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Covid-19 : Crise sanitaire et crise politique au Brésil

Le Brésil est en quelques semaines devenu l’un des nouveaux épicentres de la pandémie de Covid-19. Une diffusion du virus exacerbée dans le pays par la promiscuité dans des favelas insalubres et surpeuplées, où le virus tend à amplifier les inégalités sociales dans l’un des pays les plus inégaux du monde. La crise économique qui suit la crise sanitaire partout où elle passe frappe de plein fouet le Brésil, jusqu’à provoquer une crise alimentaire dans certains territoires. Alexandrine Brami, Présidente de la section internationale Brésil de Sciences Po Alumni, nous raconte.

Jair Bolsonaro, Président de la République du Brésil, 24/04/20 (Crédits : Palacio do Planalto, Wikicommons)

La course à la mort

Le 7 avril 2020, le ministère brésilien de la Santé annonçait 13.717 cas déclarés de contamination au Covid-19 et 667 décès accumulés. Ce soir, mercredi 10 juin, les chiffres officiels faisaient état de 772.416 cas et 39.680 décès, concentrés pour près de la moitié dans la région Sudeste (18.345) et pour plus d’un tiers dans la région Nordeste (12.561). Au rythme actuel (1300 morts par jour), le Brésil devrait rattraper le Royaume Uni (41.128) vendredi et pourrait sérieusement concurrencer les États-Unis (114.452) dans une course morbide. 

Le gouvernement fédéral a bien tenté d’étouffer “l’affaire”, en niant l’évidence du cataclysme qui s’abat sur le pays et en imposant le silence au ministère de la Santé. Vendredi 5 juin, celui-ci cessait de communiquer sur le total des morts du coronavirus et mettait hors ligne le site internet diffusant quotidiennement les statistiques officielles. Mais la Cour constitutionnelle, conspuée par le Président Bolsonaro et ses ministres, a imposé la transparence. Ce soir, nous avons l’impression de voir à nouveau. Et ce n’est pas beau. Et cela ne sent pas bon. 

Cela ? C’est le Brésil, un kaléidoscope de cultures régionales et de communautés formant une nation de 210 millions d’habitants inégalement exposés au risque sanitaire, mais tous durement – et durablement – touchés par la crise économique, le chômage et l’incertitude. 

Une maladie de pauvres ?

Quand le Covid-19 est apparu fin février à São Paulo, les premiers cas de contamination étaient des hommes blancs rentrant d’Europe, appartenant à la classe aisée et soignés à l’Hôpital Einstein, le meilleur d’Amérique Latine. Les profils, similaires, entretenaient l’image d’une “maladie de riches”. Un mois plus tard, plusieurs cas étaient recensés dans les favelas insalubres et surpeuplées de Rio et São Paulo, à prédominance noire. Depuis, le vírus s’est rapidement propagé dans les périphéries des grandes villes, creusant des inégalités historiques héritées de l’esclavage dans un État qui, pendant des siècles, a nié la question raciale. Plus fréquemment exposés au risque de contamination et plus gravement affectés par l’arrêt de l’économie, les Afro-brésiliens (Noirs et Métis, soit 51% de la population brésilienne), sont absents des cercles dirigeants, du pouvoir législatif, de la magistrature et des médias. Leur parole n’est pas/peu relayée, ils meurent pour ainsi dire en silence à domicile et dans les hôpitaux publics devenus des mouroirs. 

Les mesures d’isolement social imposées dans la majorité des États et municipalités ont profondément affecté les commerces, les entreprises de services et un grand nombre de travailleurs exposés en plus à une déréglementation accélérée du droit du travail. Les employés domestiques – soit 6,3 millions de personnes au dernier recensement (2019) de l’IBGE, l’équivalent de l’INSEE en France – sont en première ligne, notamment les femmes qui représentent plus de 92% de cet univers. Un grand nombre ont été mises en “congés” ou simplement remerciées. Celles qui exerçaient leur activité de manière informelle, 73% du total, ne pourront prétendre à l’assurance chômage. Sur les réseaux sociaux, résonne l’écho des pleurs des mères de famille qui ne peuvent plus nourrir leurs enfants privés également de la cantine scolaire. Des groupes d’entraide se sont formés localement pour collecter des fonds et assurer la distribution de colis contenant des produits de première nécessité ; des enseignes et industriels distribuent des kits alimentaires et d’hygiène. Mais l’insécurité alimentaire est réelle et devrait s’aggraver.  

Rocinha favela Rio de Janeiro (Crédits : chensiyuan, Wikicommons)

Bars, restaurants, petits commerces, écoles, startups... les faillites et les demandes de redressement judiciaire se multiplient. Les expats et les étudiants étrangers en échange ou en stage quittent le Brésil, à regret souvent pour ceux qui y vivaient depuis de longues années ou venaient à peine d’arriver. Aujourd’hui le Brésil fait peur. À raison, car en plus de la crise sanitaire, du ralentissement de l’économie, de la croissance des inégalités et de la dépréciation de la monnaie qui a perdu 30% de sa valeur, l’inflation menace, le pouvoir politique est totalement divisé et le pays définitivement polarisé : on est “pour ou contre” le confinement, et par un glissement de sens simpliste on finit par être “pour ou contre” Bolsonaro. Le Président de la République qui devrait être un grand rassembleur en ces temps sombres, joue la carte de la division et de la terreur, adoptant un discours et des pratiques anti-démocratiques face à des gouverneurs et maires qu’il tient par le cordon du budget fédéral. La crise politique s’aggrave et son issue est incertaine. Le Brésil se ferme et perd son influence et son image positive sur la scène internationale. On se croirait dans un mauvais film.