydroxychloroquine-est-recommandee/)

Pensez-vous que les autorités sanitaires sont trop prudentes pour autoriser le recours à ce traitement dans tout le pays ?

Le Conseil scientifique met en avant le fait qu’il n’y ait pas de groupe contrôle, et je ne pourrais pas leur reprocher si nous étions en temps normal. Mais nous subissons la plus grande crise sanitaire que nous n’ayons connue depuis un siècle ! Par temps calme, « en temps de paix », nous avons pris l’habitude, en Occident, de faire un groupe randomisé dit « en double aveugle »  pour savoir si le groupe traité par la molécule que l’on veut étudier obtient des résultats positifs par rapport au groupe contrôle. Le Professeur Raoult ne l’a pas fait pour des raisons éthiques. Il constatait que 4,5 % des patients admis à l’hôpital étaient conduits en réanimation, et regarder un malade dans les yeux en sachant qu’il lui donnerait seulement de l’eau ou du placebo lui semblait contraire au Serment d’Hippocrate. C’est une position qui je comprends et que je respecte même si cela a créé une polémique, ne pouvant pas prouver « scientifiquement » de manière incontestée le bien-fondé du traitement. 

Prescription d’hydroxychloroquine par un docteur indien à un patient positif au Covid-19, à Jaïpur, Inde. (Crédits : Amlan Mathur / Shutterstock)

Prescription d’hydroxychloroquine par un docteur indien à un patient positif au Covid-19, à Jaïpur, Inde. (Crédits : Amlan Mathur / Shutterstock)

Mais c’est  une décision du ministre de la Santé qui a déclenché l’idée de lancer une pétition intitulée « Ne perdons plus de temps ! ». En effet, il a juridiquement interdit aux médecins français, hospitaliers comme libéraux, le droit de prescrire de l’hydroxychloroquine à toutes les personnes qui avaient une forme non sévère de Covid et de ne le réserver qu’aux formes très évoluées. Or ce médicament n’est efficace qu’au début de la maladie. C’est tout de même étonnant à deux titres : d’abord, c’est la première fois, à ma connaissance, qu’un médicament qui était en vente il y a deux mois dans toutes les pharmacies, et dont l’innocuité est connue de tous, est interdit à la prescription des médecins. Cela pose un problème vis-à-vis de la liberté de prescrire. Ensuite, le fait de le réserver aux patients chez lesquels on sait que c’est inefficace est assez incompréhensible.

Je m’en suis ouvert au ministère, et n’ai obtenu aucune réponse, ni positive ni négative. Avec plusieurs scientifiques de très haut niveau – en particulier de grands infectiologues de l’Académie de médecine, dont le professeur Gentilini et le professeur Bricaire, mais aussi avec d’autres personnalités médicales et scientifiques très respectées dont le professeur Jacques Marescaux – nous avons décidé de lancer cette pétition. Au moment où je vous parle, elle a recueilli plus de 567 000 signatures. 

Quels sont, selon vous, les grands enjeux du déconfinement, dont le début est annoncé pour le 11 mai ?

L’équation est compliquée pour les responsables politiques car il faut éviter d’une part un phénomène de rebond épidémique, et d’autre part un effondrement économique.

« L’équation est compliquée pour les responsables politiques car il faut éviter d’une part un phénomène de rebond épidémique, et d’autre part un effondrement économique. »

Avant tout, il faut bien comprendre qu’on ne pourra pas revenir le 11 mai à une situation comparable à celle que nous avions le 16 mars. Le changement devra être progressif, et je suis certain que les Françaises et les Français vont intégrer cette progressivité de manière spontanée.

Ensuite, je crois à la nécessité d’une certaine agilité territoriale et le couple préfet-maire aura un rôle extrêmement important à jouer dans ce processus. De toute façon, nous avons besoin de plus de décentralisation et de plus de déconcentration. Ce sera l’occasion de l’affirmer et de le traduire dans les faits. 

Enfin, on ne réussira le déconfinement que s’il y a une confiance. Or cette dernière ne peut venir que du volet sanitaire. Le gouvernement va devoir être extrêmement précis et rigoureux. J’ai, par exemple, entendu récemment une différence significative entre le Directeur général de la Santé et le ministre au sujet du nombre de tests virologiques disponibles. Cela sera désormais impossible. 

Le Premier ministre a annoncé, mardi 28 avril, devant l’Assemblée nationale, le plan de sortie de crise. Les mesures proposées vous semblent-elles suffisantes ?

Le Conseil scientifique prévoit qu’il y aura entre 1 000 et 3 000 nouvelles contaminations par jour. L’efficacité du déconfinement ne viendra que de notre capacité à dépister les malades, à tracer leurs cas contacts et à isoler les cas positifs. Ce n’est qu’à ce prix que l’on cassera l’épidémie. 

Le tryptique, qui a charpenté le discours du Premier Ministre, est venu souligner curieusement nos manques depuis plus de deux mois. « Protéger », et c’est le problème des masques. « Tester », et c’est rappeler notre incapacité à avoir dépisté suffisamment tôt. « Isoler », et c’est l’absence de cassure des chaînes de contamination intra familiales au moment fort de l’épidémie durant laquelle nous laissions les malades revenir chez eux. 

« Ce que j’ai entendu ne va pas assez loin. J’attends quelque chose de plus concret et détaillé. ARS par ARS, comme un plan de bataille. »

J’ai envie de dire que ce type d’exercice ne peut ressembler à un discours de politique générale. Ce sont les détails qui comptent dans une crise aiguë. C’est comme quand vous opérez quelqu’un et qu’un incident se produit. C’est un acte précis, minutieux et réfléchi dont vous avez besoin. La stratégie annoncée concernant les tests et les « brigades » doit être précisée. Ce que j’ai entendu ne va pas assez loin. J’attends quelque chose de plus concret et détaillé. ARS par ARS, comme un plan de bataille. Par ailleurs, il ne faut pas limiter les tests aux personnes symptomatiques, mais tester systématiquement et régulièrement (chaque semaine par exemple) toutes les personnes exposées : les soignants, y compris le personnel des EHPAD, les caissiers de supermarché, les chauffeurs de bus et de train, les éboueurs, tous ceux qui sont sur le terrain pour faire leur travail comme par exemple les journalistes, bref toutes les personnes exposées et qui ont un travail en contact avec l’extérieur. Et bien sûr les personnes âgées. 

Le ministre de la Santé britannique prévoit le déploiement de plus de 15 000 enquêteurs sur le terrain pour tracer les malades et les personnes avec qui ils ont été en contact. (Crédits : Flickr/CC)

Le ministre de la Santé britannique prévoit le déploiement de plus de 15 000 enquêteurs sur le terrain pour tracer les malades et les personnes avec qui ils ont été en contact. (Crédits : Flickr/CC)

L’annonce de la mobilisation de milliers d’enquêteurs pour tracer les cas contacts est une bonne nouvelle mais là aussi je souhaite savoir comment cela va se dérouler. Je préconisais de déployer 20 000 à 30 000 personnes sur le terrain, guidés par les médecins libéraux, associés à des travailleurs sociaux, des associations, des aides-soignants, des infirmières. C’est la base de l’épidémiologie d’intervention. À ce sujet, je voudrais féliciter le professeur Renaud Piarroux qui a lancé une expérimentation de « contact tracing » à l’AP-HP. Il faudra cibler essentiellement toutes ces actions dans les zones où le virus circule le plus, comme la région Grand-Est et l’Île-de-France. Pas la peine d’aller en Lozère ou dans l’Ariège où nous n’avons pratiquement pas de cas. 

Ce dispositif est également mis en place chez nos voisins : le ministre de la Santé britannique, Matthew Hancock, a annoncé le déploiement de plus de 15 000 enquêteurs en trois jours, tandis que l’Allemagne prévoit 20 000 personnes via l’armée.

Concernant la reprise de l’école, personnellement si j’avais été chef du gouvernement, je l’aurais prévue pour septembre, comme préconisé par le Conseil scientifique. Mais puisque ça a été décidé et que je suis adepte de l’union nationale, je ne ferai aucune polémique. De toute façon, les enfants de moins de 14 ans ne représentent que 1 % des hospitalisations, et lorsqu’ils sont contaminés, on sait désormais qu’ils sont moins contagieux que les adultes. Les pédiatres ne sont donc pas contre le fait de reprendre les cours, mais à plusieurs conditions. Premièrement, l’aération des classes : il faut ouvrir très régulièrement les fenêtres. Deuxièmement, il faut un nettoyage systématique des espaces. Troisièmement, un espacement d’un mètre-un mètre et demi entre les élèves. Quatrièmement, un masque pour les grands, (collège et lycée),et des tests pour tous les enseignants et les personnels des écoles, collèges et lycées. 

L’obligation de porter un masque dans les transports en commun est une mesure qui me semblait indispensable. Je regrette juste qu’il n’y ait pas de masques chirurgicaux pour tous. À défaut, les normes AFNOR sont intéressantes, le coton diminue la projection de gouttelettes et lorsqu’on met deux couches de coton, on est à peu près à 60 % d’efficacité, contre 90 % pour les masques chirurgicaux.

Un masque en tissu, composé de deux couches de coton, assure une efficacité d’environ 60%, contre 90% pour les masques chirurgicaux. (Crédits : Shutterstock)

Un masque en tissu, composé de deux couches de coton, assure une efficacité d’environ 60%, contre 90% pour les masques chirurgicaux. (Crédits : Shutterstock)

La stratégie sanitaire du gouvernement est sous le feu des critiques. La gestion de la crise et notamment le manque d’anticipation dans l’approvisionnement des masques et de matériel pour faire face à la crise est jugée sévèrement y compris par l’opinion publique. Qu’en pensez-vous ? Était-ce anticipable ?

Dans une période de guerre, il faut être dans l’union nationale, je ne veux donc pas créer de polémiques sur ce sujet. Cela dit, je tiens simplement à signaler que j’avais rédigé le premier plan de pandémie grippal, en 2004, à la demande du président Chirac. Il faisait plusieurs dizaines de pages et détaillait la stratégie à mettre en œuvre face à une telle épidémie. Ce plan avait par ailleurs abouti à la création de l’agence EPRUS (Établissement de Préparation et de Réponse aux Urgences sanitaires). Elle était originellement prévue pour anticiper les crises, gérer les stocks de masques, de matériel médical, etc. Mais l’agence a été progressivement transformée et a connu une diminution considérable de ses actions et de son budget. L’économiste de la santé Claude Le Pen – qui nous a malheureusement quittés depuis – a publié fin mars un article dans Le Monde dans lequel il détaillait le rôle de l’EPRUS et ses mutations progressives. 

Le président Macron a annoncé un plan massif pour l’hôpital public. Pensez-vous que cette crise permettra au secteur de la santé et au personnel soignant de ne plus être sous le coup de restrictions budgétaires incessantes ? Est-ce une véritable prise de conscience ?

Je pense en effet que devant ce drame sanitaire, les chefs d’État de tous les pays se rendent compte de l’importance de la santé publique. De manière générale, vous remarquerez que l’on ne puise pas parmi les responsables politiques les plus importants des partis pour choisir la ou le ministre de la Santé ! Je pense que cela sera amené à changer dans l’avenir à l’occasion de crises comme celle que nous sommes en train de vivre collectivement. Tout le monde se rend compte du caractère hautement politique de la santé publique. 

« Devant ce drame sanitaire, les chefs d’État de tous les pays se rendent compte de l’importance de la santé publique. »

Bien sûr, il faut un hôpital public de bon niveau. Certes il faut donner plus d’équipement et de moyens à l’hôpital public, il faut donner de meilleurs salaires aux médecins, aux aides-soignantes, aux infirmières, aux ambulanciers, aux personnes qui travaillent à l’hôpital. Il faut mieux les respecter, y compris sur le plan du salaire. Il faudra aussi souligner l’importance qu’a représenté l’hospitalisation privée qui a su faire front avec efficacité et courage. Mais au fond, notre système hospitalier a tenu ! L’administration hospitalière aussi a été à la hauteur : on a su multiplier par deux le nombre de lits en réanimation. Au fond, cette médecine-là a tenu. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas lui donner plus de moyens.

« Au fond, notre système hospitalier a tenu (...) Mais ce qui n’a pas tenu, c’est la médecine préventive et communautaire, autrement dit, comment gérer une épidémie. »

Mais ce qui n’a pas tenu, et c’est la raison pour laquelle la France est aujourd’hui dans le trio de tête des pays où il y a le plus de morts par habitant, c’est la médecine préventive et communautaire. Autrement dit, comment gérer une épidémie ? Comment gérer des stocks de masques ? Comment mettre en place des tests ? etc. Comment gérer une épidémie, c’est cela la question. Là nous n’étions pas prêts, nous n’étions pas bons, nous n’avons pas su faire. Il faut passer d’une médecine curative et individuelle à une médecine préventive et communautaire – c’est d’ailleurs ce qui se passe en Norvège et en Suède. 

Vous préconisez finalement un renversement de modèle ?

Oui, je crois que le modèle mondial va être amené à se modifier. C’est nécessaire pour deux raisons. La première, ce sont les épidémies. Nous venons de nous apercevoir qu’une pandémie comme le Covid-19 entraîne la plus grande crise économique depuis 1920 et si nous devons continuer à vivre avec le virus dans les 18 prochains mois, la situation économique et financière va encore empirer. Seule la médecine préventive et communautaire permettra de limiter le rebond épidémique.

La seconde raison, est une question de coût. La médecine individuelle commence à devenir trop chère pour nos systèmes de protection sociale, notamment parce qu’elle devient de plus en plus spécialisée. Prenons un exemple : il y a 30 ans, cinq hommes de 75 ans atteints d’un cancer de la prostate avaient tous le même traitement. Aujourd’hui, ces cinq personnes ont cinq traitements différents, parce que le traitement est individualisé et cela coûte plus cher. Jusqu’à quand notre système – basé sur des cotisations pour la France, sur des impôts pour l’Allemagne, ou sur des cotisations privées pour les Etats-Unis – pourra-t-il tenir ? Jusqu’à quel moment va-t-on pouvoir se payer une médecine curative individuelle sans cesse de plus en plus chère ? C’est une question politique que nous devrons nous poser rapidement. 

Je rajouterais une remarque : la médecine curative et individuelle, basée en Europe sur des dépenses sociales publiques n’est possible que s’il y a du travail. Je suis un adepte de l’économiste Daniel Cohen qui rappelait récemment qu’au fond, la crise que nous vivons révèle l’existence de trois sortes de personnes qui travaillent dans notre société. Les premières sont celles dont nous avons besoin tous les jours et qui travaillent obligatoirement : les éboueurs, les soignants, les caissières, etc. Ces personnes continueront à avoir un salaire. Les secondes sont celles qui font du télétravail et qui continuent donc à percevoir également un salaire. Enfin, il y a les personnes dont le travail n’est pas obligatoire, essentiellement ceux qui sont basés sur le service et l’offre : les restaurateurs, les serveurs, les professions libérales, les avocats, les commerçants, etc. Si, par malheur, le virus devait continuer à circuler, comment feraient-ils pour retrouver leur place dans une société profondément remaniée par la peur ? Dès lors, quels revenus pour eux et quelle protection sociale pour tous ? C’est un sujet extrêmement important.



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